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morphose soudaine, et ajoutent beaucoup de pouvoir aux paroles. Rien de tout cela dans le principal personnage du tableau; on ne voit en lui qu'un vieillard qui retrace la laideur de certains traits de Socrate, sans ce front sublime et ces regards divins que David avait si bien saisis dans une inspiration de l'antique. On pourrait encore voir dans le saint Vincent de Paule une espèce de Silène ou de grotesque tracé par un pinceau tantôt heurté sans bonheur, tantôt enclin à la manière tourmentée.

La couleur est vraie dans quelques figures, mais il règne dans les autres une pâleur uniforme; on dirait que tous les personnages ont respiré un air mal sain, et qu'ils ont tous pâli au même degré comme s'ils avaient tous eu les mêmes couleurs avant la maladie qui vient de les effacer. De-là une froideur et une monotouie que l'œil a peine à supporter; il n'est retenu par rien, et glisse indifféremment sur tous les objets qu'on lui présente sans art et sans choix. Peindre c'est faire, illusion, c'est séduire, c'est attacher. Monsieur Mey nier le sait et possède le talent nécessaire pour remplir les conditions premières d'un art qu'il a cultivé avec succès. On se rappellera toujours avec plaisir son charmant tableau de Télémaque et d'Eucharis, l'un des plus heureux larcins de la peinture à la poésie. Peut-être l'artiste est-il plus fait pour des scènes de ce genre que pour celle qu'il a choisie cette année. Qu'il tienne donc conseil avec son talent, et puissions-nous le revoir tout-à-fait digne de lui-même à la prochaine exposition!

L'AMATEUR SANS PRÉTENTIONS.

VOYAGES DANS LA RÉPUBLIQUÉ DE COLOMBIA, EN 1822 ET 1823, PAR G. MOLLIEN; ouvrage accompagné de la carte de Colombia, et orné de vues et de divers costumes (1).

PREMIER ARTICLE.

L'ATTENTION de l'Europe se partage aujourd'hui entre les efforts héroïques de la Grèce, pour échapper au joug d'une oppression barbare, et ceux de l'Amérique Méridionale pour fonder son indépendance: tout ce qui nous vient de ces deux contrées excite à un haut degré l'intérêt public. Nous connaissons bien la Grèce ; nos relations journalières avec le Levant, ne nous laissant rien ignorer de ce qui concerne les progrès et les institutions des Hellènes. Nous sommes moins heureux en ce qui touche les empires naissans du NouveauMonde; des récits contradictoires, sur le caractère et les mœurs de ces peuples, sur leur situation politique et sociale, tiennent l'opinion en suspens. C'est dans un tel état de choses que M. Mollien, voyageur intrépide, observateur plein de sagacité, nous présente le résultat de ses recherches, nous décrit les lieux, nous retrace la physionomie des sociétés, nous révèle le secret de leur force et celui de leur faiblesse. Le moment est bien choisi; tous les hommes éclairés, tous ceux qui s'intéressent aux grands mouvemens de la civilisation, s'empresseront de lire le Voyage dans la république de Colombia, et de suivre M. Mollien sur les sommets

(1) 2 vol. Prix: 13 et 14 fr., les figures coloriées. A Paris, chez Arthus Bertrand, rue Hautéfenille, no 23.

escarpés de la Cordilière, au fond des vallées où l'Indien construit sa hutte au milieu des bananiers, dans des villes d'où le cri d'indépendance a retenti jusques dans les sombres forêts, où la hache de l'industrie n'est pas encore parvenue.

M. Mollien explique ainsi les motifs de son expédition. « La lutte sanglante que soutenait l'Amérique Espagnole, la révolution extraordinaire qui s'y était opérée, et qui avait ouvert la porte de ce continent, si long-temps fermée aux étrangers; tout excitait, au plus haut degré, ma curiosité: je brûlais du désir de la contenter; une occasion s'offrit, j'en profitai. Un bâtiment de guerre allait être envoyé dans la mer des Antilles, pour y protéger notre commerce; je søllicitai la faveur d'y être embarqué : on me l'accorda. »

Le vaisseau de M. Mollien devait toucher aux ÉtatsUnis. Ce fut le 26 septembre 1822 qu'il aperçut les côtes sablonneuses de la Virginie; bientôt il arriva à Norfolk, l'une des villes les plus commerçantes de l'Union fédérale; il se rendit à Washington, et, en naviguant dans le Potomack, il distingua Mont-Ver- . non, demeure célèbre du grand Washington: son architecture est simple, dit le voyageur, mais que de souvenirs intéressans elle fait naître !

Les remarques de M. Mollien sur les États-Unis sont très-courtes et demanderaient quelques explications de plus d'un genre; il a vu un peu trop rapidement'; mais hátons-nous de le suivre dans les pays où il a éjourné. C'est là surtout qu'il mérite notre attention: il arriva à Carthagène le 17 novembre, et se disposa bientôt à pénétrer dans les Cordilières. C'était l'objet de tous ses vœux.

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Il faut lire dans l'ouvrage même le détail de toutes

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les fatigues que M. Mollien éprouva pour arriver au Socorro, province importante de la république de Colombie, et qui a été le berceau de son indépendance. Le premier mouvement insurrectionnel du Socorro se manifesta pendant la guerre de la révolution américaine. En 1781, le Socorro se souleva au sujet du droit d'Alcavala. Pour la première fois la population américaine courut aux armes : on marcha contre les insurgés qui s'étaient avancés jusqu'aux portes de Bogota. L'archevêque, homme fort estimé, alla à leur rencontre, et parvint, par la persuasion, à apaiser ce mouvement. L'archevêque reçut la vice-royauté pour prix de ce service important. L'Espagne inquiète s'oc cupa à décimer la population nombreuse et mutine du Socorro; elle en envoya une grande partie périr dans les plaines insalubres de la côte.

L'Espagne, dit l'auteur, crut son empire rétabli comme auparavant. Les fondemens en étaient ébranlés. Chaque secousse que ressentait la métropole, retentissait jusque dans le dernier hameau de l'Amérique.

» En 1794, la fermentation dėvint générale dans la Nouvelle-Grenadẹ. On avait eu connaissance de l'état politique de la France; les principes de la révolution s'étaient glissés dans l'Amérique du sud, et l'on était même parvenu à imprimer à Santa-Fé la Déclaration des Droits de l'homme. Ce mouvement fut bientôt comprimé; les exemplaires de l'ouvrage furent brûlés, et les traducteurs, jeunes encore, furent envoyés en Espagne, les fers aux pieds.

»Toutes ces mesures, ne pouvaient arrêter le danger qui menaçait la métropole; elles le retardaient seule

ment. »

Ce fut la nouvelle de l'emprisonnement du roi d'Espagne qui, en 1808, incendia tous les esprits. Des agens français arrivent, au nom de Joseph, exigent de Caraccas le serment de fidélité; on répond à leurs ordres par les cris de Vive Ferdinand VII, par la destitution des employés souçonnés d'attachement pour les Français. Ce premier acte, ajoute l'auteur, fut le signal de l'indépendance; car la folle expédition de Miranda, soudoyé par l'Angleterre, en 1806, n'avait abouti qu'à la prise de quelques places. Chassé de ses conquêtes éphémères, ce général n'avait eu que le temps de se sauver à la Trinité.

«Par un choix inexplicable, l'Espagne n'avait donné le commandement de ses troupes qu'à des vieillards ineptes et sans courage. Les soldats qu'ils commandaient, amollis par une longue oisiveté, gagnés à prix d'argent, séduits par les caresses de leurs familles, ne demandaient qu'à trahir la cause de l'Espagne. Déjà la ville de Quito révoltée, en 1809, n'était rentrée dans le devoir qu'avec beaucoup de peine; elle fut la première à se soulever encore en 1810. Ce mouvement fut sans influence dans le reste du pays. Il n'en fut pas de même de celui de Caraccas. Il éclata le 19 avril 1810; un manifeste le suivit. Le but qu'on se proposait, disait-on, était de se mettre à couvert des prétentions de l'Europe, des intrigues du cabinet français et des desseins que la junte centrale pouvait avoir sur ce pays; de maintenir le caractère politique, de soutenir la dynastie légitime d'Espagne, de soulager Ferdinand VII, quand il sortirait de captivité, et de conserver la gloire du nom Espagnol, en offrant un asile aux réfugiés de la Péninsule.

» La révolution ne tarda pas à éclater à Santa-Fé. Les habitans prirent les armes sous le prétexte que les

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