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place dans ses tableaux que la nature. Il faut remar-
quer ce genre de mérite, parce que le défaut con-
traire obscurcit des talens que j'ai loués moi-même. Le
cœur associe le monde entier à ce qu'il éprouve; cn
sent cette vérité en lisant la pièce intitulée la Mer; elle
ne méritrait que des éloges, si l'invocation du poëte
aux grands et sublimes témoins de sa passion était
suspendue par une transition plus heureusement ex-
primée. Il y a bien quelques expressions prétentieuses
et un peu d'emphase germanique dans l'aveu; mais
quel bonheur de pensée, d'image et d'harmonie dans
ces vers!

Tout-à-coup ce front pur doucement se colore,
Un céleste rayon me paraît l'animer;

Notre marche devient plus lente;

Et, le cœur plein d'un doux émoi,
Je sens cette tête charmante,
Faible, pensive et languissante,
Se reposer sur moi.

L'instinct du vrai et un goût délicat n'ont pas permis
au poëte d'ajouter un seul mot à cette image: se taire,
quand tout est dit, voilà le secret du sentiment et le
cachet de l'écrivain.

Parny ne faisait point de reproches aussi durs et aussi amers à son Éléonore, que ceux de M. Guttinguer à la dame de ses pensées plus tendre, notre Tibulle ménageait davantage l'objet de son culte; mais on ne trouve point, on ne pouvait pas trouver chez lui ce trait profond, par lequel se termine l'élégie qui apour titre le Refus.

Ah! je veux ton bonheur aujourd'hui, je le jure :

Mais promets-moi la mort demain.

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On trouve un sentiment à peu près pareil, mais plus touchant, parce qu'il exprime un véritable sacrifice du cœur, dans cet aveu de la présidente de Tourzel : Un seul jour j'ai fait ton bonheur,

Et ton bonheur vaut bien ma gloire.

Sauf quelques taches légères, et cette maudite particule car, qu'on affecte d'introduire dans la haute poésie, et qui ne peut avoir de grâce que dans le genre naïf et familier, l'apparition de l'amante à celui qui a le secret de l'attirer en la nommant, me paraît une véritable composition de poëte; l'auteur a su rajeunir, par des formes nouvelles, une image trop connue. C'est encore du cœur d'un poëte amant, que sont échappés ces vers si mélodieux:

Pourtant je ne veux pas rentrer dans ma demeure;
Je veux rester pour contempler les cieux,
L'onde, les bois silencieux;

Au trouble de mon cœur, je sens que voici l'heure
secondés par les zéphyrs,

Où,

Les messagers des nocturnes puissances
Traversent l'air, chargés de tendres espérances,
De regards, de pleurs, de désirs,

Et vont du sein des fleurs porter aux cœurs fidèles
Les pressentimens du retour

Les doux baisers confiés à leurs ailes

Et tous les rêves de l'amour.

Je te bénis, Imitation de Sterne, ne paraît donner lieu qu'à des éloges pour le fond et pour la forme; cependant cette agréable pièce est une faute aux yeux de ceux qui connaissent tout le prix du bon sens, premier juge des convenances de l'art d'écrire. Quand Sterne dit : « Ma tendre Élisa, je te bénis pour ce monde et

pour l'autre; que cette pensée voyage avec toi et te suive au-delà des mers! Adieu ! Je te bénis !...» Élisa va quitter le sensible Yorick : alarmé comme un père, inquiet comme un amant, religieux comme un infortuné qui met sous la garde céleste l'objet qu'il tremble de perdre, sa bénédiction est un adieu peut-être éternel, il la donne comme un gage d'amour qui doit porter bonheur à l'innocence, il la prononce du ton d'une prière qui va monter au ciel qu'il regarde. Un profond sentiment des mouvemens, des illusions, des mystères et des superstitions d'un cœur tendre, a emprunté au ministère du prêtre l'inspiration d'Yorick, sans blesser ni la vérité, ni la vraisemblance. Mais un amant qui bénit sa maîtresse qu'il reverra demain, et qu'il possède aujourd'hui; mais que les airs, les eaux et Philomèle

mais

que

Disent en sons harmonieux :

Il te bénit, sois-lui fidèle.

l'amant enivré de bonheur ajoute encore:

Et si ton faible cœur un jour,

Fatigué d'un excès d'amour, ́
S'éloignait du cœur qui t'adore....
Eh bien! je te bénis encore.

la raison, le sentiment et le goût repoussent ces fictions trompeuses et fantastiques. Le dernier trait surtout blesse l'observation des mœurs un homme, même violemment épris comme le chantre d'Éléonore ou celui d'Eucharis, pardonne à une infidèle; une femme comme La Vallière, peut seule bénir un amant volage comme Louis XIV. Beet res 57

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Je n'aurais qu'à louer le Dernier Jour d'automne,

si je ne me rappelais un admirable passage des Confessions de Rousseau, qui commence ainsi : « Je me voyais au déclin d'une vie innocente. » Il faut qu'une heureuse jalousie s'empare des poètes, et qu'on ne les voie pas s'exposer à décolorer les tableaux des grands prosateurs; il faut ou respecter ces créations, auxquelles le génie a mis son empreinte et sa couleur, ou prouver, même aux incrédules, que la poésie a des moyens de tout surpasser, et qu'elle peut, grâce à un art presque divin, produire des effets inconnus à sa rivale. Je vais avoir bientôt le bonheur de trouver dans M. Guttinguer, un exemple de la leçon dont il m'a fourni le prétexte.

Cet auteur s'élève beaucoup par degrés; on sacrifierait sans peine et sans perte pour sa réputation, quelques-unes de ses pièces érotiques, où le lecteur ne trouve point assez l'histoire et le charme d'une passion; mais plus on avance dans le recueil, moins on serait disposé à des sacrifices. Parmi ses poëmes, le Talisman est une narration charmante qui vous surprend par des traits de la plus douce sensibilité. La jeune Eliza, folle d'amour, dit à un chevalier admis sous le chaume qui la protége ainsi que sa mère :

Viens sous l'ombre du coudrier :
J'ai besoin d'un cœur qui m'écoute;
Ils sont lassés de ma douleur,

Tous! ils connaissent mon malheur !

Ma mère seule a conservé des larmes
Pour les récits de l'enfant de son cœur......
Écoute chevalier, je fus heureuse un jour
Et c'était du bonheur d'amour,

Et c'était Isolier qui me créait une ame!
J'avais vu seize fois naître et mourir les fleurs,

Quand je sentis cette céleste flamme,

Qui nous coûte à nous tant de pleurs.

La perte du talisman donné à la pauvre Élisa, et la douleur que lui cause la fuite d'Isolier, dont cette perte était le présage, demanderaient à être citées pour la vérité du dialogue et l'accent du cœur. Heureux M. Guttinguer, s'il eût apporté plus de soin ou plus de nouveauté dans son dénouement!

Sa Sunamite m'a paru belle encore après celles de Voltaire, de Parny et de Millevoye; elle a autant d'amour, plus de grâces, sinon dans sa personne, du moins dans sa passion ardente, naïve et retenue pour

tant.

Dors, maître de mes jours, je veille auprès de toi.....
De mes tendres regards j'aime à suivre tes songes.....
Dis en quel rêve heureux maintenant tu te plonges;
Esprit léger, vif et joyeux?

Le bonheur entr'ouvre tes yeux,
Et tandis que mon cœur soupire
Tu ris; ami! quel sentiment t'inspire?
Reverrais-tu d'autres appas?

Oh! non! ton rire est doux, tu ne me trahis pas!

Dans la pièce intitulée l'Église, idée, composition, images, sentimens et style, tout révèle un poëte digne de ce nom. La passion est brûlante et chaste; Héloïse devait s'exprimer ainsi avant sa faute. Les paroles par lesquelles l'amante d'Ernest fait hommage à Dieu de son retour entier à la vertu, dont elle n'a point encore violé les saintes lois, sont pures comme un chant de l'innocence; le repentir le plus sincère n'aurait pu les inspirer à la victime de l'amour, honteuse de sa chute. On lit avec plaisir, et sans être blessé par des traits

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