Images de page
PDF
ePub

Munich qui m'épousa, trouva le bonheur dans mes bras. Si j'eusse écrit mes mémoires, « je les aurais intitulés La Coquette sentimentale, ou le Vague des sentimens porté dans le positif de l'amour. »

» L'Allemande fut complimentée sur la finesse d'observation et la sagacité métaphysique avec laquelle elle avait eu soin de s'apprécier elle-même.

» Pendant que l'on procédait à cet examen général, les aveux particuliers se terminaient, et les petits génies chargés de ce soin faisaient leur rapport. Toutes les femmes attendaient en silence le résultat de cette grande journée. Tout-à-coup un jour pur éclaire la scène, et le génie céleste prononce d'une voix harmonieuse le discours suivant:

» Si les maris, les amans et les pères siégeaient ici à ma place, Mesdames, la sentence qu'ils porteraient contre vous serait sans doute plus cruelle. Élevé par ma nature au-dessus des faiblesses de cette humanité qui voit aujourd'hui briller son dernier jour, je vous remets la plus grande partie des fautes qui ont marqué chaque jour de votre existence, et dont la liste, gravée sur ces immenses tables d'airain, servira de leçons aux mondes futurs. Beaucoup vous sera pardonné à vous qui avez beaucoup aimé. Vos faiblesses sont l'ouvrage des hommes; étonnées et ravies de céder à la séduction, et douées d'une sensibilité plus vive, vous n'avez opposé le plus souvent qu'une molle résistance, qui demandait à être vaincue, et vous avez fait honneur à vos principes de cette sévérité qui n'était qu'une coquetterie de plus; faiblesse pardonnable, que votre organisation même vous imposait. Ne tremblez donc pas, vous qui avez pendant

votre vie connu quelques sentimens véritables, vous serez pardonnées.

Je vis alors s'élever d'un côté un palais magnifique, dont l'imagination seule pourrait mesurer l'étendue; de l'autre côté se projetait, sur un abîme, dont le fond échappait aux regards qui voulaient en sonder la profondeur, un pont d'une étendue immense, et qui, semblable à la fameuse arche de l'Alcoran, n'offrait dans toute sa longueur qu'une lame étroite, plus fine et plus aiguisée que celle d'un rasoir. Mon esprit s'étonnait lui-même des merveilles qu'il se plaisait à créer. Je cherchais vainement à deviner la double destination de l'édifice magique et du pont miraculeux; le génie céleste prit encore une fois la parole.

» Il vous a plu, Mesdames, de mourir toutes, sans exception, jeunes et belles; je ne vois ici que des Orientales de douze à quatorze ans, des Anglaises dé dix-neuf, des Italiennes de vingt, des Françaises de vingt-cinq. La mort, ordinairement si bizarre dans les coups qu'elle porte, s'est avisée d'une singulière uniformité. Mais descendez un peu dans votre mémoire, consultez vos souvenirs, et soyez bien sûres de l'âge précis où vous avez quitté le monde; car celleslà seules traverseront, sans danger, le pont de l'abîme, qui s'y présenteront à l'âge qu'elles avaient au moment où elles ont cessé de vivre.

du

s'a

» Vous eussiez vu toutes les femmes se presser, s' giter, et céder à leurs voisines le dangereux honneur pas. Le génie avait beau leur crier : Passez donc, on vous attend de l'autre côté; presque toutes reculaient devant l'abîme, dont elles mesuraient avec effroi la

profondeur. Je m'aperçois, dit alors en riant le génierapporteur dans ce grand procès, que, même après leur mort, les femmes ne veulent pas convenir de leur âge, et que la laideur est pour elles le tourment le plus redoutable. Qu'une métamorphose subite commence donc le supplice de celles que poursuit la colère des dieux.

» Au même instant, les tyrans femelles de toutes les conditions, les femmes ambitieuses, avares, cruelles, perdirent tous leurs charmes, et les rides de la vieillesse sillonnèrent, à longs traits, ces beaux corps, enveloppes insidieuses d'un cœur corrompu et d'une ame perverse.

» Celles qui n'avaient à expier que des erreurs, conservèrent la beauté de leurs formes, mais se virent, au même instant, couvertes de la tête aux pieds, d'une longue robe d'une étoffe épaisse, qui ne laissait deviner aucune des beautés dont elles étaient pourvues, et qu'elles ne devaient quitter qu'à l'expiration du temps plus ou moins long de leur pénitence. Parmi les femmes de cette dernière catégorie, j'en remarquai plusieurs, les plus coupables sans doute, dont le nez devint rouge et la tête absolument chauve.

» Les véritables élues du ciel se distinguèrent, toutà-coup, par une beauté divine, dont la Vénus des Grecs, embellie de tous les charmes de Psyché et des Grâces, ne pourrait donnèr qu'une idée imparfaite.

[ocr errors]

Séparée en trois corps, l'armée des femmes s'avança sur le pont aigu. Les réprouvées roulèrent dans l'abîme; les pénitentes restèrent suspendues au-dessus du gouffre, et les élues arrivèrent à l'autre bord; mais je ne comptai qu'un bien petit nombre, même de ces

17

dernières, qui achevât le trajet d'un pas ferme et sans chanceler sur la route.

Je les suivis jusque dans le céleste palais qui leur était destiné. La description de ce séjour des génies femelles appartiendrait de droit à nos auteurs romantiques; eux seuls pourraient nous retracer ces coupoles de diamant, s'élevant à perte de vue, sur dix rangs de colonnes de rubis, de saphirs et d'émeraudes, d'où les rayons épurés du soleil font jaillir les flots d'une lumière émaillée des plus riantes couleurs ; ces fleuves de vif argent qui se dessinent en portiques, s'élèvent en gerbes, et retombent en cascades dans un lac immense, où flottent des îles de fleurs; cet air embaumé, ces jardins où se jouent des myriades d'oiseaux d'un plumage plus brillant que le colibri, d'une voix plus mélodieuse que le rossignol. Je renonce à décrire ces merveilles, et je reviens à des observations qui me sont plus familières.....

[ocr errors]

Et moi je renvoie au livre les lecteurs qui voudront connaître les remarques de cet observateur, doué de tant de sagacité et de finesse. Les femmes trouveront peut-être un pen de sévérité dans le jugement final de leur sexe. Pour remettre les Ermites en grâce avec elles, je voudrais pouvoir transcrire ici l'histoire de Rachel et de Déterville. Cette anecdote, empreinte des couleurs locales, est racontée avec une ingénuité pleine de charme. Jamais encens plus pur et plus doux n'a été brûlé sur les autels de la beauté : jamais le sexe faible n'a été représenté sous des couleurs plus séduisantes que celles dont M. Jay a peint la jeune Américaine.

Les Nouvelles des Champs-Élysées, les Pourquoi,

lė Palais de la Bourse, le morceau de fer et le lingot d'or, le Dialogue entre deux Insulaires, l'Homme aux dix-sept femmes, et le Café Procope, sont les titres de chapitres non moins piquans que ceux déjà cités dans cet article; mais l'impartialité dont nous faisons profession, ne nous permet pas de ranger dans la même classe le Chiffonnier littéraire et l'Assemblée de famille. Ces deux chapitres doivent être tout étonnés et tout fiers de se trouver à côté des autres.

[ocr errors]

Le premier volume des Ermites en liberté a été l'objet de beaucoup d'éloges et de nombreuses critiques. Le moyen d'être juste, en parlant de cet ouvrage, c'est de mettre de la mesure dans la louange et de la modération dans la critique.

ANNÉE.

1

« PrécédentContinuer »