Images de page
PDF
ePub

tières; il est divisé en trois titres et vingt-sept chapitres; enfin, si, pour ne rien oublier, je fais savoir aux lecteurs du Mercure, que sur le revers de la couverture, se trouve l'annonce des Souvenirs du Nord, de M. Faure; des Mémoires pour servir à l'histoire du général La Fayette; le Manuel de l'amateur des arts dans Paris, et des principes de ponctuation, fondés sur la nature du langage écrit, que leur aurais-je appris? ferais-je brusquement l'éloge ou la satire de l'Art de promener ses créanciers? mais qui voudra me croire sur parole? c'est surtout au Parnasse que les arrêts doivent être motivés. Il faut donc aborder la difficulté: reculer devant n'est le secret ni de l'éviter, ni de la vaincre.

Ce traité, dédié aux gens destitués, réformés; aux victimes des révolutions et des changemens de ministères passés, présens et à venir, n'est destiné qu'aux hommes comme il faut, producteurs infortunés, déshérités par une force majeure; gens dignes d'estime, qui font partie de notre richesse naționale, sinon par leurs propriétés matérielles, du moins par leurs propriétés morales; gens nés, élevés pour la civilisation et auxquels seuls appartient le droit de promener leurs créanciers.

Moyens à organiser, par l'homme comme il faut, pour promener ses créanciers. Tel est le premier titre de cet utile traité ; l'ordre et la mémoire en sont les deux grands principes; ce sont aussi les deux premières qualités de l'homme comme il faut. L'auteur lui dit : « Voyez les gouvernemens, qui, comme vous, ne vivent que de crédit, manquent-ils d'ordre ou de

mémoire? Fait-on un emprunt? vite de grands livres sont ouverts, où les noms d'une foule de créanciers, inscrits en magnifiques majuscules, sont à chaque instant perdus et retrouvés alphabétiquement et chronologiquement. La partie double défie les erreurs de chiffres ; et les carnets d'échéances, les erreurs de dates. Mille commis à genoux devant le dieu de l'ordre, la déesse de la mémoire, implorent chaque jour leur aide, pendant des séances de six heures. Le crédit de la France ne vous donne pas seul ce bel exemple: il vous est encore offert par le royaume de Naples, par la Grèce, par la république de Colombie et par l'Espagne; oui, par l'Espagne. Vous allez me dire que sa mémoire paraît en défaut pour l'emprunt des cortès. Votre observation n'a pas le sens commun : l'Espagne n'a pas de mémoire pour payer, mais pour tenir des écritures c'est bien une autre affaire l'Espagne sait à livres sous et deniers, ce qu'elle doit aux prêteurs de l'emprunt des cortès; c'est une satisfaction qu'elle n'aurait pas laissé échapper. Il faut toujours être en état de dire à ses créanciers : Je ne vous paye pas, mais je sais ce que je vous dois. »

:

L'illustre professeur veut donc que l'homme comme il faut, tienne des écritures ainsi qu'on en tient en banque et en commerce; qu'il ait un journal, un grand livre, un répertoire et un carnet d'échéances, et que ces écritures soient en parties doubles, afin que quand on lui demandera de l'argent, il.puisse donner un compte et établir une balance par doit et avoir; car de cette méthode, il résulte que ce sont les objets et non les personnes qui doivent; que c'est au compte

des habits, et non au vôtre, que se trouve établie la créance de votre tailleur.

L'usage du répertoire n'est pas moins utile. Le nom et les adresses de vos créanciers doivent y être inscrits par ordre alphabétique; c'est par le moyen des adresses que la circulaire dilatoire devient facile; qu'on peut tempérer les espérances, coordonner les délais, régulariser l'attente, échelonner les impatiences. La tenue de ces écritures aura, pour l'homme comme il faut, l'avantage, inappréciable au siècle où nous sommes, de rompre aux habitudes comptables et de préparer aux grands emplois; c'est à cheval sur des chiffres qu'on y arrive aujourd'hui. La perfection de l'art du débiteur consiste surtout à contraindre ses créanciers de faire le plus de chemin possible; à les amener à un état de fatigue et de harassement, tel que essoufflés, rendus et complètement sur les dents, ils désespérent enfin de leur créance et renoncent à leurs poursuites. « J'ai connu, dit l'auteur, un débiteur célèbre, qui a dû et qui doit encore des millions; c'est un gaillard dont aucun ne peut se vanter d'avoir jamais tiré un sou. Lui, tout au rebours, roule sur l'or et sur l'argent : il fait des fournitures, et a gagné, dans ces derniers temps, 6,000 fr. par heure, cela durant trois mois. Il est parvenu à s'isoler si parfaitement des lois et des ordonnances de commerce, qu'il est insaisissable dans sa personne comme dans ses écus. Il a, à son service, des mannequins, des hommes de paille, et n'a pris une femme que pour en faire un prête-nom. Faut-il recevoir, prendre, accaparer? vous le trouvez sous votre main en os et en chair. Faut-il

}

payer? il n'est plus qu'une vapeur, une chimère, dans le genre de celles que poursuivent MM. Lamartine et compagnie. »

Un créancier est promené autant qu'il puisse l'être, lorsqu'on est parvenu à lui faire faire le tour du globe, environ sept mille lieues; après un pareil trajet sa créance est amenée à un état d'atonie qui équivaut à une quittance complète : il a cessé d'être créancier : vous l'avez entièrement désintéressé, et vous pouvez le rencontrer dans les salons aristocrates de la capitale, sans le reconnaître, sans même le saluer. Le sentiment des courses que vous lui avez fait faire, des tracas, des insomnies que vous lui avez causés, le détermine à passer d'un côté dès que vous paraissez de l'autre. Ce n'est plus vous qui tentez de vous esquiver, c'est lui qui cherche à vous fuir. Votre art et votre persévérance en ont presque fait un débiteur: il payerait pour que vous ne lui dussiez rien.

On peut mesurer la force ou le plus ou le moins dé validité d'une créance par le chemin fait ou par le temps écoulé. Un économiste a trouvé un autre terme de comparaison. Il établit six degrés de patience. Le premier est d'une année, trois cents lieues (la vingtquatrième partie du globe), ou une paire de souliers. L'échelle de progression donne pour le sixième degré vingt ans, vingt-quatre paires de souliers et sept mille lieues, ou le tour de la terre, Ainsi on peut dire indifféremment: Mon créancier a fait trois cents lieues, ou une paire de souliers, ou la vingt-quatrième partie du globe. Chacun de ces termes équivaut à une attente de trois cent soixante-cinq jours. Quiconque n'est pas

en état de faire faire la vingt-quatrième partie du globe à ses créanciers ne doit pas se mêler de faire des dettes. La première année est la plus rude, la première paire de souliers coûte le plus sur vingt créances dix-neuf sont abandonnées avant la fin de la seconde paire. Il arrive souvent, vers le troisième degré, que les poursuites d'un créancier se changent en une tendre affection. Ses visites n'ont plus d'autre objet que le besoin de vous voir; votre visage lui fait nécessité; l'excellent M. Gallois était de ce nombre, s'il y avait ici place pour son histoire je la raconterais : c'est un bon exemple à citer. C'est aussi un mémorable exemple que celui d'Eumènes, général macédonien, qui changea, par un emprunt fait à propos, trois satrapes et trois Grecs, qui voulaient le tuer, en serviteurs fidèles et en défenseurs intrépides. Je me vois forcé de renvoyer à Plutarque ou au savant auteur de l'Art de contracter des dettes, pour apprécier combien il est utile de se faire des satrapes.

Le choix d'un appartenient n'est pas d'une médiocre importance pour un homme endetté. La distance moyenne entre lui et ses créanciers doit être d'une petite lieue: il doit fuir les rez-de-chaussée, les premiers étages et se mettre sous la protection de cent vingt marches au moins. Une lieue et cent vingt marches vieillissent tout-à-coup la dette la plus fraîche. Le créancier qui a escaladé cinq étages, arrive à votre porte épuisé, sans haleine ce n'est plus d'argent qu'il a besoin ; une chaise, voilà tout ce qu'il implore de vos bontés.

Deux sorties sont nécessaires : il y a des créanciers

[ocr errors]
« PrécédentContinuer »