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troupes de Bonaparte allaient entrer dans la NouvelleGrenade. Le 23 juillet 1810, il se forma une junte qui reconnut la souveraineté de Ferdinand VII. En même temps on envoya à Caraccas un courrier pour annoncer les résolutions qui venaient d'être prises, en y joignant l'ordre d'y souscrire. Caraccas ne cacha plus alors ses projets, et répondit qu'elle n'adopterait que la forme de gouvernement qu'établiraient ses repré

sentans.

La nouvelle de ces résolutions se répandit bientôt dans toutes les provinces ; et chacune d'elles, se déclarant indépendante, eut son congrès, ses représentans, ses ministres, ses présidens. L'on vit, par une nouveauté singulière, des ministres de vingt et un ans, et des présidens de vingt-quatre ans; une jeunesse active et entreprenante s'empara des affaires.

En 1814, après le rétablissement de la paix en Europe, les Espagnols parurent en Amérique. Pleins de confiance dans leurs forces, ils dédaignèrent les moyens 'de persuasion, et pour apaiser ces peuples, ils commencèrent par verser leur sang. Une telle conduite produisit ses résultats naturels. Une lutte d'extermination s'engagea entre les deux partis. Il devint alors facile de prévoir que malgré l'avantage de la discipline européenne, les Espagnols ne réussiraient jamais dans leur entreprise. Les victoires mêmes devaient être stérilės. Si l'Espagne régnait encore, ce ne pouvait plus être que sur des ruines et des déserts.

⚫ Cependant Miranda était revenu à Caraccas en 1811, et avait obtenu le commandement des troupes; trompé dans toutes ses espérances, il tomba entre les mains des Espagnols. Cet agent de l'Angleterre, conduit de prison en prison, alla mourir dans celle de Cadix.

L'Espagne se croyait arrivée au terme de ses espérances. Bolivar paraît alors; Bolivar qui vivait à Curaçao, sous la protection anglaise, entreprit de délivrer son pays et de jouer le rôle de Washington. Ses premières tentatives furent marquées par des succès et des revers. Il escalade la Cordilière et paraît dans la ville de Tunja. «Il allait, dit M. Mollien, y demander un asile, il y trouva des victoires. » Il était dans les rues de Santa-Fé au moment qu'on le croyait encore avec son armée dans les montagnes.

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Abandonné de nouveau par la fortune sous les murs de Carthagène, il s'exile comme Marius, s'embarque pour la Jamaïque, et visite Saint-Domingue. Un Hollandais, nommé Brion, lui offre sa fortune. Bolivar part pour le continent, descend à la Marguerite, passe à la Guiane, et harcèle dans ces déserts les généraux qui, de Caraccas, s'avançaient pour le combattre.

Un nouvel ennemi se présente; c'est Morillo qui arrive d'Espagne avec des forces bien disciplinées. Toutes les chances paraissent en faveur de la métropole, le joug de l'Europe semble partout reconnu; les moyens les plus terribles sont employés pour glacer d'effroi des insurgés.

L'orgueil européen, dit M. Mollien, avait persuadé à la plupart des soldats venus d'Espagne que les Américains étaient sans énergie et sans courage; ils les traitaient avec le même mépris que Quésađa, Pizarro et Cortez, avaient eu pour les Indiens.

Mais les temps étaient changés; à des hommes mal armés et effrayés à la vue des Espagnols, avait succédé une race douce, mais courageuse; elle savait qu'elle valait les hommes d'un autre hémisphère. Plus Morillo faisait fusiller d'Américains, plus il augmen

tait le mécontentement. Ceux-ci s'étaient imaginés que les Espagnols reviendraient au système de douceur et de paternité qu'ils avaient suivi pendant trois siècles; ils ne trouvaient au contraire en eux que des bourreaux. Ils avaient espéré que les Espagnols regarderaient comme leurs frères des hommes recommandables par leurs connaissances; les Espagnols s'étaient håtés de leur apprendre que l'instruction était un titre de proscription et de mort. Les généraux espagnols, après avoir assouvi leur fureur et satisfait leur orgueil, en humiliant les hommes du Nouveau-Monde, qui avaient prétendu s'égaler à eux, se croyaient assurés à jamais de l'obéissance du reste des habitans, prenaient le silence de la terreur pour une soumission complète, et vivaient dans une profonde sécu→ rité. »

Mais Bolivar, dans les forêts de l'Orénoque, méditait de nouvelles entreprises. La province de Cavanare lui fournit des soldats; il reparaît dans la Cordilière, extermine le général espagnol Barreira et son armée, et entre triomphant dans Santa-Fé. « Bolivar, dit notre voyageur, n'était plus alors un partisan obscur. Échapper à Morillo, s'emparer de la capitale de l'empire, en chasser le représentant de la métropole, défaire, avec quelques sauvages, huit mille hommes de troupes réglées, avaient élevé le vainqueur de Barreira à un rang redoutable dans l'opinion.

» Maître de Santa-Fé, Bolivar redescendit promptement dans les plaines de Caraccas. Souvent ses soldats eurent à y combattre les troupes de Morillo; le suc cès fut égal. Le chef des indépendans fut plus heureux dans une entrevue qu'il eut avec le général des Espar gnols. On convient d'une trève de six mois; l'Amér¡

cain la viole en se rendant maître de Maracaibo; les hostilités recommencent.

Morillo était retourné en Espagne; Latorre lui avait succédé dans le commandement de l'armée. Il fut attaqué par Bolivar, et mis en déroute ; il n'échappa à l'ennemi qu'en se réfugiant dans les murs de PuertoCabello.

On peut dire que la guerre de l'indépendance de la Colombie est terminée. Les faibles tentatives que les Espagnols ont faites depuis cette époque, n'ont eu pour résultats que de fortifier le parti vainqueur. La nouvelle république est fondée sur le modèle des ÉtatsUnis. Dans un pays aussi vaste, composé de provinces séparées par de grands espaces, c'était le seul mode possible de gouvernement. M. Mollien n'est pas de cet avis; il ne voit dans l'organisation politique de la Colombie qu'une mauvaise copie du gouvernement fédéral. S'il existe en effet des défauts dans les nouvelles institutions, l'expérience suffira pour les indiquer, et l'intérêt général pour les faire disparaître. Toutes les sociétés ont leurs besoins qui résultent de leur situa– tion, des mœurs, des opinions, des préjugés même des. peuples; ces besoins se manifestent jusqu'à ce qu'ils soient satisfaits. Il y eut aussi des inquiétudes, des agitations lorsque la république des États-Unis procéda à son organisation définitive; mais les nécessités socia les prévalurent, et firent naître cet ordre de chose qui convient parfaitement aux peuples des États-Unis. Le besoin de l'ordre finit toujours par triompher des excès de l'anarchie ou des exigéances du despotisme..

Bolivar, dit M. Mollien, a quarante-deux ans. Son désintéressement est généralement vanté; ses appointemens sont en grande partie destinés au paiement

des pensions qu'il alloue aux femmes ou aux enfans des militaires morts dans les combats; quoique son éducation ait été négligée, un séjour assez long en Europe lui a donné un goût décidé pour l'étude des langues et de l'histoire ; ses progrès ont été rapides. On l'a comparé, comme général, à Sertorius. En effet, la manière de faire la guerre, ses longues courses pour atteindre son ennemi, la célérité avec laquelle il parcourt des distances immenses pour le rencontrer, donnent plutôt l'idée d'un partisan hardi que d'un général habile à disposer des masses. Deux mille hommes de plus embarrasseraient peut-être ses calculs. »

J'ignore si le génie militaire de Bolivar est aussi circonscrit que M. Mollien le présume, et s'il est, en effet, incapable de manier de grandes masses; mais de ce qu'il a adopté le système de Sertorius, il ne s'ensuit pas qu'il n'eût assez de capacité pour conduire de grandes armées; il serait même raisonnable de conclure le contraire, car il est évident qu'il a choisi les moyens les plus efficaces pour obtenir de grands succès. Ge choix prouve une sagacité d'esprit qui n'est pas commune. Bolivar a fait la guerre qui convenait au caractère de ses soldats, et au terrain sur lequel il était placé. Ses victoires ont prouvé la bonté de sa méthode, que' pouvait-on lui demander de plus ?

Dans un prochain article, je parlerai du nouveau gouvernement de Colombie tel qu'il a été institué et qu'il existe aujourd'hui. M. Mollien a recueilli à cet égard de précieux renseignemens. J'examinerai ensuite la partie pittoresque de son ouvrage, ce n'est pas la moins intéressante; on lit M. Mollien avec intérêt même après l'excellent ouvrage de M. de Humboldt. A. JAY.

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