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Que les aspérités de cette boîte osseuse
Configurent une ame active ou paresseuse !
Que la bosse du meurtre ait son siége affecté !
Que le toupet pointu porté à la piété !....

Ah! si nous le croyons, gare aux protubérances
Qui seules entre nous, mettent ces différences!
Eh! quoi, chez les Hurons, des enfans nouveau-nés
Les crânes sont long-temps pétris et contournés!
Enfin, leur enveloppe en casque est endurcie ;
Plus d'inégalités sur la superficie !

Le tact divinateur y serait en défaut.

Mais j'entends qu'on medit: «Qu'est-ce donc qu'il vous faut? » Ne voulez-vous donc pas des vérités nouvelles?

» Elles ont pris leur vol; couperez-vous leurs ailes ? » Non, non, je ne viens pas, par des scrupules vains Gênant mal à propos l'essor des écrivains,

De leurs opinions alarmer la franchise!

On ne s'éclaire point par force, ou par surprise;
On veut examiner. La contradiction

Est le libre élément de la conviction.
Mettez dans ce creuset la raison égarée ;
Bientôt, par elle-même, elle en sort épurée.
J'honore les savans armés de leur scalpel,
Pourvu que

leurs arrêts ne soient pas sans appel. Je ris, lorsque je vois la satire qui lutte

Afin d'abaisser l'homme au niveau de la brute (1);
C'est un jeu ; mais comment un semblable dessein
Est-il au sérieux pris par un médecin?

(1) Allusion à la satiré de l'Homme, de Boileau Despréaux, laquelle est une imitation de quelques passages de Ménandre, comme je l'ai prouvé dans ma Philosophie des poëtes.

Combien de cette thèse abusa La Mettrie (1)?
De quels livres honteux sa mémoire est flétrie ?
L'Homme machine,lô Ciel! son esprit de travers
Délaya le poison de ce texte pervers;

Et notre langue, écrite avec trop d'élégance,
Servit de passe-port à son extravagance:
D'un si noble instrument trop déplorable abus,
Qui fit souvent rougir les Muses et Phébus!
La France s'en indigne, et tous ses bons ouvrages
De ce goût dépravé rétractent les outrages;
Mais on n'a jamais pu comprendre par quel sort,
Ce roi qu'on appelait le Salomon du Nord,
Daigna sourire aux traits de cette œuvre insensée ?
Pouvait-il abdiquer son droit à la pensée,
Et résigner ainsi la seule dignité,

Le seul grand attribut par où l'humanité
De son rang sur la terre affermit la conquête ?
Autant vaut brouter l'herbe et se changer en bête,
Comme cet autre roi jadis y fut forcé (2),
Ou comme les suivans d'Ulysse chez Circé.
Ulysse allaît ramper avec leur troupe obscure
Sans le contre-poison que lui donna Mercure (3).
Oh! qui nous versera cet antidote heureux?
Oh! qui nous tirera du bourbier ténébreux,
Où l'ame détrônée elle-même s'oublie,^^gy

(1) La Mettrie, indigne élève de Boërhaave, fut auteur de l'Histoire naturelle de l'ame, de l'Anti-Sénèque, de l'HommePlante et de l'Homme-Machine, livres auxquels la vivacité dų style et la vogue de la langue française ont procuré malheureusement plusieurs éditions en Allemagne.

(2) Nabuchodonosor.

(3) Homère, Odyssée.

Comme un vin qui se gâte en restant sur sa lie?

Me trompé-je? mon vœu s'entend à Montpellier.
Quel bon livre, ô Bérard, tu viens de publier,
Sur cette question si profonde et si grave!
Galien, Sydenham, Haller et Boërhave,
N'auraient pas mieux remis à sa juste hauteur
Cet esprit, de nos sens invisible moteur.

De tout système vil honorable adversaire,

Que, pour un vrai plus pur ton amour est sincère ! Médiateur classique entre l'ame et le corps, D'une solide paix tu dictes les accords. Jadis, on soupçonnait que des fils d'Hippocrate Le matérialisme était l'idole ingrate ; On les calomniait. Désormais, je le crois, L'ame, grâce à Bérard, a repris tous ses droits. J'ai lu, j'ai dévoré sa doctrine authentique, Et je voudrais la rendre en langue poétique: La muse effleure tout du bout de ses crayons, Mais comment tout réduire en deux traits? Essayons. Si l'espace et le temps du corps bornent la trame, Le corps, dans sa limite, est l'instrument de l'ame; Mais l'ame, moins esclave et du temps et du lieu, 1 Dans son indépendance est l'instrument de Dieu. Voilà le mot, tracé par une main savante

Qui sait interroger la nature vivante !

Voilà le mot enfin qui ne m'a point surpris;
C'est ce que je savais qu'il m'a bien mieux rappris.
L'auteur adresse à Dieu des mots pleins d'éloquence,
De tout ce qu'il a dit sublime conséquence (1).

(1) Voyez la Doctrine des rapports du physique et du moral de l'homme, pages 372 et 373.

J'ai toujours dans mon cœur et dans mon souvenir
Porté ce sentiment, que rien n'en peut bannir.
L'aspect du monde atteste un ouvrier suprême ;
Je le trouve encor mieux, quand je rentre en moi-même,
Je l'ai dans mes écrits professé soixante ans :

Heureux ou malheureux, j'ai dit dans tous les temps:
O nature de la nature,

Être des êtres, Dieu! nous devons l'avouer,

Tout ce que nous voyons est une énigme obscure,
Et toi seul peux la dénouer.

Le premier culte est de te croire,

Et d'adorer en toi la suprême bonté ;

Oui la bonté ! sans elle il n'est jamais de gloire,
De grandeur, ni de majesté.

Je ne me suis pas fait moi-même ;

Je sens que je suis moi; mais d'où suis-je émané?
C'est par ta seule grâce enfin que je suis né ;
C'est par toi que je pense et j'aime!

Tu vois tout; l'œil ne peut te voir.

O Dieu, partout présent, partout inaccessible,
Te comprendre, il est vrai, n'est pas en mon pouvoir;
Mais t'ignorer m'est impossible!

Du doute, je n'en puis avoir.

J'embrasse avec ardeur cette ancre où je me fonde, Qui rend seule aux mortels raison de tout au monde, Et dicte, en ces mots, leur devoir :

(1)..

« A la pareille il faut s'attendre (1);

Est profectò Deus, qui quæ nos gerimus auditque et videt.
Is etsi tu me hic habueris, perinde illum illic, curaverit.
Bene merenti, benè profuerit; malè merenti, parerit.

PLAUTUS, in Captivis.

» Car un Dieu juste existe; il a les yeux sur nous;

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Quelque bien, quelque mal qui provienne de vous, » Tôt ou tard, il doit vous le rendre.

Le mal rend celui qui le fait,

» Plus malheureux souvent que celui qui l'endure;

Mais il blesse Dieu même, et l'ame injuste et dure » Un jour en sentira l'effet.

» La bienfaisance qu'on envie,

>> Fait du bonheur d'autrui sa joie et son désir

;

» Mais Dieu qui du devoir daigna faire un plaisir, » Lui garde une meilleure vie. »

Du néant l'homme est donc vainqueur !

Qu'il sache se connaître, et, dans son impuissance,
Qu'il s'élève du moins à cette connaissance

En répétant du fond du cœur :

O nature de la nature,

Être des êtres, Dieu! nous devons l'avouer,

Tout ce que nous voyons est une énigme obscure,

Et toi seul peux la dénouer.

M. le comte FRANÇOIS DE NEUFCHAteau, de l'Académie française.

Mais ici, comme dans toutes ses pièces, Plaute ne fait que traduire littéralement du grec.

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