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J'oserais célébrer, dans mon brûlant délire,
Cet air où la bonté s'unit à la candeur.
Je chanterais aussi cet aimable sourire,

Ce feu vif et piquant qui brille dans tes yeux,
Tous ces trésors secrets, nobles présens des dieux,
Le doux son de ta voix et ton art de séduire.
Trahi par Apollon je fais parler mon coeur.
D'un sexe trop jaloux crains d'éveiller l'envie;
Songe à cueillir des fleurs pour l'hiver de ta vie,
Et dois à tes vertus ton calme et ton bonheur.

Par M. CHARTIER DE CHENEVIÈRES.

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L'on voit en nous deux sœurs étroitement unies,
Egales en grandeur et de même beauté;

On nous apprit sur-tout à nous montrer polies?
Nous aurions sans cela bien peu d'utilité.
On nous place souvent en des maius très-serviles;
Quelquefois nous brillons entre les doigts d'Hébé.
Sitôt qu'on nous sépare on nous rend inutiles.
Cependant on prend garde à notre réunion,
Car par-tout nous portons de la division.
Nous n'avons pourtant poiut un mauvais caractère:
C'est la faute d'autrui. Manquons-nous de le faire?
Un homme fort brutal nous donne la leçon.
Il nous met tout en feu: voyez notre misère.

CHARADE.

Un remède que prend à propos mon premier,
De son maître parfois éloigne le danger.
Le canonnier adroit tirant sur mon dernier,
Au point qu'il ajustait fait faire mon entier. ***

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LOGOGRIPHE.

Je suis ce que je su's sous plus d'une figure.
Je dois mon être à l'art ainsi qu'à la nature.
Bien souvent j'ai trois pieds et je ne marche pas;
Je n'ai j mais qu'un bras.

En tout lieu, dans tout temps, on me croit fort utile;

On me voit en campagne, on me voit à la ville.
Je dois au feu ma forme, et par un sort fatal,
On me remet au feu pour appaiser un mal.

Neuf, dix, six, sept et trois, je montre du caprice;
Sept, neuf, dix, je fais voir un péché de malice.
Cependant lorsqu'on rend hommage à l'éternel,
Avec un sept, neuf, cinq, on me voit sur l'autel.
Neuf, deux et six, je crains une patte cruelle.
Trois, sept, huit, neuf e. dix, le défaut d'une belle.

Je deviens animal avec un cinq, six, trois;

Ma mort fait le plaisir des princes et des rois.

Tu peux me deviner, je suis assez publique.

Je of re même encor deux notes de musique,

Mais prends cinq, six et dix pour la belle saison;
Car sans deux, sept et neuf tu ments comme un oison.

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Mots de l'Enigme, de la Charade et du Logogriphe insérés dans le dernier numéro.

Le mot de l'Enigme, est la Balle de paume, Celui du Logogriphe est Metamorphose, où l'on trouve Or, Astrée, Tros, Rapi, Orphice, Hersé, Atropos, Atrée, OEta, Métra, Protée, Erato, Pomme.

Errata du numéro précédent.

Page 152, première ligne du Logogriphe, au lieu de onze pieds,~ lisez douze pieds.

LE FRANÇAIS A VENISE.

Anecdote du quatorzième siècle.

Henri Marolle, fils unique d'un riche armateur de Nantes, voyageait depuis quatre ans pour son instruction et pour son plaisir. Il parcourut d'abord la Hollande, l'Angleterre, la Suisse, et de là il se rendit en Italie. Après avoir admiré les antiques monumens de Rome, les phénomènes de Naples et la beauté du climat de Florence, il partit l'an 1384 pour aller visiter la ville merveilleuse, qui fondée sur le lit même du golfe Adriatique, présente l'aspect d'un vaste navire se reposant au sein des eaux..

Venise, cette ville que défendaient sa structure et sa situation; Venise, qui pendant quatorze siècles donna la loi à tant de peuples vaincus sans devenir la conquête d'aucun vainqueur; Venise qui jusqu'à nos jours n'eut d'autres maîtres que ses fondateurs, d'autres magistrats que leurs descendans, paraissait appelée à l'époque dont je parle à se rendre souveraine maîtresse des mers. L'origine de Venise, les causes de sa formation, sa construction singulière, la simplicité de ses premières lois, sa tranquillité dans les plus violens orages, son indépendance au milieu des autres peuples asservis, les variations, les troubles, les réformes de son gouvernement, son administration sévère, ne laissant de liberté toute entière que pour les plaisirs, un souverain à qui on accordait tous les honneurs sans lui accorder aucun pouvoir, un peuple ombrageux et jouissant néanmoins de la plus grande tranquillité, ouvrait un vaste champ aux observations de Henri. Il fut frappé du spectacle que lui offrait la route qui conduit à Venise; d'un côté il admira la perspective unique de cette ville immense; de l'autre un rivage couvert de maisons, de palais, de jardins, d'arbres, de promenades, de vases, de statues paraissant s'élever du fond de la mer; et ce qui lui rendait encore ce chemin plus agréable, c'était la multi

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tude de barques et de gondoles qui montaient et descendaient sans cesse, et ce peuple nombreux qui venait le long de la route présenter aux étrangers des fruits, des pâtisseries, des raffraîchissemens et des fleurs.

La situation de Venise en fait une ville vraiment unique. Ses rues sont des canaux, ses charrettes sont des barques, ses carrosses sont des gondoles; on n'y voit ni chevaux, ni ânes, ni mulets; la ville ressemble à un vaste labyrinthe; un nombre considérable de ponts à une seule arche, presque tous bâtis en marbre et sans garde-fous, établissent une communication entre tous les quartiers. C'est par les canaux que se transportent les denrées, que se voiturent les marchandises, et que les gondoles abordent aux maisons. Toutes ces gondoles sont uniformes et tapissées de noir, à l'effet d'empêcher le luxe et pour ne laisser aucune marque d'inégalité parmi les citoyens.

dont

La gondole, voiture douce, agréable et commode, est un petit bâtiment large de cinq pieds et long de vingtcinq; on s'y trouve à couvert dans une loge carrée, les angles sont arrondis par en haut. Le siège, propre à contenir deux personnes, est formé d'un coussin de maroquin noir; la porte, les deux côtés et le derrière. sont garnis de glaces qu'on ôte à volonté pour y substituer des rideaux de crêpe à travers lesquels on ne peut être vu.

Une veste juste, un pantalón, un bonnet rond d'étoffe, composent l'habillement des gondoliers. La seule famille du doge a droit de leur faire porter sa livrée. Ces hommes bien taillés, nerveux, forts, d'une agilité extrême, d'une adresse inconcevable, s'esquivent et passent à côté les uns des autres avec une effrayante célérité; ils entrent dans les canaux les plus étroits, la nuit comme le jour ils savent se tirer des plus grands embaras. Ils se font justice entr'eux, de maniere que forsqu'un gondolier se rend coupable de quelque friponmerie, il est sur-le-champ noyé par ses camarades.

et

Les gondeliers se plaisent à converser avec les personnes qu'ils conduisent; ils sont d'ailleurs de la plus grande gaieté. Marolle ne fut pas peu surpris d'entendre

le premier dont il se servit chanter les vers de Sannazar sur la ville de Venise, ainsi terminés :

Illam homines dices, hanc posuisse deos. (1)

Sa surprise redoubla lorsqu'après ces vers le conducteur de la gondole chanta une strophe de l'Arioste. Vous êtes aussi instruit que gai, lui dit Marolle. - Instruit, peu; gai, beaucoup.-Votre métier est pourtant rude.

Moins que celui du Doge; tous mes jours se ressemblent; je suis vieux, et je n'ai pas encore connu le chagrin, tandis que j'ai déjà vu passer comme des ombres sept doges, dont aucun, certes, ne coula des jours aussi heureux que les miens.-Sept doges!-Oui, Monsieur, dans l'espace de vingt-neuf ans. D'abord Marin Falier. Elu en 1354, lors de la mort d'André Dandolo, à qui tous les Vénitiens ont donné des larmes sincères, parce qu'il contribua pendant dix années à la gloire et au bonheur de la nation, Marin Falier, citoyen riche et qui avait rempli avec honneur les fonctions des principales magistratures, monta sur le trône ducal. Mais parvenu à ce haut rang il ne justifia point nos espérances. Excité l'amiral Bertuce Isarel, et jaloux de se venger d'une légère insulte ainsi que d'augmenter sa puissance, il résolut d'exterminer d'un seul coup toute la noblesse.

par

Dans ce dessein, le matin du 15 avril 1355, au bruit des cloches de Saint-Marc, tous les conjurés vendus au doge devaient se réunir sur la place du palais, pour immoler les nobles qui se rendaient au grand conseil. Un des chefs de ce complot, ami d'un membre du conseil, voulant le sauver du massacre général, alla le trouver la veille du jour fixé pour l'exécution, et lui recommanda, sous le sceau du secret, de ne pas sortir de sa maison le lendemain, quoiqu'il pût arriver.

Le membre du conseil l'ayant pressé de questions, il lui dévoila la conjuration. Celui-ci en avertit les nobles; ils se rassemblèrent, firent garder les portes du palais, défendirent qu'on sonnât les cloches de Saint-Marc, et

(1) On dirait que la ville de Rome a été bâtie par les hommes et celle de Venise par les dieux.

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