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LES ARINZES.

HISTOIRE SIBÉRIENNE.

Je n'ai fait que passer, il n'était déjà plus.
RACINE. Esther, acte 111,

scène 9.

J'AVAIS jadis visité la Sibérie, dans un temps où les provinces méridionales de cette vaste contrée of fraient aux yeux du voyageur une végétation active et abondante, des villes nombreuses, une population libre et guerrière.

La nation des Arinzes (ou Arinthes) s'élevait au-dessus de toutes les autres dans ces heureux climats, autant pár la sagesse de ses législateurs, que par la valeur de ses guerriers. Après avoir augmenté sa puissance, par de nombreuses conquêtes, elle avait transplanté ses colonies jusqu'au sein de la Perse. L'une d'elles avait même osé franchir les monts Ourals et traverser toute la partie septentrionale de l'Europe, pour aller fonder Arinthoz (1), sous le ciel de la Gaule. Je visitai ce grand peuple au milieu de sa splendeur; je le quittai marchant à de nouvelles prospérités.

Quelques siècles s'écoulèrent, et mes courses continuelles me reportèrent de nouveau vers ces mêmes

(1) Arinthoz, petite ville de la Franche-Comté.

pays. Je cherchai la nation des Arinzes, et ne la retrouvai plus. J'appris que sa gloire était éclipsée, ses législateurs oubliés, ses guerriers vaincus. Chassée de ses villes détruites, elle avait vu les sauvages Ostiaks et les barbares Tongouses, comme une bande de hyènes féroces, s'acharner après ses misérables débris et les exterminer. Cependant quelques Arinzes, me dit-on, trouvèrent un refuge sur les bords du Jéniscéa, au milieu des tatares Katschintz. Mais, hélas! même au sein de cette horde hospitalière, leurs descendans avaient subi une lente destruction. Un seul homme restait de cette grande nation; un seul! et c'était un vieillard! Quand je vins à lui parler de l'antique éclat du peuple dont il était issu, la surprise et l'attendrissement semblèrent s'emparer de lui. Ses yeux se mouillèrent de larmes; il prit ma main et la baisa : « Béni » soit celui qui chatouille encore mon oreille du >> doux nom et de la gloire de mes ancêtres, dit» il. Hélas! je ne suis né que pour pleurer leurs malheurs et la patrie que je n'avais point connue. Ses destins, du moins, ne me sont point étrangers, poursuivit-il; mon père, instruit par le sien, me » dit à son tour les grandes actions de nos héros » et les chants divins de nos poëtes; car quel peuple a jamais brillé plus noblement du double éclat des » arts et de la guerre! Les bords du Baikal, les » rives de l'Anadir, les sommets des monts Atlaïs, >> couronnés d'une vaste forêt de cèdres, retentis» saient alors de nos cris d'allégresse et du bruit » de nos exploits!..... L'Anadis!..... l'Atlaïs!..... » que ces mots sont doux à prononcer! et que les longs entretiens de mon père plaisaient à mon

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imagination. Aujourd'hui ma bouche seule articule >> encore les sons de la langue Arinzienne, la plus » belle, la plus suave de toutes les langues! et ma mé>>moire seule conserve encore quelques faibles souve>nirs de tant de puissance! Étranger, qui semblez vous >> intéresser aux destins de la grande nation, daignez » être le dépositaire de ce qui reste de son antique gloire; puissent, grâce à vous, un si vif éclat, » tant de hauts faits, tant de noms illustres, survivre » à un pauvre vieillard, et faire encore palpiter, après moi, des cœurs généreux : ma mémoire qui >> chancelle veut se reposer sur la vôtre. Je rends justice à mes généreux hôtes; je me suis abrité >> sous leurs tentes, je me suis réchauffé aux feux » de leurs foyers, je me suis abreuvé du lait de » leurs jumens; mais ils ne savent point écouter, >> et mes récits humilient leur orgueil. Étranger,

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je suis vieux et je me sens faible; j'ai besoin » de rassembler mes idées et de repasser en moi» même tant de destinées et d'événemens divers. » Revenez me visiter demain. >>

Je fus exact au rendez-vous; mais le vieillard se mourait. Pâle, les mains glacées et la vue presque éteinte, il était gisant au milieu de sa cabane, dans une boîte longue et étroite, semblable à un cercueil (espèce de couche commune dans ces climats ). Il parut me me reconnaître cependant, et fit un effort pour me parler; mais sa voix se refusait à rendre ses pensées. Saisi de regrets et de pitié, mobile devant lui, je le vis quelque temps lutter contre la mort. Ce spectacle était pour moi à la fois imposant et terrible. J'ai vu s'éteintre plus d'une vie;

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mais, ici, j'assistais à l'anéantissement total d'une nation. Avec ce débile vieillard semblaient descendre dans la tombe un peuple tout entier, des héros, des poëtes, qui, sans doute, avaient versé leur sang, sacrifié leur repos et leur bonheur pour conquérir, dans le souvenir des hommes, un nom qu'ils croyaient devoir être immortel. Une langue harmonieuse, de sages institutions, des découvertes, précieuses peutêtre pour l'humanité; de grandes actions, de grands triomphes, de grands revers; l'espoir de la vertu, de la puissance, de la vanité, tout s'anéantit avec le dernier soupir du vieillard.

Nul monument élevé par la nation des Arinzes n'est debout dans la contrée qu'elle avait soumise à ses lois; la mémoire des peuples, jadis vaincus par elle, n'a rien conservé de la gloire de ses anciens vainqueurs; rien enfin, sinon ce faible écrit, ne reste pour attester son passage sur la terre.

JONATHAN LE VISIONNAIRE.

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VINGT-QUATRE HEURES D'UNE FÉMME SENSIBLE, ou une GRANDE LEÇON, par MADAME LA PRINCESSE CONSTANCE DE S*** (1).

Je suis en veine de bonheur, comme on le dit vulgairement; voilà encore un ouvrage marqué au coin du talent, et pris dans la vérité fidèlement observée. Sans doute, il faut se prêter un peu à l'illusion pour croire que même le petit nombre d'événemens mis en action par l'auteur ait pu arriver en un jour; mais, d'un côté, leur réunion n'est pas impossible, et de l'autre, il fallait la supposer pour bien montrer ce qu'une femme tendre et sensible peut éprouver dans l'espace de vingt-quatre heures. L'habile écrivain a trouvé d'ailleurs ses moyens de vraisemblance dans une passion inquiète, ombrageuse, qui a, comme la Renonimée, cent yeux pour tout voir, cent oreilles pour tout entendre; dans une passion qui embrasse aussi avec la même ardeur le mensonge et la vérité, et croit obstinément ce qu'elle imagine, et fait des monstres de tout: j'ai nommé la jalousie. La jalousie est une espèce de délire; les femmes qu'elle possède ont d'autres sens, d'autres pensées, une autre imagination, une autre vue que les êtres paisibles et refroidis que l'on rencontre dans la société. On peut dire de cette passion tumultueuse, qu'elle fait un siècle d'un jour, par la multitude de sensations, de tourmens, craintes, d'espérances, de résolutions opposées, de folles visions qu'elle suscite en moins de quelques

(1) Paris, chez Arthus Bertrand, rue Hautefeuille, no 23.

de

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