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LE MÉTAPHYSICIEN.

Souvenez-vous, ô mon fils! que

la nature est

couverte d'un voile d'airain; que les efforts réunis de tous les hommes et de tous les siècles, ne pourraient soulever l'extrémité de cette enveloppe, et que la science de philosophe consiste à discerner le point où commencent les mystères; sa sagesse à le respecter.

BARTHÉLEMY, Voy. du jeune Anach. Callimaque, en Platon, dict l'extrémité de la philosophie estre dommageable, et conseille de ne s'y enfoncer outre les bornes du proufit.

MONTAIGNE, Essais, liv. I, chap. xxxix.

C'ÉTAIT sur la fin du siècle de Louis XIV; le pouvoir, dans ses actes, semblait alors ne s'appuyer que sur la religion; aussi, la théologie et la métaphysique devinrent bientôt les arsenaux inépuisables où chacun chercha des armes pour le combattre ou le défendre. La loi de l'église étant devenue celle de l'Etat, un grand nombre de gens, qui jusqu'alors avaient professé leur culte sans penser à l'approfondir, étaient devenus sceptiques en fait de religion, par des motifs de politique; car prouver les erremens des prêtres catholiques romains, c'était, selon eux, attaquer les actes de l'autorité par leur base et les convaincre d'injustice et de tyrannie.

Mais si les dogmes divins, révélés par la parole de Socrate, soutenus par la plume de Platon, cimentés par le sang de Jésus-Christ, altérés, étouffés, dé

tournés de leur véritable sens par les Letellier et les Lachaise, servaient de texte à l'erreur et à la persécution, les adversaires des jésuites ne savaient. guère plus qu'eux se défendre d'excès coupables, et l'intolérance religieuse n'avait servi qu'à propager

l'athéisme.

J'habitais alors Paris; l'été poursuivait son cours; le soleil, au milieu de sa carrière, projetant ses rayons lumineux sur les ondes du fleuve, sur le faîte des arbres, sur les dômes des palais, leur donnaient un éclat vivifiant dont ma vue était enivrée. Seul et livré à mes méditations dans une riche avenue des ChampsElysées, je songeais à la puissance du créateur, aux innombrables raisons que l'homme avait pour le glorifier, lorsque tout-à-coup je me sentis accosté familièrement par un métaphysicien de mes amis. Tous ses mouvemens semblaient mûs par une satisfaction qu'il ne pouvait contenir; son œil étincelait de joie, et dès que j'eus tourné les yeux vers lui, entamant brusquement la conversation, comme un homme qui, possédé de l'impatience de donner une bonne nouvelle, n'a pas de temps à perdre dans de vaines civilités: Mon ami, me dit-il, félicitez-moi ; je viens de m'occuper d'un travail fort intéressant sur l'ame, et je puis prouver maintenant que ce qu'on appelle ainsi n'est qu'un mot, un mot vide de sens, et qu'enfin, ni vous ni moi n'avons jamais eu d'ame. Un instant, lui dis-je, en reculant de trois pas, un mot vide de sens est celui que vous venez de proférer; permis à vous de vous ravaler au rang des bêtes, permis à

moi de refuser un tel honneur !

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Calmez-vous, me dit-il, je savais d'avance que

vous ne vous rendriez pas sans preuves; mais, Dieu en soit loué, je puis les fournir. Raisonnons de sang froid je prétends combattre l'existence idéale de l'ame, non par de vaines déclamations, trop communes aujourd'hui, mais par des argumens victorieux, puisés dans les contradictions perpétuelles des philosophes et même des saints qui ont abordé ce sujet, Or, comme le dit Quintilien, quand des gens d'un esprit droit et reconnus pour tels, ne peuvent, après des siècles entiers d'une discussion impartiale, s'ac `corder sur une cause, ou sur un effet, niez hardinent l'existence de l'un an de l'autre. C'est ainsi que les mille versions sur le larves, sur les mânes, sur les fantômes ont enfin provoqué la négation des sages, laquelle négation est seule la vérité. Je pars donc de ce principe, et me hâte de poser ma première question qu'est-ce que l'ame? Une nature toujours on mouvement, répond Thales; un nombre qui se meut par lui-même, dit Pythagore; c'est un air subtil, ré plique Plutarque, c'est plutôt un feu très-actif, ajoute Aristote. Vous vous trompez, reprend Hipponius, c'est une eau très-légère; vous voulez dire un composé de terre et d'eau, dit Anaximandre. Silence! vous avez tous raison, s'écrie Empedocle, c'est un mélange de tous les élémens. Là-dessus, mille voix s'élèvent ensemble : c'est un être simple (1). Non! il est com posé (2): C'est un feu céleste, (3). C'est une pov: ; harmonie (4). ....... Un amas d'atomes subtils et dér

(1) Démocrite.

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liés (1). Une parcelle de la divinité (2). Un combat des sens (3). Mais du moins où est son siége? Hippocrate le place au ventricule du cerveau; Epicure, dans l'estomac ; Erasistrate lui fait servir d'enveloppe a la tête; tandis que Straton se contente de la placer entre les deux sourcils. Elle est dans le sang, disent à la fois Critias et Moïse; oui, dans le cœur, ajoute Empedocle; dites-donc dans le diaphragme, reprend vivement Plutarque; fi donc! dans la glande pinéale, répond Descartes. L'ame doit-elle finir, comme le pense Lucrèce? Les juifs, qui croyaient en Dieu, ne croyaient pas à l'immortalité de l'ame; les Chiriguanes et les peuples des îles Mariannes croient, au contraire, à l'immortalité de l'ame et non à l'existence de Dieu. Est-elle matérielle, comme le soutiennent Tertullien, Averroes, Caldérien, Politien, Pomponace, Bembe, Cardan, Césalpin, Taurell, Viviani, Hobbes, etc.; on immatérielle, comme le croient le plus grand nombre des Pères de l'Eglise, Mallebranche ét tout le cartésianisme. Saint Jérôme, saint Augustin, saint Grégoire, pris pour juges dans le procès, se déclarent incompétens, et, à l'instar de l'aréopage, renvoient les parties à cent ans. Moins timide qu'eux, je ne chercherai pas s'il faut, comme les Anciens, distinguer l'ame de l'esprit, anima et mens; mais d'après tant de contradictions évidentes, de doutes si prolongés, j'invoque le principe de Quintilien, j'applique ma négation, et déclare hautement que l'ame est un

(1) Lucrèce.
(2) Platon.
(3) Asclepiade.

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rêve de nos bons aïeux, qu'il faut reléguer avec la pierre philosophale et les histoires de revenans. J'espère que voilà de quoi mettre d'accord les jésuites et les calvinistes ?

En parlant ainsi, nous nous étions éloignés des vertes allées sous lesquelles mon métaphysicien m'avait trouvé méditant, et la Seine alors coulait à nos pieds, dans un endroit découvert et exposé à toutes les ardeurs du soleil. Mon ami, dis-je au grand exterminateur des ames, en le saisissant fortement par le bras et le contraignant de rester immobile devant moi, pour me garantir des influences trop immédiates de cet astre: j'approuve fort votre manière de raisonner; en frappant ainsi de néant tout sujet contesté, vous aplanissez tant de difficultés que vous m'avez presque convaincu, et vous et Quintilien vous êtes deux grands hommes. Je ne dis pas non, répondit-il, mais permettez que je prenne une position un peu plus commode pour recevoir vos complimens; sur mon ame je suis accablé par le soleil. Comment, le soleil ? vous, l'ennemi des préjugés, vous n'auriez osé vous affranchir de celui-là ? vous croyez au soleil? — Le soleil un préjugé! force m'est d'y croire, corbleu ! car il me brûle!Raisonnons de sang-froid, lui dis-je, en le maintenant encore avec plus de fermeté dans sa position première. J'avais cru jusqu'ici que cette admirable harmonie de la nature, là grandeur de l'homme, la puissance de sa pensée, la merveille de la création livrée toute entière à son industrie, sa raison supérieure imposée pour frein à ses passions fougueuses, indiquait assez la distance qui le séparait des autres animaux. Maintenant que, par la loi des

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