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momens et qui passent avec la rapidité des nuage d'un ciel orageux. Il en est de l'amour en proie à la jalousie comme de la douleur qui veille; son impatience dévore le temps et ses souffrances ralentissent le cours des heures. L'ingénieuse composition du roman de madame de S*** repose sur cette observation, qui seule décèlerait le sexe de l'écrivain. On l'aurait encore reconnue à l'adresse avec laquelle sont présentées toutes les circonstances qui peuvent motiver les alarmes, les tourmens ou plutôt les supplices de l'héroïne.

A chaque page de ce roman on sent qu'il est d'un femme. « Le jeune comte Alfred m'a parlé pendan toute la route; sa voix me faisait l'effet d'une suite de sons doux et confus; je ne distinguais rien. Pourtant, je crois qu'il m'a parlé d'amour. Oui, je me le rappelle, il m'a parlé d'amour; il a pressé ma main en descendant de voiture; il paraissait tremblant, et les mots de passion, de tendresse ont frappé mon oreille.... Voilà pourtant à quoi tu m'exposes! » Veut-on la peinture fidèle de l'accroissement des agitations du cœur, sans autre cause que la chimère d'une imagination non moins malade que lui? il faut lire la troisième lettre.

«Que se passe-t-il donc en moi? Aucune circonstance nouvelle n'a pu augmenter mon trouble, et cependant il croît à chaque instant. Je vois mille choses qui m'étaient échappées d'abord. Il semble qu'il y ait des douleurs qu'on éprouve sans le savoir, et dont on ne se rend bien compte que quand on est malheureux. Ces idées sont, il est vrai, vagues et confuses, elles passent devant mes yeux et s'é

vanouissent comme de vains fantômes; mais il en est une qui reste toujours là; une dont la vérité m'épouvante, mais qui repose sur un fait et que je ne puis me nier à moi-même. Vous avez remarqué cette femme, mon ami, vous l'avez remarquée! Et qui ne sait que toutes les illusions de l'amour se touchent, que la plus douce, la plus nécessaire, la plus sacrée, est celle qui nous fait croire qu'il n'existe personne hors du cercle enchanté dont la passion nous environne! Vous avez remarqué cette femme, et moi... je ne voyais que vous!... »

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Sauf une seule phrase d'auteur vers la fin, cette lettre est parfaite. La passion véritable vit dans le cercle enchanté, elle jouit de son illusion, et ne la définit pas plus qu'elle ne la connaît. La vérité est donc ici légèrement blessée; nous la trouverons au contraire, sans altération, dans le début de la quatrième lettre.

« Le soleil éclaire déjà mon cabinet solitaire. J'ai voulu éloigner ces tristes pensées ; j'ai tenté de m'occuper, de me distraire. J'ai pris ma palette, mes pinceaux, j'ai tout disposé, et je me suis mise à l'ouvrage. Le feu des arts ressemble à celui de l'amour ; il enivre, il absorbe, il isole de l'univers et de soi-même. A mesure que je travaillais, des rayons de lumière semblaient traverser mes esprits. Je reprenais ma raison et mon équilibre; je sentais seulement mes moyens s'exalter et s'agrandir du reste d'émotions involontaires qui bouillonnaient encore dans mon sein. Tout-àcoup (qui peut prévoir les effets de l'amour ?); tout-àcoup ces terribles souvenirs sont revenus m'assaillir: ils se sont emparés de mes facultés avec la rapidité de F'éclair; ils m'ont comme enlevée de mon siége. J'ai

tout jeté là, je marchais avec précipitation, j'étais hors de moi, je croyais respirer du feu; mais l'agitation du corps semble calmer le trouble de l'ame. Insensiblement j'ai retrouvé quelque tranquillité; j'ai pu m'asseoir et écrire. Me voilà donc, me voilà plus raisonnable; du moins je le crois......"

N'oublions pas que pour donner le mérite de la vraisemblance aux sentimens, aux discours, et à quelques actions de la victime d'une si cruelle erreur, madame de S*** a soin de nous apprendre que l'héroïne est veuve, libre, et sur le point d'être unie par des liens sacrés à l'objet de sa tendresse. Mais ce qu'il faut remarquer c'est la peinture de toutes les angoisses de la jalousie dans un cœur qui en a reçu le germe au moment de la naissance; non-seulement cette peinture se recom, mande par une extrême fidélité, mais encore elle sert à justifier les démarches hasardées, téméraires mêmes où cette passion peut entraîner une femme habituée à respecter les plus délicates obligations de son sexe. J'ai distingué dans la lettre qui donne lieu à ces réflexions un trait qui mérite d'être retenu. L'héroïne demande et presse le moment de son hymen ; et cependant on n'est nullement choqué de cette espèce de violation des convenances. Pourquoi cela? parce qu'il y a un engagement mutuel, parce que la passion naïve qui parle içi porte son excuse avec elle, parce que les femmes mettent de l'orgueil et de la joie à déclarer, à porter le nom de l'amant qui les honore à leurs yeux; grâce à ces vérités senties, le plus léger des lecteurs ne pense point tourner en ridicule le remède par lequel un cœur souffrant et crédule, espère guérir de la maladie morale qu'il ne peut dompter seul. Et d'ail

leurs la femme, dans toutes les circonstances de sa vie, n'implore-t-elle pas un appui? c'est une plante qui demande, sans cesse, les soins de la culture, l'indulgence du ciel et les regards du soleil.

On pourrait peut-être louer comme un mérite, et blâmer comme une légère infidélité, l'énergie et la chaleur de la première scène d'amour entre les deux personnages. On la croirait tracée par un homme de talent. Une femme sent quelquefois plus fortement que nous; mais il est certaines choses sur lesquelles la réserve, la pudeur, la crainte de n'être pas entendue comme elle doit l'être, l'impossibilité d'exprimer à la fois la pureté, la vivacité, la délicatesse de ses sentimens, l'empêchent de tout dire, même lorsqu'elle le voudraits Il y a toujours sur la pensée des femmes un dernier voile, qu'elles ne lèvent jamais, même aux yeux de l'amour; chez elles, l'amitié garde encore un reste de mystère jusques dans la confidence la plus intime. A la vérité, il fallait que madame de S*** nous montrât dans son héroïne une de ces femmes ardentes, extrêmes, que la passion transporte, et qui, dans un moment d'ivresse, semblent un peu sortir de leur sexe; sans cette supposition empruntée à la société, nous n'admettrions pas les emportemens et le délire dont l'ouvrage doit tirer son effet moral. Sous ce rapport, l'auteur mérite les plus grands éloges; il nous conduit de scène en scène, avec la gradation toujours croissante d'un ouvrage dramatique bien conçu. On est près d'un dénouement heureux; cependant on verse encore de brûlantes larmes sur le sort de la victime qui va tomber dans le désespoir, et peut-être attenter à ses propres jours. Ainsi l'extrême infortune

et l'extrême félicité se touchent dans le roman,

sans

qu'un contraste si brusque offense la raison du lecteur; on se prête à l'illusion, parce que ce contraste est bien ménagé, parce qu'on a éprouvé une pitié profonde pour l'héroïne, qu'une seule explication aussi vraie que naturelle vient détromper. Mais un cœur bouleversé, par une telle transition de la douleur à la joie, ou plutôt de la vie à la mort, est épuisé pour quelque temps. Encore oppressé de ses tourmens, encore souffrant de ses douleurs, et comme accablé de son nouvel état, il ne peut plus suffire à exprimer ce qu'il éprouve. Madame de S*** a senti cette vérité d'observation, et son roman finit par la révélation du bonheur des deux époux, que la cruelle jalousie aurait pu désunir pour jamais. Créira-t-on qu'une passion si ardente puisse ainsi disparaître en un moment? j'ai peine à le supposer; peut-être l'exacte observation des mœurs aurait-elle exigé qu'on nous avouát que, malgré la force de la leçon et la volonté de guérir, le cœur qui avait été si profondément blessé, ́ressentait encore quelques atteintes de son mal, et qu'une secrète amertume se mêlait par fois à sa félicité. Il y a des impressions qui ne s'effacent jamais entièrement.

Madame la princesse de S*** s'est fait un nom en poésie; elle vient de prouver qu'elle sait aussi sentir, imaginer, penser en prose; son roman est une nouvelle fleur ajoutée à sa couronne littéraire.

P.-F. TISSOT.'

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