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Charlemagne offre bien encore d'autres imitations; par exemple Régine, dans ces deux vers:

En ce que fait un roi tout alarme et tout blesse;
Punir est cruauté, pardonner est faiblesse.

que répéter ce que dit Venceslas à son fils pour le dégoûter de vouloir lui enlever la couronne, qu'il finit cependant par lui donner, sans doute comme un présent funeste. D'ailleurs ces lieux communs sur le triste destin des rois, qu'Agamemnon, Phocas, Auguste, Assuérus et mille autres potentats ont rebattus sans cesse à nos oreilles, nous ont assez convaincus du bonheur que nous avons d'être peuple. Astrade tient bien le même langage que Manlius, en disant qu'il dissimule mieux en ne se contraignant pas ; c'est ce qu'il exprime assez clairement :

Tout mon zèle enflammé, mes fiers emportemens
Sont l'art mystérieux de mes déguisemens.

il

Enfin Régine annonçant qu'elle va se retirer dans un couvent, puisque Charles ne veut plus d'elle, ressemble un peu, n'en déplaise à M. Lemercier qui soutient que son dénouement est neuf, à Iunie, se faisant vestale après la mort de son amant; ou, si l'on veut, à la comtesse Almaviva, voulant aller aux Ursulines pour échapper aux jalousies sans amour de son mari. Il faut être romaine pour se faire vierge, quand on a perdu son amant; n'est pas sûr que Régine ait exécuté son projet, et en le supposant, cela remonte au 9e siècle. Malgré la vogue dont jouit aujourd'hui tout ce qui est vieux, je ne crois pas que l'exemple de Régine soit suivi; la comtesse Almaviva ne fait que parler des Ursulines. Toutes ces dames qui songent au couvent, dans un moment d'humeur, ressemblent aux matelots qui marmottent des prières pendant l'orage. Parmi les pièces que la tragédie de Charlemagne rappelle, on pourrait bien citer encore Bérénice. Titus renvoie cette princesse, et Charlemagne renonce à Régine, parce que l'intérêt de leurs états le commande. Mais je crois en avoir assez dit sur une tra

gédie dans laquelle plusieurs tirades font reconnaître l'auteur d'Agamemnon. A l'exception de ces passages, les vers de Charlemagne sont durs, et sur-tout incorrects. L'auteur semble avoir voulu leur donner une couleur sauvage, conforme au siècle brillant et barbare qu'il a entrepris de retracer; mais son style en a contracté une âpreté, qui étonne d'abord le lecteur qu'elle finit par rebuter. Je ne saurais mieux terminer cet article que par la tirade sur la chevalerie, qu'on pourra comparer avec celle des Trois Ages, que j'ai citée dans le Mercure du 17 août 1816. Hugues demande l'honneur d'être armé chevalier, Charlemagne lui répond :

Aimable et digne enfant, je te ceindiai l'épée
Quand, du respect des lois, ta jeune ame frappée
Connaîtra leur sagesse, et pourra concevoir

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Quel est des nobles preux le sévère devoir.
Pour eux ce fer n'est point une vaine parure,
Il ne doit pas armer la licence et l'injure,
Enhardir la vengeance où le coeur est enclin,
Assassiner le faible, égorger l'orphelin;
Mais il doit protéger le pauvre qu'on offense;
Mais il doit de la veuve assurer la défense;
Secourir l'ami ié, la timide pudeur,
Garantir des traités la loyale candeur;
Appuyer la vertu, l'honneur et la vieillesse;
Tel est cet ornement de la haute prouesse.
Le français que ma main ceint du glaive sacré,
Qu'au sang des ennem's j'ai teint et consacré
Je l'appelle à servir l'autel et la patrie,
Et c'est de ce grand jour que commence sa vie.

T.

RELATION

D'un voyage forcé en Espagne et en France, dans les années 1810 à 1814, par le général-major lord Blayney, prisonnier de guerre, traduit de l'anglais, avec des notes du traducteur, deux volumes in-8°. Prix: 10 f., et franc de port 15 fr. Chez Arthus-Bertrand, libraire, rue Hautefeuille, no 23.

Tandis que les Français assiégeaient Cadix en 1810, les Espagnols et leurs alliés cherchaient à opérer des diversions en jetant des troupes, et tentant des expéditions sur les points d'où l'on présumait pouvoir inquiéter et gêner l'ennemi. Une de ces expéditions, aux ordres de lord Blayney, vint attaquer le fort de Fuengirola, et fut battue Son chef même se laissa prendre assez mal-adroitement, selon ce qu'on peut conjecturer d'après sa propre relation. Prisonnier de guerre, il se vit dans le cas de faire, comune il le dit, un voyage forcé du fond de l'Espagne à Verdun.

C'est des événemens de cet important voyage que lord Blayney a jugé à propos d'instruire ses compatriotes, et dont un traducteur a cru pouvoir, à son tour, divertir les lecteurs français. Rien en effet de plus gai, de plus amusant que le britannisme de notre voyageur. Ne craignez pas toutefois, que grave politique, il fasse comparaître devant vous les gouvernemens, leurs ministres et leurs généraux, ou que froid calculateur. il vous perde dans les tableaux statistiques de la richesse des champs, de l'industrie des villes qu'il parcourt, ou bien encore qu'il vous enfonce sur les pas de quelque géologue, parmi les rocs sauvages et au sein des précipices, pour découvrir le rocher granitique ou le calcaire primitif, suivre les traces du passage des eaux et de l'action du feu, courir après les sables ou les laves, les coquilles ou les basaltes; non, lord Blayney ne se casse point la tête à toute cette science. C'est bien assez qu'il s'expose à se la faire casser quand l'honneur l'y appelle; hors de

ce noble état, le plus beau que puisse embrasser un homme comme il faut, et dès qu'il n'a plus à s'occuper de tuer des hommes, lord Blayney est un bon compagnon qui ne songe plus qu'à tuer le temps, et qui paraît y réussir le plus gaîment du monde. Son livre, farci d'une solide instruction en gastronomie, nous donne le compte des bouteilles qu'il a vidées, nous indique les lieux où l'on peut espérer d'en trouver de pareilles, nous signale comme des écueils les auberges où l'on ne boit que du vin détestable, et bon seulement pour des gosiers français; nous apprend quelles rivières fournissent d'excellent poisson, quelles campagnes nourrissent de fin gibier, de succulentes volailles; inutiles bienfaits de la Providence envers une nation ingrate, qui n'a pu encore apprendre des Anglais à avoir de la religion et des mœurs, faire une soupe au lièvre, un bifteck aux huîtres, et une sauce au beurre fondu.

Quoique lord Blayney fut bien sûr d'intéresser la plupart de ses lecteurs en les entretenant de procédés gastronomiques, de bonnes auberges, de bons vins et de jolies filles, il a cependant aussi très-judicieusement pensé qu'il était des gens d'un goût difficile, d'un esprit sérieux, et qui avaient la manie de demander dans un ouvrage mince, frivole, quelques éclairs de raison. Jaloux et capable de captiver tous les suffrages, notre voyageur a bien voulu, pour ces sortes de lecteurs, larder par-ci par-là ses descriptions de bons repas, de quelques réflexions solides et profondes, de quelques détails historiques, qui prouvent qu'un homme comme il faut sait tout, peut parler hardiment de tout, et est toujours certain d'amuser ceux à qui il fait l'honneur de communiquer ses connaissances. Est-on curieux d'avoir une idée de celles de lord Blayney? On apprendra de lui que son gouvernement mérite, par son désintéressement et sa générosité, d'être l'arbitre de l'Europe; que rien n'est si avantageux aux peuples que l'amitié des Anglais, qui, des que ceux-ci sont alliés de quelque nation, ne lui laissent plus rien à désirer des produits de leurs manufactures et de leur industrie, et travaillent si vivement pour elle, qu'elle n'a plus qu'à se croiser les bras, rece

propo

voir, consommer et payer; que le sentiment des bienfaits, dont l'Angleterre comble l'Univers, est si universellement répandu, que le seul nom d'anglais est un titre au bon accueil du monde entier ; qu'aussi tout français bien élevé témoigne une sorte de culte à un anglais; qu'il a éprouvé lui-même, jusque chez les Arabes, qu'un uniforme de général anglais avait quelque chose d'imposant. Il avoue néanmoins que de temps en temps il a rencontré des réfractaires à ce culte, soit aux armées, soit dans la société. Il a eu à souffrir, qu'au mépris de son imposant uniforme, des soldats l'invitassent à boire avec eux, en lui frappant sur l'épaule : ce manque d'égards au reste pouvait s'excuser en faveur de la sition. Mais quel oubli inconcevable de ces respects dus à un anglais par le monde entier, dans ces filles d'auberges qui venaient familièrement adresser la parole à milord? Quelle insolence chez ces misérables gargotiers de province, dont l'un osait bien lui soutenir que ses sauces valaient mieux que toute la cuisine anglaise; dont l'autre, au mépris de l'habeas corpus, prétendait l'asservir à manger la viande avant le poisson; dont un troisième porte son irrévérentieuse ignorance jusqu'à lui servir un canard rôti, qui est la chose, après le mauvais vin, que milord déteste le plus au monde; et qui tous enfin, jugeant de la générosité des milords anglais par celle de leur gouvernement, lui présentaient des budjets de dépenses que n'auraient pas imaginés le génie calculateur d'aucun des aubergistes des trois royaumes. Il est vrai que ces mécomptes, aux hommages que notre voyageur devait attendre de tous ces gens honnêtes, ne lui arrivèrent que lorsqu'il se trouva en contact avec ce peuple-canaille qui s'avisa de se croire fait pour la liberté, et de vouloir une chartre et des lois.

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