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bles et ce que la nature a de plus pur. La réunion des différens âges et des différens sexes ajoute encore à la beauté du tableau par d'heureuses oppositions rendues avec autant de grâce que de force, et qui décèlent dans l'artiste une connaissance approfondie de la nature et de ce qui constitue le beau. Le pinceau de M. Girodet, toujours précieux, est, dans ce tableau, aussi vigoureux que brillant; la couleur et l'effet y sont également portés à un très-haut degré. Enfin, on peut regarder cet ouvrage comme l'un des plus beaux de notre école sous les rapports de l'expression, de la science du dessin, et sous celui de l'exécution. » Si l'on ajoute à ces éloges le suffrage de David donné, dit-on, à son élève, dans les termes de la plus honorable admiration, il faut bien convenir que Girodet s'était surpassé lui-même.

Mais quel rôle jouait l'opinion dans le concours où les premiers juges de l'artiste lui donnèrent la préférence sur son illustre maître? A l'apparition du tableau, le public avait été à la fois repoussé, surpris et frappé d'admiration; repoussé par un premier aspect qui avait quelque chose d'étrange et de choquant; surpris de l'impossibilité évidente de la situation des personnages et du défaut de vraisemblance et de vérité de la scène; frappé d'admiration par l'audace du pinceau, la fierté de la manière, et par un air grandiose imprimé à toute la composition: telle fut l'impression générale. Au milieu de la foule, j'entendis des connaisseurs qui n'étaient pas de l'académie et que j'avais remarqués par le caractère de leur attention patiente et observatrice.

D'accord avec le jugement général, ils condam

naient sévèrement la composition: suivant eux, elle offensait le bon sens. L'idée d'avoir prêté au vieux père de toute cette famille près de périr, la pensée d'emporter une bourse pleine d'argent, ne leur parut pas exempte de toute affectation. Vraie dans une attaque de nuit, dans un incendie ordinaire, elle ne supportait pas l'examen dans une effroyable scène du déluge. La terreur et le désespoir, disaient-ils, s'élèvent ici dans le cœur de l'homme au-dessus de toutes les autres passions, et même de l'avarice, qui exerce un si grand empire. Ce vieillard doit être plus attaché à la vie qu'à son or. L'exécution paraît large et hardie, mais en examinant le tableau, on y trouve une ambition de savoir, un luxe d'anatomie, une richesse de détails qui fatiguent l'œil et ne supporteraient pas peut-être la comparaison avec la nature. L'artiste a voulu faire du Michel-Ange; et s'il est parvenu à rappeler la manière de l'auteur du jugement dernier, il lui a prêté des recherches et des efforts que ce grand maître ne connut jamais. » Les mêmes juges furent bien loin d'approuver la décision qui décernait le prix décennal au déluge de Girodet, au préjudice des Sabines de David. Leur opinion motivée sur des raisons qu'il serait trop long d'énumérer, s'éleva contre cet arrêt au nom du bon sens, du goût, de l'art, et de la justice comme de la reconnaissance, que l'on devait aux services, au talent et à l'ouvrage du restaurateur de l'école. Pour tout dire en un mot, le Déluge leur paraissait une grande et noble témérité qui cachait un principe de décadence sous des beautés du premier ordre; ils mettaient les Sabines au rang des chefs

d'œuvre qui ne sont pas sans défauts, parce que l'homme est un être imparfait.

Tel n'est pas le jugement des partisans de Girodet; ils se défendent par des allégations qui ne manquent pas de quelque adresse; ils se retranchent habilement derrière l'Institut ; laissons-les se débattre entre l'académie et le public; souffrons même sans peine un peu d'exagération dans l'éloge en présence d'une tombe récente, et de la noble victime qu'elle vient d'engloutir. Girodet est une grande perte; on ne saurait trop la déplorer; on ne saurait graver trop profondément dans les esprits les regrets que doivent inspirer les hommes rares auxquels la nature a fait des présens sublimes. Que l'on regrette, que l'on pleure, que l'on vante Girodet; nous nous unirons de cœur à l'expression de ces divers sentimens ; mais David vivant, nous ne consentirons jamais à dire avec un certain admirateur de son élève : Que la France avait produit, qu'elle vient de perdre en lui le premier de ses peintres. L'exagération de cet enthousiasme passe les bornes de la liberté permise à la plus ardente amitié. Pour réfuter ce paradoxe, il suffit de compter et de les titres. Est-il un homme si mal inspiré par

peser

la

nature, si peu éclairé par l'amour du beau, qui vou

lût échanger le Socrate de David pour l'Hippocrate de son disciple, les sublimes Horaces pour l'Endymion, le Brutus pour l'Atala? quel barbare consentirait à donner les Sabines et le Léonidas pour le Déluge? Je suis généreux, car je remets à Girodet d'autres tableaux antérieurs à ces chefs-d'œuvre, tels que la mort d'Hector, Bélisaire, et la peste de Marseille,

qui ont une réputation faite. Que si nous comparions d'autres productions des deux maîtres sous le gouvernement impérial, la seule partie de l'autel où figurent le pape et tout le clergé dans le tableau du sacre, cette partie digne des plus grands maîtres, effacerait les deux compositions de Girodet, qui sont à une distance si grande de la bataille d'Austerlitz, par Gérard. Quelques louanges que l'on veuille donner au dessin, à la pureté des formes, à la beauté des têtes du tableau de l'apothéose des héros français, les plus ardens admirateurs de Girodet n'ont pu dissimuler la bizarrerie de cette composition. A-t-on jamais pu en reprocher une pareille à David? Combien le judicieux Gérard, en empruntant aussi une scène à Ossian, n'a-t-il pas laissé derrière lui son émule par une création pleine de raison, de verve et de grâce, que la gravure a reproduite avec tant de bonheur pour le plaisir des amateurs du vrai! Quelles situations passionnées! quelle voluptueuse ivresse ! quelles expressions tendres et mélancoliques dans le monde fantastique du peintre de Psyché !

On a voulu créer un succès d'enthousiasme à la Galathée, mais, bien loin de mériter l'ovation à son auteur, elle est le plus faible de ses ouvrages; elle attestait une décadence de son talent, et surtout une nouvelle manière qui menaçait de le perdre. Les artistes avaient remarqué l'excès du fini dans Atala. Girodet, disaient-ils dans l'atelier, où tant de bonnes vérités échappent à la conscience de la vérité, veut trop bien faire; chez lui, le mieux est l'ennemi du bien; il gâte ses ouvrages à force de les retoucher; il salit ses couleurs en revenant sans cesse sur ses tein

tes. Le même défaut, habilement caché sous l'éclat d'une couleur séduisante, les avait frappés dans l'apothéose, empruntée à la mythologie d'Ossian ; le fracas du déluge ne les avait point empêchés d'y retrouver les traces d'un travail pénible, avec un penchant plus déclaré pour la bizarrerie dont l'artiste avait le germe en lui, et qui avait éclaté d'une manière si fâcheuse dans le tableau précédent.

Mais quel chagrin pour eux, lorsqu'après une attente de plusieurs années ils virent paraître sa Galathée! Copie infidèle et prétentieuse de la Vénus de Médicis, elle n'en avait point la grâce, la mollesse et les heureuses proportions. Correctement dessinée, elle était roide et n'imitait nullement la souplesse que le ciseau a donnée au marbre; nul esprit, nulle ame, nulle expression, une immobilité parfaite dans la tête! Copiste sans génie dans cette circonstance, le peintre n'avait fait que dénaturer un chef-d'œuvre en le transportant sur la toile. On fut encore plus mécontent du Pygmalion; on lui trouva une figure vulgaire; aucune flamme n'étincelait dans ses regards ni celle du talent, ni celle de l'amour. D'une beauté froide et commune, il avait ces brillantes couleurs de la santé d'un sot qui s'admire dans un miroir. Il n'était ni en prière, ni en extase, ni dans l'attente d'un prodige devant l'œuvre de ses mains. Le petit amour suspendu, ou plutôt accroché entre les deux personnages, ressemblait à une araignée qui attache ses toiles. Pour comble de malheur, on apercevait dans. tout l'ouvrage une manière tourmentée, une peine, un labeur du pinceau, une fatigue de la toile qui donnaient à l'ouvrage entier une froideur insupportable.

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