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Que vois-je! quels nouveaux Tantales
Maudissent ces perfides eaux ?

De ce parallèle grotesque
Moitié vrai, moitié romanesque,
Aminte, pour vous égayer,
J'aurois rempli le cadre entier,
Si, dans cet endroit de mon songe,
Un cruel, osant m'éveiller,
N'eût dissipé ce doux mensonge,
Et le prestige officieux

Qui vous présentoit à mes yeux :

Ce hideux bourreau, moins un homme Qu'un patibulaire fantôme,

Tel qu'on les peint en noirs lambeaux,
Et, dans l'horreur du crépuscule,
Tenant leur conciliabule

Parmi la cendre des tombeaux;
Ce spectre, dis-je, au front sinistre,
Du tumulte bruyant ministre,
Affublé de l'accoutrement

D'un précurseur d'enterrement,
Bien avant l'aube matinale,

Chaque jour troublant mon réduit,

Armé d'une lampe infernale,

M'offre un jour plus noir que la nuit,

Et, d'une bouche sépulcrale,
M'annonce que l'heure fatale
Ramène le démon du bruit.
Par cet arrêt impitoyable
Arraché du sein délectable
songes et du repos,

Et des

L'œil encor chargé de pavots,

Aux cieux je cherche en vain l'aurore;
Un voile épais couvre les airs,
Et Phébus n'est point prêt encore
A quitter les nymphes des mers.
Astre qui réglas ma naissance,
Pourquoi ta suprême puissance,
En formant mes goûts et mon cœur,
Y versa-t-elle tant d'horreur
Pour la monacale indolence?

Plus respecté dans mon sommeil,
Exempt des craintes du réveil,
J'eusse les deux tiers de ma vie
Dormi sans trouble, sans envie,
Dans un dortoir de victorin,
Ou sur la couche rebondie
D'un procureur génovéfain.
Il est vrai qu'un peu d'ignorance
Eût suivi ce destin flatteur.

Qu'importe le nom de docteur
N'eût jamais tenté ma prudence;
Jamais d'un sommeil enchanteur
Il n'eût violé la constance.
Une éternité de science

Vaut-elle une nuit de bonheur ?
Par votre missive charmante
Vous me chargez de vous donner
Quelque nouvelle intéressante,
Ou quelque anecdote amusante.
Mais que puis-je vous griffonner?
Les politiques rêveries

Des vieux chapiers des Tuileries
Intéressent fort peu mes soins,
Vous amuseroient encor moins,
Et d'ailleurs, selon le génie
De notre aimable colonie,
Je ne dois point perdre d'instants,
Ni prendre une peine futile
A disserter en grave style
Sur les bagatelles du temps:
Qu'on fasse la paix ou la guerre,
Que tout soit changé sur la terre,
Nos citoyens l'ignoreront ;
Exempts de soucis inutiles,

Dans cet univers ils vivront

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Comme des passagers tranquilles
Qui, dans la chambre d'un vaisseau,
Oubliant la terre, l'orage,
Et le reste de l'équipage,
Tâchent d'égayer le voyage
Dans un plaisir toujours nouveau ;
Sans savoir comme va la flotte
Qui vogue avec eux sur les eaux
Ils laissent la crainte au pilote,
Et la manœuvre aux matelots.
A tout le petit consistoire,
Où ne sont échos imprudents,
Rendez cette lettre notoire,
Aimable Aminte, j'y consens;
Mais sauvez-la des jugements
De cette prude à l'humeur noire,
Au froid caquet, aux yeux bigots,
Et de médisante mémoire,

Qui, colportant ces vers nouveaux,
Sur-le-champ iroit sans repos,
Dressant la crête et battant l'aile,
Glapir quelque alarme nouvelle
Dans tous les poulaillers dévots,
Ou qui, pour parler sans emblème,

Dans quelque parloir médisant
Iroit afficher l'anathème
Contre un badinage innocent,
Et le noircir avec scandale
De ce fiel mystique et couvert
Que vient de verser la cabale
Sur l'histoire de dom Ver-Vert,
Faite en cette critique année
Où le perroquet révérend
Alla jaser publiquement,
Entraîné par sa destinée,
Et ravi, je ne sais comment,
Au secret de son maître absent.
Selon la gazette neustrique,
Cet amusement poétique,
Surpris, intercepté, transcrit
Sur je ne sais quel manuscrit
Par un prestolet famélique,
Se vend à l'insu de l'auteur
Par ce petit-collet profane,
Et déja vaut une soutane
Et deux castors à l'éditeur.

Si ma main n'étoit pas trop lasse,

Ce seroit bien ici la place

D'ajouter un tome nouveau

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