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font le guet pour ne pas être surpris par les commissaires dont ils connaissent au mieux les signalemens. Leurs ruses et leurs petits manéges ne laissent pas d'être récréatifs. Deux jolies grisettes, après avoir choisi, avec toute la maturité de la réflexion, des bagues du prix fixe de cinquante centimes, se les mettent aux doigts; s'étant retournées pour chercher dans leurs sacs l'argent nécessaire à ces emplettes, quelle est leur surprise de ne plus voir ni marchandises ni marchand! Celui-ci ayant aperçu de loin le formidable argus, ferme son pliant, le met sous son bras, s'enfuit avec sa boutique, et court encore. Samson n'emporta pas plus lestement les portes de la ville de Gaza. Les jeunes filles confuses d'avoir en leur possession le bien d'autrui, sans l'avoir payé, cherchent le marchand. « Rassurezvous, leur dis-je en m'approchant, vous le trouverez demain à la même place. Mais, Monsieur, nous ne

sommes pas de Paris. Je le sais. >> Après les étalagistes voltigeurs, on peut citer les écriteaux vivans. Ce sont des hommes couverts d'une espèce de chasuble de planches, sur lesquelles sont écrites', en caractères gros et emphatiques, les qualités transcendantes de tel restaurant, de telles boutiques. Ces affiches ambulantes se promènent gravement dans les quartiers les plus populeux. Je m'étonne que le journal des Petites Affiches ne leur ait pas intenté un procès. Les autres journaux même peuvent voir para lyser, par cette innovation, une grande branche de leur in-. dustrie. Comment oseraient-ils s'extasier en petit-texte sur leurs auteurs et acteurs favoris, après que ces écriteaux vivans auraient préconisé en majuscules de six pouces tous nos grands génies, de la barrière de

Mousseaux à celle d'Enfer? Ce serait un moyen efficace autant qu'économique, de se faire connaître et même d'obtenir une grande célébrité. Par-là, MM. du romantisme pourraient porter leur renommée jusqu'au jardin des Plantes.

Les diverses scènes que présentent les rues de Paris ont une affinité plus ou moins directe avec des scènes d'un ordre plus élevé. C'est un passe-temps curieux et instructif de suivre dans ses derniers ricochets la force impulsive qui remue la société.

Depuis quelque temps une foule de singes demandant l'aumône ont fait une irruption et fourmillent sur les places publiques et sur les boulevards. Cette circonstance passe inaperçue sous les yeux de ceux qui sont inhabiles à monter des effets aux causes; un esprit attentif conclut de cet événement insignifiant en apparence, qu'il s'est effectué une modification dans les mœurs populaires. Il observe et découvre bientôt que la mendicité s'est considérablement accrue, que la paresse lève partout un impôt sur le travail, que le goût pour les saltimbanques s'est emparé de la petite population, et que l'empire des grimaces gagne du terrain chaque jour.

Ces petits singes, qui vous ôtent leurs chapeaux, en faisant un appel à votre charité, prennent des airs si papelards, si archi-patelins, que vous les prendriez pour des tartufes lilliputiens, précurseurs des Gullivers du métier. Que de choses n'annoncent pas le maintien, les gestes, la mine escobarde de ces singes imitateurs par nature! Je suis épouvanté de leurs airs de famille avec telles et telles personnes qui se multiplient chaque jour.

La révolution opérée en faveur des singes a été funeste aux marmottes, qui bientôt ne seront plus admises à être députées à Paris, pour représenter la Savoie. Les petits Savoyards ont compris que la marmotte, dépourvue d'adresse et de manége, marchant tout droit devant elle, et incapable d'aucun tour de passe-passe, ne leur ferait pas gagner leur existence dans une ville où la bonhomie et la simplicité sont remplacées par l'artifice et la souplesse. Les petits ramoneurs passent dans l'intérieur des maisons, dont ils nettoyent les cheminées, et leurs yeux, bien que chargés de suje, n'en sont pas moins clairvoyans. Voilà donc les dormeuses reléguées dans leurs montagnes, le peuple est maintenant trop éveillé pour s'amuser de marmottes.

Mais il est de plus en plus affamé de voir des escamoteurs. Dois-je m'en étonner, quand moi-même je ne rencontre jamais un de ces bateleurs sans me mêler à la foule qui, le cou tendu et la bouche béante, dévore des yeux et des oreilles les gestes et les paroles de ces amusans mystificateurs! Il faut que l'homme ait une grande tendance à être trompé, puisqu'il trouve même à cela un passe-temps agréable. Aussi a-t-on eu soin de ne laisser jamais manquer de tours de gobelets; actuellement on ne peut faire un pas qu'on ne rencontre quelque charlatan. Ici, un joueur de gibecière change trois pièces de monnaie en une, et de cette une il en fait trois.

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Là, un homme grotesquement vêtu, pérore sur les qualités précieuses et la douceur sympathique des chats et des rats. Il a près de lui une grande cage où un énorme matou est couché au milieu d'une trentaine

de rats qui circulent entre ses jambes et autour de son cou; ce chat rappelle celui dont La Fontaine a dit :

C'était un chat vivant comme un dévot ermite,

finit par

Un chat faisant la chatemite,

Un saint homme de chat.

Après un drôle de discours sur les avantages de l'éducation appliquée aux rats, susceptibles de devenir d'intéressans animaux domestiques, l'empirique offrir à l'assemblée une petite poudre économique, qui abrége leur éducation et termine leur destin. Cette conclusion semble d'autant plus piquante qu'elle est plus inattendue. On se persuade que l'orateur de carrefours chérit les chats et les rats tant de gens aiment les bêtes! La véritable cause du changement qui s'opère dans le caractère de ces animaux provient de ce qu'ils sont en cage. La perte de la liberté dénature tous les êtres.

Plus loin, un marchand d'orviétans mange des in sectes et des reptiles vivans. Il ne doit pas craindre la famine.

Pour moi, je ne crains pas que l'ennui me saisisse au milieu des plaisirs que je goûte dans les rues, avantage dont on ne peut se flatter dans les cercles! de la haute société ; la musique même des carre fours me charme plus que les sonates exécutées sur le forté-piano. L'aveugle agenouillé au pied d'un arbre raclant quelque joyeux refrain, tandis que son caniche, l'écuelle de bois à la gueule, réclame le salaire! de la musique-du pauvre; cel aveugle, disje, m'inea téresse bien autrement que ces violonistes superbest

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qui, après avoir tourmenté vingt ans l'articulation de leurs coudes, déploient enfin, avec facilité, le mécanisme de leur bras, et semblent ne penser qu'avec le violon, et ne raisonner qu'avec l'archet. Que ces grands hommes d'orchestre s'abstiennent de penser qu'ils n'ont pas de rivaux dans les rues. Il est des artistes en plein vent, qui peuvent le disputer à céux du Conservatoire. Ils n'ont pas étudié le contrepoint; mais la nature leur a donné, avec une oreille musicale et le sentiment de la mélodie, le talent de la poésie, talent dont sont privés la plupart des compositeurs d'opéra, qui mettent en musique des poëmes détestables, faute de savoir les juger tels.

Ces jours passés je traversais la rue Montorgueil; il était nuit. Attiré par des chants sonores et harmonieux, je m'approche, je me mêle au demi-cercle populaire formé autour d'un aveugle qui s'accompagnait de son violon avec justesse et d'une manière franche. Comment s'appelle cet artiste? dis-je à un chiffonnier dont le coude touchait lemien. «C'est Jacquelin. - Qu'estce, Jacquelin? - Vous êtes donc étranger dans Paris, si vous ne connaissez pas le fameux Jacquelin, dont on a fait tant de portraits, et qui est si renommé par la manière dont il file les diezes et les bémols. Ah bien, bien, j'y suis! répliquai-je avec un air dégagé, comme un homme qui feint de savoir ce qu'il ignore, » et je m'approche pour contempler cette grande renommée chantante, qui m'avait été inconnue jusqu'alors. Que d'hommes célèbres à Paris y sont incognito pour la plupart des habitans! Jacquelin est de petite taille : son extérieur accuse cinquante ans environ. Il a la figure très-grosse, la bouche large, les joues pen

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