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auteur de comédie, dépêche auprès du médecin et de la demoiselle son petit clerc de soixante ans, le seul de l'étude qui travaille et qui ne soit point parvenu. Il convoque le vieux couple dans son cabinet pour affaires graves qui l'intéressent, et bientôt les deux originaux, qui ne s'étaient jamais vus, se trouvent face à face. L'entrevue donne lieu à une scène vive et extrê— mement plaisante. Delbar leur raconte qu'un jeune élève en médecine donnant, il y a trente ans, des soins à une jolie personne dans un pensionnat où régnait une maladie contagieuse, eut le bonheur de lui sauver la vie, qu'elle fut d'abord reconnaissante, qu'elle éprouvá bientôt un sentiment plus tendre, qu'elle devint faible et bientôt mère. Ils s'étaient juré de ne se séparer jamais. Les événemens terribles de l'Espagne les arrachère nt bientôt l'un à l'autre mais ils se sont retrouvés; ils habitent les mêmes lieux! n'est-il pas temps de réparer un grand scandale? Le vieux garçon et la vieille fille se regardent et ne conçoivent rien à tout ce galimatias. Mais qu'on se figure leur étonnement quand l'avoué s'écrie: Ce jeune élève, c'est le docteur Castelville de Lunel; cette charmante victime de l'amour, c'est mademoiselle Dubrosserac de Pézénas. Déjà leur indignation éclate; mais Delbar se hâte d'ajouter: Il respire le fruit de vos amours, il est banquier; il a trois millions de fortune, et le jour où ses chers parens consentiront à s'unir, il leur assurera vingt mille francs de rente? Le sans dot n'est pas d'un effet plus magique sur Harpagon que les vingt mille fr. de rente sur le vieux médecin et sur la vieille fille : ils se rapprochent, ils se lancent de doux regards; Delbar triomphe; mais, ô malheur! la gouvernante revient

savoir des nouvelles du testament de Castelville. L'antique clerc, qui a le défaut d'être curieux et bavard, a dit à cette nouvelle Evrard que son maître, loin de songer à un pareil acte, était en arrangement pour un mariage. Sa fureur ne connaît plus de bornes ; elle éclate, elle tempête : la prude s'enfuit en traitant Castelville d'infidèle; et celui-ci, honteux de cette incartade, se laisse reconduire comme un enfant par la servante maîtresse. Tout est donc rompu; Saint-Jules n'a plus ni femme, ni père, ni mère; mais les millions ont une vertu attractive qui ramène bientôt séparément l'esculape de Lunel et la vierge de Pézénas : ils se rapprochent, ils soupirent, ils s'adorent; ils ont un fils tout élevé, tout établi; ils sont fort heureux d'entrer dans sa famille, et l'heureux Delbar s'écrie: << Mon honnête intrigue ne fait de mal à personne, et » elle fait du bien à tout le monde. »

Cet ouvrage appartient au genre de la farce par le fond; mais il étincelle d'une foule de détails et de traits d'observation qui sont dignes de la bonne comédie. Si l'on veut juger cette pièce comme quelques critiques l'ont fait, d'après le Code pénal et d'après le parfait Notaire, il est certain qu'elle n'est pas très-légale, et qu'un procureur de roi en sortant pourrait rendre plainte en supposi tion de personnes; mais un ouvrage de théâtre, une folie ne se jugent pas en bonnet carré et en robe d'hermine. C'est sans doute le voisinage de l'École de Droit qui a inspiré des réflexions si graves à certains docteurs. Ils me rappellent ce notaire qui, allant à la comédie pour la première fois, dit en sortant que la pièce l'avait amusé; mais que le mariage était nul, parce qu'il y avait surprise évidente dans la signature du contrat.

Je conviens que le Crispin du Légataire universel ne réussit pas dans sa friponnerie, mais elle fait du mal à quelqu'un. On peut d'ailleurs répondre que dans le chef-d'œuvre de Lesage, les voleurs sont heureux; si la fortune de Turcaret finit, celle de son laquais commence. Il y aurait quelque chose d'odieux et d'insupportable dans l'Enfant trouvé, si Delbar agissait par intérêt, au lieu d'être dirigé par sa seule amitié pour St.-Jules. Peut-être même, pour ménager la pudeur de notre siècle si éminemment délicat, les auteurs auraient-ils bien fait de supposer que les parens véritables du banquier se font connaître, au moment même où il vient d'être reconnu par ses parens postiches. Ceux-ci auraient été bien mariés et auraient craint de perdre les vingt mille francs de rente qui ont opéré entre eux une si puissante sympathie; leur désespoir de se trouver unis après la joie qu'ils en ont d'abord témoignée, leurs fureurs, leurs recours même contre l'avoué eussent été selon moi d'un excellent comique. La morale eût été satifaite, et c'est un point essentiel dans un temps où il y en a si peu. Mais les auteurs out été plus courageux et plus vrais, ils ont voulu prouver qu'aujourd'hui avec de l'or ou pouvait tout faire facilement et impunément. Ils ont prouvé qu'ils étaient observateurs, et ils ont frappé juste.

Je suis, etc.

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SCÈNE DE LA NATURE SOUS LES TROPIQUES, ET DE LEUR INFLUENCE SUR LA POÉSIE; SUIVIES DE CAMOens et José INDIO; PAR FERDINAND DENIS (1).

L'AMÉRIQUE fut découverte, et toutes les basses passions des autres parties du globe se précipitèrent sur ce nouveau continent comme sur une proie. La civilisation, bardée de fer, armée de tonnerres, traversa les mers, et, du haut de ses citadelles flottantes, parut devant des rives à demi-sauvages, semblable à ces aurores menaçantes qui brillent quelquefois au milieu des ténèbres. Un cri d'amour s'éleva de la plage; les vaisseaux répondirent par un cri de mort. Chaque peuple d'Europe choisit un peuple d'Amérique pour le dévorer. Nous allions faire des chrétiens! mais où puiser l'eau pure du baptême? Les fleuves, les fontaines toutes les sources étaient ensanglantées. La cupidité seule poussait à ces aventureuses expéditions: bientôt on vit des fortunes rapides comme des larcins, des domaines aussi grands que des provinces, et du bétail humain.

Que d'années s'écoulèrent avant que la philosophie vint à son tour visiter ces solitudes que l'invasion avait rendues plus vastes! Ce fut lorsque les mines appauvries ne livrèrent qu'à regret l'or et l'argent de leurs filons, que des sages, altérés d'une soif de science,

(1) I vol. in-8. de 500 pages. Prix : 6 fr. et 7 fr. 50 cent. par la poste, papier vélin, 12 fr. Chez Louis Janet, libraire, rue SaintJacques, n. 59.

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s'enfoncèrent dans le Nouveau-Monde, pour y exploiter la nature ambitieux, seulement de s'enrichir d'un coquillage, ou de conquérir une fleur. Ils furent les premiers qui apprirent aux Américains que l'Europe était habitée par des hommes.

Fatigués des tracasseries de la vie sociale, nous voudrions quelquefois comme eux nous embarquer pour ces contrées où le repos semble devoir régner avec la solitude, où les vices n'ont peut-être pas encore détrôné les passions. Mais que de distances à franchir! Il faut rester enchaîné sur la rive européenne, à moins que quelque magicien ne vienne à notre aide, et ne nous transporte, sur les ailes de l'imagination, dans ces lieux situés au-delà des mers. Le prodige est opéré; la nature de l'Amérique, les émotions que son aspect fait naître, les habitudes morales des indigènes, Bernardin de Saint-Pierre et M. de Châteaubriand nous ont tout fait voir, tout sentir, tout connaître.

Si nous nous arrêtons un instant devant ces deux écrivains, nous trouvons dans leurs ouvrages, pour quelques traits de ressemblance, de frappantes oppositions. L'un et l'autre se plaisent peut-être trop à peindre les sites qui les ont frappés : leurs descriptions multipliées paraissent confuses comme la surface même du Nouveau-Monde. M. de Châteaubriand répand sur les objets une teinte sombre et sévère : c'est leur grandeur qui l'émeut; c'est leur majesté terrible qu'il veut nous montrer pour atteindre ce but, il outre souvent ses images, il enfle ses expressions; au lieu de rendre sa pensée, il la dépasse. Bernardin de SaintPierre, heureux sans doute d'avoir écrit le premier, s'est renfermé dans les limites strictes de la nature;

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