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lui dit : « Nous savions tout; console-toi, ami, ta » fille peut entrer. »

A ces mots, Rachel parut avec une noble assurance, et s'avança du côté des femmes. La pâleur de son teint ajoutait encore à l'expression de ses traits. Ses beaux yeux se portaient avec amour sur l'enfant qu'elle tenait dans ses bras. Tous les regards étaient tournés vers elle.

>>Dans ce moment, de Terville, incapable de se contenir plus long-temps, s'élance avec impétuosité au milieu de l'assemblée, et tombe aux genoux de Rachel.

>>

Pardonne, lui cria-t-il, ô la plus aimée des femmes ! pardonne, ou je meurs à tes pieds! » Puis se relewant d'un air de dignité : « Amis, dit-il, je suis l'époux de cette femme, je suis le père de cet enfant ; qui osera séparer ce que Dieu a uni? Vous êtes chré» tiens; l'évangile, dites-vous, est votre loi; votre religion est un culte de paix et de charité; elle est

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>> aussi la mienne. Mon cœur s'ouvre à la vérité; votre exemple me rend à la vertu. »

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>>Un murmure d'approbation circulait dans l'assemblée, et Langdon paraissait vivement ému, lorsque Rachel présenta sa main à son époux, et lui dit en baissant les yeux : « Tu étais aimé. »

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D'après une délibération authentique, leur union fut déclarée légitime; ensuite on exhorta le nouvel époux à s'instruire dans les doctrines évangéliques, et à se rendre digne de l'adoption qu'il sollicitait.

» Voilà de quelle manière un capitaine de cavalerie, au service de France, devint un quaker dans l'État

de Rhode Island. »

A....

LETTRES

SUR LE THEATRE.

No XXXVII.

Paris, le 18 décembre 1824.

UNE comédie nouvelle par le temps qui court est une chose trop rare pour que je ne me hâte pás de vous parler de celle qui a été jouée, il y a deux jours, à l'Odéon sous le titre de l'Enfant trouvé. C'est un véritable événement. Le croiriez-vous jamais! On a permis aux auteurs quelques traits de moeurs et même des épigrammes assez vives: il est vrai qu'elles ne frappent pas bien haut. Les marchands, les avoués et les accoucheurs seuls peuvent en être légèrement blessés, mais l'aristocratie de la bourse et celle du barreau n'en sont pas même effleurées; les auteurs ont fort bien fait de ne pas attaquer de si hautes puissances. Depuis que les marquis et les vicomtes jouent sur le tiers consolidé, les agioteurs sont des personnages considérables que Thalie doit respecter sous peine d'être séditieuse. Mais ce qui m'a confondu, c'est que dans cet audacieux ouvrage, il est question d'une vice-présidente d'un comité de bienfaisance qui n'est pas bonne, d'une dame de charité qui n'est pas douce. La censure dormait donc ce jour-là, ou elle s'est bien amendée

depuis quelque temps. A la vérité, on ne parle que de la femme d'un négociant en soierie de la rue SaintDenis; on n'aurait pas permis la même licence à l'auteur, s'il avait pris son personnage au-delà des ponts, et qu'il l'eût trouvé dans un hôtel au lieu de le chercher dans un magasin."

L'Enfant trouvé est un jeune banquier très-vertueux; il n'a que trente ans d'âge, et il a trois millions de fortune. Sa considération est grande, sa table bien servie, et sa réputation excellente. Il rencontre la fille d'un négociant nommé Dufour; elle est jolie, douce, ingénue; elle n'a que cinquante mille écus de dot, mais Saint-Jules (c'est le nom du jeune banquier) en est vivement épris; il demande sa main, et vous concevez qu'il l'obtient aisément ; quand on a trois millions, et qu'on est jeune, on peut choisir. Mais pour se marier, nos lois exigent qu'on produise son acte de naissance. C'est une formalité à laquelle M. Dufour ne pense que lorsque les visites sont déjà faites, et qu'il a annoncé le mariage à toute sa famille. S'enquérir des parens du jeune homme devrait être la première chose à laquelle il ait pensé; mais il s'est d'abord occupé de la quantité des biens du futur, avant de songer à la qualité de ses parens. Ce n'est qu'au dernier moment qu'il s'en avise, et ce qui, dans tout autre temps, pourrait paraître invraisemblable, est aujourd'hui d'un excellent comique. La fortune passe avant tout, la famille vient après.

Toutefois Dufour a de tardifs scrupules; il ne veut, dit-il, s'unir qu'à des gens comme il faut; il n'exige point précisément que son gendre soit noble; mais comme il y a eu parmi ses aïeux un échevin, un mar

guillier de paroisse et un prévôt des marchands, il désire trouver dans les parens de son gendre futur une bourgeoisie historique, et il ne doute pas un moment que le père et la mère d'un jeune banquier si bien élevé et si riche ne soient des notables du département de l'Hérault où il a reçu le jour.

Par malheur, Saint-Jules est un enfant trouvé. Exposé aux portes de Montpellier, il fut recueilli par un bon curé de campagne qui lui tint lieu de père et qui forma son cœur et son esprit par une excellente éducation. A quinze ans, il a perdu son bienfaiteur; il est passé dans les îles, il y a commencé sa fortune, et il est venu l'achever à Paris. Il me semble que les auteurs pouvaient se dispenser de ce voyage, qui est un lieu commun de toutes nos anciennes comédies romanesques. Quand on a besoin d'enrichir promptement un personnage, il n'est plus nécessaire de le faire revenir de la Guadeloupe : il suffit de l'envoyer à la Bourse, dans un de ces momens de crise financière qui sont devenus si fréquens depuis quelques années, et voilà un millionnaire trouvé sans course lointaine, sans fatigue et sans invraisemblance.

Saint-Jules riche, couru, fêté, s'est peu occupé de son acte de naissance, et, comme l'observe fort bien l'avoué auquel il confie ses aventures, les gens qui allaient dîner chez lui ne le demandaient pas. Une bonne table fait taire tous les scrupules; les gens les plus fiers de leur naissance ne s'informent jamais de l'origine de l'amphitrion; pourvu qu'il ait un bon cuisinier, il est toujours de bonne famille. On a vu, nos jours, même des magistrats dîner chez des gens qu'ils ont poursuivis six mois après, et les pays étran

de

gers recèlent un assez bon nombre d'heureux contumaces qui ont traité splendidement les notabilités les plus sévères de notre époque.

Quoi qu'il en soit, il faut des parens à Saint-Jules, ou il va perdre pour toujours son adorable Henriette. L'avoué Delbar est son meilleur ami; c'est un de ces jurisconsultes élégans tels qu'on en a peint dans plusieurs comédies nouvelles ; il a six clercs pour le travail et six pour le luxe : il a une bonne table, un appartement magnifique, et une loge à l'Opéra. C'est un homme qui connaît son siècle; il est convaincu qu'avec de l'argent on trouve de tout à Paris, et il ne désespère pas de trouver une famille à son ami. Celui-ci s'est écrié d'ailleurs qu'il donnerait la moitié de sa fortune pour avoir des parens, et Delbar espère lui en procurer à meilleur marché.

Justement la gouvernante d'un vieux médecin de Lunel très-avare, qui exerce à Paris, vient consulter l'homme de loi sur les moyens les plus honnêtes de faire faire à son maître un testament en sa faveur. L'esculape, dans leurs petites querelles de ménage, l'a plusieurs fois menacée de se marier, et elle voudrait bien éviter un si grand malheur. C'est un trait de lumière pour Dubard : voilà un père tout trouvé pour SaintJules; mais il lui manque une mère, et il la découvre dans les petites affiches. Une noble demoiselle Dubrosserac, native de Pézénas, victime du malheur et des circonstances, y fait annoncer qu'elle est réduite à donner des leçons de langue et de prononciation. Le roman est achevé, et la famille du jeune banquier improvisée.

L'avoué, qui a une imagination aussi vive qu'un

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