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au désastre des deux légions et vient tomber aux pieds de Germanicus; mais il faudrait que quelqu'un fit attention à lui. Quelques soldats devraient le voir venir et témoigner leur douleur et leur pitié à son aspect, comme les Troyens en apercevant le Grec Achéménide. Un peu plus loin paraissent des soldats tellement imités du tableau des Termopyles de David, qu'on y trouve jusques au Léonidas réduit à de petites proportions. Dans tout ce groupe pas un signe de tristesse, pas un regret, pas une larme. En face, sur un plan moins élevé, un vieux soldat, le menton appuyé sur sa bèche, et sans aucun signe d'émotion, a l'air d'un invalide qui se repose sur sa béquille.

On n'éprouve ni horreur ni pitié devant cette composition muette. Elle ne manque pas de mérite sous le rapport du dessin, et de quelques attitudes; les deux jeunes soldats qui apportrent ou montrent des ossemens que leur centurion vient de découvrir, sont vrais, de mouvement et d'action. Il faut encore louer chez M. Abel le style de certaines parties; dans les sujets romains ou grecs, on fait bien de se souvenir de David qui leur imprime un si beau caractère. Mais pourquoi. l'ensemble de la couleur du tableau lui donne-t-elle l'air d'une fresque, ou d'une gravure coloriée; ici pas de relief, nulle puissance de pinceau, pas même une ombre de magie.

Des amis indiscrets ont donné des applaudissemens à M. Abel de Pujol, mieux vaudrait un sage ennemi, qui lui criât sans ménagement perfide: « Vous vous êtes trompé; votre tentative était hardie, généreuse même ; tout ce qu'on pourrait y louer, c'est la hardiesse de la tentative; mais oser sans succès embrasser une

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grande tâche et ne pas la remplir, n'est-ce pas faire éclater sa faiblesse par sa témérité? » M. Abel de Pujol, plus heureux dans le dernier salon que dans celui-ci, avait obtenu de justes éloges pour des tableaux qui annonçaient du talent, quoique déjà marqués du defaut grave d'une certaine froideur. il y a du moins un assez bel effet de lumière et de la science du dessin dans l'Ixion que cet artiste a exposé cette année.

Auprès de Germanicus se trouve placé une production plus faible encore, c'est le martyre de saint Etienne par M. Mauzaisse (1), espèce de contre-épreuve où tous les personnages sont blêmes de la tête aux pieds, les figures également boursoufflées, les expressions à peu près uniformes. Sur l'un des premiers plans du tableau est ce furieux dont le corps avancé par un mouvement violent, se trouve disposé de manière à ce qu'on le prendrait pour un centaure. Son voisin lui ressemble tellement par les traits, par la forme, par le genre de sa colère, qu'on dirait deux frères jumeaux. Vers la droite du tableau, paraît une espèce de géant posé comme un modèle d'académie, qui ne doit pas remuer .devant les élèves occupés à saisir son attitude imposée. La figure du saint paraît massive, sa tête trop grosse, trop courte et trop'ronde, l'auréole qui l'environne manque de légéreté. J'ai vu de bien meilleures productions de M. Mauzaisse; heureusement son. Henri IV à cheval est plus digne du talent dont il a souvent fait preuve. Le cheval quoiqu'un peu ramassé a de la vérité; il vit et marche, peut-être ne fallait-il pas le choisir de couleur blanche; alezan ou bai, il produi

(1) No 1103.

rait un meilleur effet sur le fond clair du tableau. La figure du Béarnais allie la bonte à une certaine noblesse; elle est touchée avec esprit; le corps est bien posé, l'attitude simple et naturelle. L'artiste s'était imposé une difficulté qu'il a surmontée assez habile

ment.

n'est

Monsieur Laucrenon, renoncez pour toujours à faire de jeunes filles qui viennent voir le Scamandre (1). Ce pas que la vôtre ne soit une fort jolie visiteuse; mais quelle expression lui trouvez-vous? Est-ce de la pudeur, de la candeur ou de l'amour? choisissez. Que dire encore de ce fleuve si blanc, si rose, si niaisement joli, d'une physionomie si étrange et d'une couleur si fausse?

Vous, monsieur Guerin-Paulin, donnez-nous encore des Abel et des Cain pour effacer la faiblesse de votre Ulysse ou plutôt de votre Polyphème (2) en butte au courroux de Neptune. Un artiste comme vous ignoret-il que les dieux gardent leur majesté jusque dans leur colère? Rappelez-vous le quos ego de Virgile; et ne prêtez plus au souverain, qui, rival de Jupiter, apaise d'un regard l'empire des ondes, l'expression vulgaire d'un vieillard, armé d'une fourche pour percer quelque loup furieux. On reconnaît pourtant la vigueur de votre pinceau dans cette composition; mais voilà tout. Employez mieux un beau talent, et choisissez des sujets plus dignes de vous. La poésie inspire, mais quelquefois elle trompe les peintres; il faut délibérer ̧ long-temps avant de transporter ses images sur la toile..

(1) No 1010.

(2) No 836.

Pourquoi la vérité ne permet-elle pas de cacher & M. Allaux que sa Pandore et son Mercure (1) sont la plus bizarre composition qu'il pût imaginer. Le dieu qui remplissait avec tant de dextérité les messages de l'Olympe, a un air stupide qui donne un démenti à sa réputation. Quant à Pandore, assurément elle n'a point encore reçu les dons célestes, car elle est sans charmes, sans grâces, et sa figure annonce le manque absolu d'esprit. Au reste, il n'est pas de femme qui ne fût désagréable à voir dans la position ridicule où l'artiste a supposé la jeune merveille qui enchanta tous les dieux de l'Olympe. On prétend trouver quelque mérite dans la couleur de ce tableau ; elle me paraît monotone, sans opposition et factice. Nulle différence entre le dieu et Pandore. Ce n'est pas ainsi que David avait représenté le beau Pâris auprès de la belle Hélène.

On serait injuste de ne pas reconnaître du talent et de belles parties dans le saint Vincent de Paule de monsieur Meynier (2). La composition offre un ensemble dont les scènes sont en harmonie entre elles. Les gran des dames que le charitable prêtre implore pour ses enfans, ne montrent pas sur leur figure l'émotion que devrait produire une éloquence si naturelle; mais elles vivent, elles écoutént. En face d'elles deux sœurs 'de la charitě retracent à quelques égards la manière de Philippe de Champagne ; je ne ferai point au peintre le reproche de la froideur de leurs figures ; le cloître éteint le feu des passions qui nourrit la sensibilité ; l'habitude des mêmes spectacles en détruit l'effet. Une

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femme du monde surprise par l'aspect de la misère et des souffrances, doit être plus touchée que la religieuse qui se consacre à les soulager. Nouvelle raison de blâmer la froideur de madame de Miramion et de la duchesse d'Aiguillon.

Dans toutes ces petites filles déjà grandelettes, je crois voir une famille de sœurs tant elles se ressemblent par les traits, la pose, les formes, et surtout par le teint Je désirerais au milieu d'elles des enfans en bas âge pour accroître la pitié. Malheureusement on trouve rarement une expression naïve, une figure heureuse, une physionomie particulière dans les différens groupes. L'abandon que suppose l'empressement de ces orphelines, à se précipiter entre les bras de leurs bienfaitrices ne se trouve que sur le livret. Quoi! pas une de ces caresses qui sont des impulsions du cœur et qui ont tant de grâce! Aucun signe de cette familiarité qui charme dans l'enfance lorsqu'elle ne connaît pas ou qu'elle a déposé ses craintes! Ce n'est pas tout que de faire des corps animés, des visages qui aient l'aspect de la figure humaine, il faut savoir aussi exprimer les affections de l'ame. Un tableau comme celui de monsieur Meynier, avec un dessin négligé et même une couleur un peu vague, pourrait encore avoir un grand prix, s'il était riche d'expressions variées comme le demande la nature du sujet, qui est tout entier de sentiment. La tête du saint exigeait surtout une création du talent. L'éloquence vient du dedans et se montre au dehors par des signes certains. Le front, les yeux, la couleur du teint, l'attitude, les mains de l'homme à qui la Charité a fait des entrailles de père comme à saint Vincent de Paule, subissent une méta

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