Images de page
PDF
ePub

fion, on fit quelque difficulté de le recevoir. Meffieurs de la Chambre disoient qu'il n'étoit pas de l'honneur d'une Compagnie aussi grave que la leur, de recevoir dans leur Corps un homme qui avoit fait des Tragédies & des Comédies. Cet incident fut cause qu’un Anonyme fit les vers sui

vans :

[ocr errors]

Quinaut, le plus grand des Auteurs,
Dans votre corps, Messieurs, a dessein

de paroître.
Puisqu'il a fait tant d'Auditeurs,
Pourquoi l'empêchez-vous de l'être ?

Cette opposition ne dura pas longtems; & Quinaut fut reçu.

V. Selon lejugement de M. Remond de Saint-Mard , jamais Quinaut ne s'est mépris, jamais il n'a mis un sentiment à la place d'un autre: bien plus le sentiment n'a jamais parlé un langage qui fût fi vrai, qui fùt si bien à lui ; & c'est ce qui lui fait le plus Tome II,

K

O

d'honneur, parce que le langage du sentiment est peut être plus difficile à attraper que le sentiment même.

VI. Il est certain que Quinaut a pousfé trop loin dans ses Prologues, les louanges qu'il donnoit au Roi. Après la bataille d'Hochftet ,un Prince Allemand dit malignement à un prisonnier François : Monsieur, fait-on maintenant des Prologues d'Opéra en France ?

VII. Un certain nombre de personnes d'esprit & d'un mérite distingué, ne pouvant souffrir le succès des Opéra de Quinaut, se mirent en fantaisie de les trouver mauvais , & de les faire passer pour tels dans le monde. Un jour qu'ils soupoient ensemble , ils s'en vinrent sur la fin du repas vers Lully qui étoit du repas, le verre à la main, & lui appuyant le verre fur la gorge , fe mirent à crier: Renonce à Quinaut , ou tu es mort. Cette plaifanterie ayant fait beaucouprire, on

2

vint à parler sérieusement, & l'on n'omit rien pour dégoûter Lully de la Poësie de Quinaut; mais comme ils avoient à faire à un homme fin & éclairé, leur stratagème ne servoit de rien. On parla de Perraut dans cette rencontre, & l'un de ces Messieurs dit , que c'étoit une chose fâcheuse, qu'il s'opiniâtrât toujours à vouloir solltenir Quinaut ; qu'il étoit yrai qu'il étoit son ancien ami , mais que L'amitié avoit ses bornes; & que Quinaut étant un homme noyé, Perraut ne feroit autre chose

que

se

noyer avec lui. Le galant homme chez qui se donnoit le repas se chargea d'en avertir charitablement Perraut. Lorsqu'il lui eut fait sa salutaire remontrance , Perraut , après l'en avoir remercié, lui demanda ce que ces Mefsieurs trouvoient tant à reprendre dans les Opéra de Quinaut. Ils trou. vent, lui répondit-il, que les pensées ne sont pas assez nobles, aflez fines ni affez recherchées ; que les expref

; fions dont il se sert font trop communes & trop ordinaires, & enfin que

son style ne consiste que dans un certain nombre de paroles qui reviennent toujours: Eh, ne voyez-vouspas, Monsieur, lui répondit Perraut, que fi l'on se conformoit à ce que ces Mefsieurs disent, on feroit des paroles que les Muficiens ne pourroient chanter, & que les Auditeurs ne pourroient entendre ! Vous savez que la voix, quelque nette qu'elle soit, mange toujours une partie de ce qu'elle chante ; & que quelques naturelles & communes que soient les pensées & les paroles d'un air, on en perd toujours quelque chose. Que feroit-ce si ces pensées étoient bien subtiles & bien recherchées , & fi les mots qui les expriment étoient des mots peu usités & de ceux qui n'entrent que dans la grande & sublime Poësie? On n'y entendroit rien du tout. Il faut que dans un mot qui se chante, la fyllable qu'on entend fasse deviner celle qu'on n'entend pas; que dans une phrase quelques mots qu'on a ouis fassent suppléer à ceux qui ont échapé à l'oreille , & enfin qu'une partie du discours suffise

[ocr errors]

feulement pour le faire comprendre tout entier. Or cela ne se peut faire, à moins que les expressions & les pen. sées ne soient fort naturelles, fort connues & fort usitées. Ainsi, Monsieur, on blâme Quinaut par l'endroit où il mérite le plus d'être loué, qui est d'avoir su faire, avec un certain nombre d'expressions ordinaires & de pensées fort naturelles , tant d'ouvrages si agréables, & tous fi différens les uns des autres.

VIII. DESPRÉAUX étant à la salle de l'Opéra à Versailles, dit à l'Officier qui plaçoit: mettez-moi dans un endroit oùi je n'entende point les paroles : j'estime fort la Musique de Lully; mais je méprise souverainement les vers de Quinaut.

IX QUINAUT rechercha l'amitié de Despréaux, & l'alloit ensuite voir souvent; mais ce n'étoit que pour avoir occasion de lui faire voir ses ouvrages : Il n'a voulu se raccommoder

« PrécédentContinuer »