Images de page
PDF
ePub

gouvernement avait institué des prix pour les meilleurs ouvrages représentés depuis dix ans? Ceux-là, du moins, le public les avait jugés; il ne s'agissait plus que d'assigner leur rang et que de juger comparativement leur mérite. Les quatre classes de l'Institut en furent chargées, et l'annonce seule du concours excita un tel débordement de petites fureurs et de passions honteuses; les amours-propres aux prises, les vanités littéraires soulevées offrirent un spectacle si affligeant, qu'il fallut renoncer à une institution qui avait paru marquée d'un véritable caractère de grandeur. Il y a encore aujourd'hui dans les arts et dans les sciences des inimitiés qui datent de cette époque.

Les musiciens ne furent pas ceux qui montrèrent le moins d'acrimonie dans ces tristes débats; et le programme du département des beaux-arts les jette dans un nouveau dédale de prétentions et de querelles interminables. Il humilie le maître, en le forçant à concourir avec le dernier de ses élèves, et en l'exposant même à se trouver vaincu par lui.

On livre, en effet, une ou deux scènes du poëme couronné à quiconque voudra les mettre en musique, et la propriété de l'auteur des paroles est adjugée administrativement, d'après la décision d'un autre jury, à celui qui aura fait la meilleure musique sur la scène détachée.

Ainsi les Chérubini, les Boieldieu, les Lesueur et les Berton peuvent concourir avec des jeunes gens sans expérience de la scène lyrique; et comme il n'est pas impossible qu'un élève inhabile à traiter l'ensemble d'une grande composition, réussisse dans une scène

isolée où il mettra toute la verve et tout le feu de son talent, beaucoup mieux qu'un maître qui distribuerait dans toutes les parties les richesses de son imagination et les ressources variées de son art, le poeme sera donné au disciple et sera refusé au professeur. Que de jalousies, que de rivalités, que de passions en mouvement! La musique préférée provoquera autant de sifflets que le poëme couronné, et comme ce n'est qu'à la quatrième représentation que le jury spécial déciderà si la musique a été agréable au public et si elle mérite le prix, il est vraisemblable qu'elle n'arrivera jamais à la troisième. Le compositeur peut d'ailleurs être bien persuadé qu'il sera toujours responsable de la chute du poëme couronné. Les juges qui lui auront adjugé le prix devant toujours être infaillibles en vertu du mandat qu'ils auront reçu du pouvoir, rejetteront nécessairement sur la musique le mauvais sort des paroles, et le malheureux musicien sera seal chargé des sifflets destinés au poëte et à ses juges. Aussi cette triste conception du nouveau département des beaux-arts, après avoir été l'objet de réflexions sérieuses et de critiques graves, a-t-elle donné naissance à une multitude d'épigrammes, de bons mots et de caricatures; et ce vaste échafaudage administratif s'est écroulé sous les traits du ridicule.

Où trouvera-t-on d'ailleurs des juges du concours, si l'on trouve des concurrens? Quel homme de lettres sera assez osé pour devancer les arrêts du public, ou plutôt pour les commander? Je sais que les institutions des grands jurys littéraires sont encore un moyen de donner des émolumens; qu'en cumulant le

jeton de Brunet et celui du théâtre de Quinaut, qu'en additionnant les droits de présence de l'Odéon et du Boulevard, quelques hommes parviennent à former un total, lequel joint aux pensions, aux sinécures et aux places, leur compose une petite existence financière assez agréable; mais ces subventions sont prises sur les plaisirs du public, et ceux qui les perçoivent perdent dix fois plus en considération et en estime que ce qu'on leur donne en argent, ils n'en sauraient jamais toucher assez pour les dédommager du ridicule qui pleuvra sur eux. Il faudrait qu'on leur fit une grande fortune pour qu'elle pût balancer le capital des sifflets qui sera leur inévitable partage.

On trouve dans ces juris un grand avantage; c'est une espèce de censure préalable qui s'exerce sur les auteurs mis à l'index, et qui condamne d'avance tous les ouvrages où il se trouve des traits de mœurs qui peuvent blesser de puissantes susceptibilités:

Il ne manque plus, pour achever la ruine de l'art, que d'imposer un jury de cette nature au Théâtre-Français. On peut être sûr qu'alors nous serons réduits à la tragédie romanesque et à la comédie de boudoir. L'histoire du passé et les mœurs du temps seront interdites au peintre dramatique. Déjà ne nous dit-on pas sérieusement: Voulez-vous être joués sans obstacles, faites des comédies qui ne puissent donner lieu à aucune allusion sur les vices et sur les ridicules du jour, faites des comédies où personne ne puisse se

reconnaître.

Telle est, en effet, la condition à laquelle il faut se résigner si l'on veut à toute force occuper la scène.

[ocr errors]

Encore s'il était permis de rire des travers de l'ancien régime; mais il y a prescription pour le passé comme il y a prohibition pour le présent, et le système de Law est sacré comme l'agiotage de la bourse nouvelle.

Je n'attribue qu'à cette fatalité qui pèse sur les auteurs dramatiques le peu de succès qu'a obtenu hier au Théâtre-Français la comédie nouvelle en trois actes et en vers, intitulée : Le Chevalier tardif. Cette lenteur, cette paresse de l'esprit pouvait tout au plus donner lieu à un petit acte; et M. Picard a tracé d'avance cette caricature dans M. Musard, jolie pièce dont nous sommes privés je ne sais trop pourquoi. Il y a de la facilité, de la grâce dans la comédie nouvelle; mais elle manque de cette verve, de cette chaleur d'action, de ces traits de satire qui pouvaient seuls suppléer à la froideur du sujet.

Un amant qui s'amuse en route à toutes les fêtes champêtres, et qui lit Plutarque dans une bibliothèque, tandis que son rival est aux pieds de la femme qu'il veut épouser, peut devenir tout au plus le sujet d'un joli proverbe de société ; mais pour le rendre digne de la scène française, il fallait imaginer un cadre plus comique et plus théâtral. L'auteur ne pouvait-il pas supposer que le mariage de son Tardif dépendait d'une place, et les ressorts employés pour la lui ravir n'étaient-ils pas susceptibles d'amener des détails de mœurs aussi justes que piquans. Nous vivons en effet dans un temps où il ne faut pas être tardif pour obtenir quelque chose, et où l'homine qui arrive le premier dans une antichambre est toujours sûr de l'emporter sur celui qui attend avec confiance le prix de son mérite et de ses services.

Je ne doute pas que ces idées ne soient venues à l'auteur de la pièce nouvelle, qui est homme d'esprit et observateur. Il sait ce qu'il faut au public qui juge; mais il savait trop ce qu'il faut aux censeurs qui jugent avant le parterre, et il s'est résigné à un demi-succès dans l'impossibilité d'obtenir un succès tout entier.

Je suis, etc.

***.

« PrécédentContinuer »