Images de page
PDF
ePub

vent habités ensemble. M. Weston, en quittant Emma, lui avait recommandé le secret; il n'use pas pour luimême de cette précaution si souvent employée, et presque toujours inutile. Aussi bientôt Highbury en sait autant qu'Emma elle-même; celle-ci voit paraître Henriette qui accourt pour lui apprendre l'étrange nouvelle qu'il a lui-même contée à cette jeune personne, et toujours sous le secret. Quel est l'étonnement d'Emma en n'apercevant aucun trouble, pas la moindre apparence de chagrin dans son amie? Auriez-vous jamais imaginé, lui dit celle-ci, qu'il pút étre amoureux de Fairfax, c'est cependant possible, car vous lisez dans le cœur de tout le monde. Ce compliment ne paraît pas très-bien placé dans le moment, car Emma se disait qu'elle ne conçoit rien à tout ce qu'elle entend. Il en résulte une très-longue explication à laquelle je renvoie, et d'où il résulte que Knightley, et non pas Franck, est le héros d'Henriette, que le grand service rendu par premier, et qu'elle trouve bien supérieur à celui d'avoir été protégée contre les Bohémiens par Franck, qu'on l'eut fait danser; ce trait est caractéristique. Nos Françaises n'en doivent pas murmurer; la scène est en Angleterre.

le

c'est

Nous ne suivrons pas Emma dans ses longues et douloureuses réflexions. Le mariage d'Henriette avec Knightley enlévera Donwell à Henri, son neveu. 11 est bien naturel qu'elle lui porte un vif intérêt. Oh! si elle n'eut jamais entrepris de former Henriette...... N'avait-elle pas fait l'énorme folie de s'opposer à son mariage avec Martin.... et si la vanité avait remplacé l'humilité, c'était à elle seule qu'elle en était redevable. Ses réflexions deviennent d'autant plus amères, que par cet événement Emma connaît enfin la véritable situation de son cœur ; elle croyait n'avoir que de l'estime, une très-grande estime pour Knightley, hélas! elle l'aime, lui seul avait pris soin de lui former le cœur et l'esprit.

Nous ne voulons point ôter aux lecteurs la peine d'aller chercher, dans l'ouvrage même, plusieurs situations attachantes, et qui sont amenées naturellement par la position d'Emma, de Fairfax, et même de Franck;

le forté-piano revient aussi en scène, et l'on découvre l'auteur de son envoi. Je me refuse au plaisir de rapporter la conversation de Knightley avec Emma lorsqu'il revient de Londres, c'est un des meilleurs endroits de l'ouvrage. Elle est toute entière résumée dans le passage suivant: Il trouve Emma agitée, abattue; Franck est un monstre. Elle lui déclare qu'elle ne l'a jamais aimé ; Franck n'est pas si noir: Emma aime Knightley, s'il eut alors songé à Franck, il l'eut sans doute trouvé un assez brave garçon. Emma, toute entière à son bonheur, ne se souvient plus que Donwell n'appartiendra pas à son neveu Henri.

Si le cœur d'Emma n'est plus troublé, son esprit éprouve encore de grandes agitations; il faut guérir Henriette de sa passion romanesque, et ce qui ne sera pas moins difficile, obtenir le consentement de M. Woodhouse. Bornons-nous à dire que Henriette, fille naturelle d'un simple marchand, perd à la vérité toutes ses idées de grandeur; mais à la place de ces illusions, elle recouvre la paix du cœur, et trouve un excellent mari dans le fermier Martin. Quant à M. Woodhouse, qui est trèsopposé en général au mariage, et sur-tout à celui de sa fille, un accident assez léger, qui, dans son caractère lui paraît plus redoutable que le mariage même, le porte, non seulement à consentir à celui de sa fille, mais même à le presser.

Dans la peinture comme dans les lettres il est plus d'un genre, et lorsque l'on réussit dans celui auquel on s'est livré, on a encore droit aux éloges. L'un n'achète que des tableaux d'histoire, tandis que l'autre ne forme sa galerie que de paysages. Il faut satisfaire tous les goûts. L'auteur d'Emma a bien tracé ses caractères; ils ont une vérité frappante. Il les a conservés dans toutes les positions où il les place, et le dénouement, ainsi que je l'ai dit en commençant, est naturel, parce qu'il n'aît du caractère de M. Woodhouse. L'action marche avec lenteur dans la première moitié de l'ouvrage'; elle a de la rapidité dans la seconde, sans nuire aux développemens, Les Anglais aiment ces longues conversations dans les quelles une idée reparaît sous diverses formes. Les dis

sertations sont de leur goût. Ils se plaisent à sonder tous les replis du cœur humain; et il est naturel qu'un auteur anglais ait cherché à plaire à ceux pour qui il écrivait. Mais au moment où un traducteur s'empare d'un ouvrage, et veut nous le rendre propre dans sa traduction, il doit aussi chercher à plaire aux lecteurs français. Nous désirons satisfaire promptement notre curiosité; elle est vive, elle est impatiente. Il faut donc savoir élaguer avec goût; nous ne supportons pas une pièce de théâtre, même bien écrite, si l'action en est trop lente. Le traducteur a réussi à donner quatre volumes; avec trois il eut fait un bon ouvrage si.... dois-je le dire, s'il savait écrire en français. Il a gardé l'anonyme, et cela me met à l'aise ; je serais assez enclin à penser que c'est une jeune personne qui apprend l'anglais, et n'a point encore fini son cours de grammaire française. Elle oublie à tout moment la règle qui prescrit de mettre le second verbe à l'imparfait du subjonctif, quand le premier est à l'imparfait ou au plusque parfait de l'indicatif. Il était possible que, rentrés chez eux, ils se rappelaient...... Voulez-vous des locutions incorrectes? Nous n'aimons pas d'étre tenues en suspens; des mots employés dans un sens que notre langue ne leur donne point: elle allait dans peu étre heureuse. et dans l'affluence pour opulence. · Ayant considéré l'éligibilité de la place c'est-à-dire, la préférence qu'on doit lui donner; eligibility of a place, signifie en anglais fit to be chosen, place propre à être choisie, et non pas comme le mot français éligibilité, pour laquelle il faut être choisi. La propriété des mots est une de ces mille choses qu'il est à peu près indispensable de savoir quand on se mêle de traduire, et qu'on livre sa traduction au public. Voulez-vous de l'élégant, du sonore? Vous trouverez, se croire capable de régler la destinée d'un chacun il était plus clair que le jour, que c'était de lui que je parlais. J'ai si peu de confiance en moi, que j'espère que quand... Les amateurs du néologisme pâliront de dépit pour n'avoir pas trouvé que la vue et l'odorat étaient également gratifiés : il faut pacifier un cœur, on peut magnifier un défaut. En voilà assez et même trop pour donner une

:

juste idée des talens de l'anonyme, et comme il n'y a qu'une jeune pensionnaire que je puisse croire capable d'écrire ainsi, je lui adresserai le vers suivant, parodié du législateur du Parnasse:

Sachez plutôt broder si c'est votre talent.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

En se servant ainsi plusieurs fois des mêmes termes, il faut bien qu'il en fasse au moins une fois un heureux usage. L'auteur, en parlant des débris du char d'Agénor, appelle cela des écueils imprévus; ce sont cependant les seuls que l'on puisse prévoir en pareil cas, et lorsque tant de chars s'élancent à la fois, il est très-probable qu'il y en aura quelques-uns de brisés. Cette épithète est plus justement placée dans le passage suivant; il s'agit de la révolte des gladiateurs et de la guerre sociale, que M*** appelle la guerre servile pour faire rimer à Sicile.

Le secours de la nuit brise leur esclavage ;
Le jour les trouve armés et guide leur courage.
Les marteaux de Vulcain, la hache, les fléaux,
Et le soc nourricier, et la tranchante faulx,
Instrumens imprévus de guerre et d'épouvante,
Sont tombés au hazard sous leur main menaçante.

Il est dommage seulement qu'instrumens imprévus ne soient que la répétition anticipée de tombés au hasard qu'on lit dans le vers suivant, et qui affaiblit l'hémistiche précédent.

On trouvera aussi que le premier vers sent plus l'école moderne que celle des Boileau et des Racine. A la suite de ces vers on en trouve un qui offre une imitation trop frappante d'un vers de Lebrun, devenu proverbe :

Le désespoir armé ne pardonne jamais.

Ce vers n'a coûté à M. *** que des frais de mémoire, et il lui a suffi de se rappeler, ce qui est assez facile à un auteur, que

L'amour propre offensé ne pardonne jamais.

Mais ce qui mérite aussi de prendre place dans la mémoire des amateurs de jolis vers, c'est le passage suivant. Tous ceux qui ont eu le plaisir d'être couronnés au collège, en reconnaîtront la vérité et lui devront d'heureux souvenirs.

Les yeux sur son aïeul, l'ingénu Pisidore,
Modeste dans la gloire, adolescent encore,
Impatient d'atteindre à des succès nouveaux,
Sur les pas des guerriers marche à pas inégaux.
Et son front engagé dans sa large couronne,
Brille comme une fleur que la feuille environne.

Ce tableau est plein de grâce, et je crois que c'est la première fois que la poësie s'en est emparée. Il se reproduit cependant chaque année sous nos yeux aux distributions de prix. Que de choses non moins intéressantes frappent aussi souvent nos regards! nous les regardons avec indifférence et nous attendons pour en sentir le charme que le génie observateur les ramène sous nos yeux et les entoure du prestige de son talent. Remarquons aussi qu'un des plus jolis traits de ce passage est encore une imitation.

Sur les pas des guerriers marche à pas inégaux,

il rappelle le vers de Virgile:

Sequiturque patrem non passibus æquis.

C'est sans doute pour témoigner sa reconnaissance à l'auteur de l'Eneide, qui lui a fourni ce trait, que l'auteur des Trois Ages prétend que les ouvrages de ce poëte ont rendu

Rome moins factieuse et son maître plus juste.

Son génie a changé les mœurs de l'univers.

« PrécédentContinuer »