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saillir, traverse les rues de Paris sans produire la moindre sensation.

Dans les villes de province, eussiez-vous passé votre vie à être rabroué par le tiers et le quart; dès que vous êtes mort on vous traite avec civilité, avec respect; on vous laisse le passage libre, on vous salue, quelquefois même on murmure à votre profit les premiers versets d'un De profundis.

A Paris, ne vous flattez d'aucune satisfaction de ce genre; votre corbillard, malgré les cinq panaches qui le signalent de loin, est arrêté et heurté cent fois dans sa marche, tantôt par des charrettes remplies de veaux qui, la tête pendante, se rendent à la boucherie; tantôt par la voiture d'un financier qui court faire une opération à la Bourse. Vous arrivez enfin au Père-laChaise bien secoué, bien cahoté, avec la certitude, du moins, de ne pas être en léthargie. Votre escorte, vous conduit promptement au sommet du coteau; on vous dépêche quelques prières du bout des lèvres. Et maint regard semble vous dire : Monsieur le mort, j'aurai de vous, Tant en argent et tant en cire Et tant en autres menus coûts.

Enfin on vous enterre, vous, et votre souvenir : et vos héritiers reviennent au logis en calculant les frais de votre convoi, et le montant de votre succession. Votre meilleur ami, votre chien restera le dernier sur votre tombe, et vous fera ses adieux par de douloureux aboiemens, et pourtant vous avez employé le fouet et le collier de force pour lui apprendre à chasser

correctement.

"

S. D.

LETTRES

SUR LE THEATRE.

No XXXII.

Paris, le 9 octobre 1824.

L'OPERA Comique, genre un peu bâtard, mais qui plaisait par l'alliance du drame et du chant, qui faisait goûter les douceurs de la mélodie aux hommes les moins familiarisés avec la science musicale et qui attachait par le charme d'une action gracieuse ou intéressante les mélomanes les plus exclusifs; l'opéra comique, né français comme le vaudeville, est infidèle à son origine et fait tout ce qu'il peut pour devenir étrange; on l'imite partout où l'on est sensible aux plaisirs du spectacle, et il s'abaisse jusqu'à se faire la copie des nations qui le prennent pour modèle. A mesure que les théâtres lyriques de l'Allemagne et de l'Italie s'efforcent de paraître français, notre opéra comique s'évertue à devenir italien. et allemand. L'expression, c'est-à-dire l'occord des paroles et du chant, est traitée avec un souverain mépris par les dilettanti de la Bourse ou du faubourg Saint-Germain. Il faut voir comme un petit air, comme un joli duo, que tout le monde ré

pète, leur fait hausser les épaules de pitié; Grétry, Monsigny, Daleyrac ne sont plus que des barbares; Félix, la Fausse Magie, Adolphe et Clara, ne sont que de la petite musique tout au plus digne des Ponts-Neuf, de la rue de Chartres; car, ainsi que je vous le disais tout à l'heure, le petit Vaudeville lui-même se donne de grands airs; ses couplets ne sont plus que des arias, ses chansonnettes que des cavatines, et ses joyeux refrains que de solennels morceaux d'ensemble. Les vieux airs populaires n'ont plus de refuge que la scène grivoise des Variétés; il n'y a désormais que les savetiers ou les cuisinières qui dérogent jusqu'à les chanter, et par une inconséquence bien digne de notre siècle, les gens qui les dédaignent à nos théâtres lyriques, se portent en foule chez Brunet pour les entendre ; ils ont les honneurs de la gravure, on les chante dans les salons à la mode comme dans les carrefours, et les pianos de toutes les petites-maîtresses, où l'on rougirait de faire figurer Zémir et Azor, ont retenti une année de suite de la chanson poissarde du Guernadier.

Ensuite on se récrie de toute part sur la décadence de l'opéra comique; on se plaint qu'il n'y ait plus d'acteur, et on n'y regarde le drame que comme un accessoire; on n'y veut que des chanteuses et on s'étonne de ne pas y trouver de comédiens; il faut trois mois pour déchiffrer une partition, et une matinée suffit pour apprendre tout le dialogue d'un poëme; jadis il fallait se pénétrer long-temps du caractère d'un personnage, en étudier toutes les nuances. Aujourd'hui tout le travail d'un ac teur d'opéra comique est de filer un son le mieux

possible, de faire assaut de difficultés, et d'étonner le parterre par des tours de force.

Qu'importe, qu'il rende les situations avec vérité ! il s'échaufferait à trop bien exprimer les passions, sa voix pourrait en souffrir, il chanterait son air avec des sons moins suaves et moins purs! il faut qu'il soit de glace quand il parle, et de flamme quand il chante. Nous en arriverons au point où le compositeur fera lui-même son canevas en musique, et où le poëte mettra des paroles sur les notes. Puis, vous entendez une multitude de gens qui ne cessent de répéter: Le théâtre Feydeau dégénère; on n'y donne plus que des pièces médiocres, comme si des gens de lettres, doués de quelque talent, voulaient se ravaler à tracer des ébauches informes, à étouffer des situations dramatiques ou de piquantes saillies sous le fracas d'éternels morceaux d'ensemble et sous le luxe d'interminables finali. Si les sujets ne sont pas dignes des grands théâtres, il vaut cent fois mieux les porter sur des scènes subalternes, que de les déshonorer ainsi; du moins au Gymnase et aux Variétés, l'esprit brille de son seul éclat, et n'est pas contraint de s'immoler à l'ambition de la musique et au vacarme de l'orchestre.

II y avait un moyen infaillible de ramener l'opéra comique à la pureté de son origine, et de lui rendre ces grâces piquantes et naïves auxquelles il a dû si long-temps sa modeste gloire et la faveur publique. Si on voulait qu'il reprît sa riante parure, et la couronne de fleurs qu'il a quittée pour l'or faux de l'Allemagne et pour le clinquant de l'Italie, il fallait lui élever un second temple où les desservans fidèles eus

sent épuré son culte des vains ornemens qui le défigurent, et où il aurait bientôt brillé de tout l'éclat et de toute la fraîcheur de ses grâces primitives. Quand le privilége du chant a été accordé au second ThéâtreFrançais, on a dû croire à cette heureuse amélioration. Il était assez naturel qu'il s'emparât des richesses négligées, et pour ainsi dire enfoncées à Feydeau; celui-ci les eût promptement ressaisies et les aurait fait valoir avec plus de zèle. Il y aurait eu à la fois émulation pour l'art et concurrence pour l'industrie, puisque les théâtres sont des entreprises, et que l'argent y est toujours en raison du succès; mais par l'inconséquence la plus bizarre, l'Odéon fait des opéra fran-çais avec de la musique italienne, et Feydeau fait des opéra italiens avec de la musique française. On a multiplié au Second-Théâtre les virtuoses et les chanteurs de concert encore plus qu'au premier; l'expression dramatique, le jeu, la pantomime, ont été relégués parmi les vieilleries de mauvais goût, et on a formé une troupe qui ne sait ni chanter l'italien, ni dire le français. Ce n'était pas la peine de rétablir le dialogue, il fallait encore parodier le récitatif ultramontain, il eût été tout aussi amusant, et il n'aurait pas fait disparate avec l'étrange poésie des arrangeurs.

J'ai vu une représentation de la Pie voleuse, et rien ne m'a paru plus insipide; comment en aurait-on fait quelque chose de passable? L'opéra de l'Odéon a été travesti de la Gazza Ladra des bouffons, et celle-ci n'était qu'un travestissement du mélodrame de la Porte Saint-Martin. Il en résulte que les acteurs chantent beaucoup plus mal que les Italiens, et qu'ils sont inférieurs pour le jeu aux comédiens du boulevard.

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