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termes analogues à celui de la Conférence projetée par la Suisse, sauf qu'il contenait encore l'examen du travail dans les mines, en dehors de la réglementation du travail du dimanche, des enfants, des jeunes ouvriers et des femmes. Mais les débats approfondis qui eurent lieu à Berlin ne firent que rendre plus saillantes les divergences existant dans les conditions industrielles de pays à pays, ainsi que les obstacles qui s'opposent à l'organisation internationale du travail; aussi les résolutions de la Conférence ne purent-elles revêtir que la forme de simples vœux. Ceux qui se réfèrent à une matière qui s'est maintenue à l'ordre du jour international, le travail des femmes, déclarent désirable que, sans distinction d'âge, elles ne travaillent pas la nuit ; que, sauf exceptions admises pour certaines industries et sous réserve de restrictions pour les occupations particulièrement insalubres ou dangereuses, le travail effectif des femmes ne dépasse pas onze heures par jour et qu'il soit interrompu par des repos d'une durée totale d'une heure et demie au moins; enfin que les femmes accouchées ne soient admises au travail que quatre semaines après leur accouchement.

Il est facile de constater par cet exemple que les vœux adoptés à Berlin, s'ils n'ont pas été suivis de sanction, ont, au moins, pose de précieux jalons sur cette route épineuse de l'unification et ont puissamment éclairé l'opinion publique; aussi est-il bien permis de leur appliquer les paroles de Properce: In magnis et voluisse sut est. D'ailleurs, le renouvellement de réunions semblables avait été positivement prévu et la Suisse déclara, dans le message du Conseil fédéral du 9 juin 1890 concernant la Conférence de Berlin, ne pas vouloir rester stationnaire, mais achever, au gré des circonstances, ce qu'elle avait commencé. En effet, à la suite des résolutions votées par les Chambres en juin 1895, le Conseil fédéral tenta en 1896, par l'entremise de ses agents, un troisième essai de rouvrir la question internationalement, mais ne recueillit que des réponses pour la plupart évasives.

II.

Une nouvelle phase s'ouvre dans l'évolution de cette œuvre. A l'action gouvernementale succède l'initiative privée, jeune et vigoureuse. De même que les inventeurs, les littérateurs, les artistes, les pacifistes, etc., se sont unis pour faire triompher leurs revendications et ont, par leur action collective, préparé l'élaboration d'Unions internationales ou d'Accords entre Etats, de même les économistes, les légistes, les fabricants et les ouvriers se rencontrent dans une aspiration commune pour s'entourer des lumières propres à se concilier le concours des esprits non prévenus. C'est l'Association pour l'étude des accidents du travail qui, dès 1889, commence à déployer une activité féconde, étendue plus tard aux assurances ouvrières; ce sont les Congrès internationaux pour la protection ouvrière tenus en 1897 à Zurich et à Bruxelles qui demandent la fondation d'un Office international du Travail; c'est le Congrès des partisans de la protection ouvrière, réuni à Paris lors de l'Exposition universelle de 1900, qui décide la création d'une Association internationale pour la protection légale des travailleurs, association tout à fait neutre au point de vue politique et social, et divisée en sections nationales. Peu de mois après, le 1er mai

1901, l'organe central de cette association, l'Office international du Travail, commence à fonctionner à Bâle; cette institution privée obtient l'appui financier de la Confédération suisse et, successivement, des subventions d'une série d'autres Gouvernements qui témoignent par là de leur volonté de seconder ses recherches scientifiques sur les réformes législatives et autres réalisées ou projetées dans divers pays. Les réunions que l'Association tient à Bâle et à Cologne avec l'assissistance des Délégués de plusieurs Etats examinent avec ardeur quelles exploitations économiques ou quelles parties de l'organisation du travail industriel se prêtent surtout à l'élaboration d'une entente générale; après avoir signalé comme particulièrement nuisibles, parmi les premières, l'emploi du phosphore et la fabrication de la céruse, et, parmi les secondes, le travail nocturne des ouvrières, l'Association fait prier le Conseil fédéral, par l'entremise d'une Commission spéciale d'étude, réunie à Bâle en septembre 1903, de bien vouloir convoquer une Conférence internationale à qui incomberait le soin de rédiger un accord destiné à interdire, dans des délais limités, le travail de nuit des femmes occupées dans l'industrie et l'emploi du phosphore blanc dans la fabrication des allumettes.

Le Conseil fédéral entre dans ces vues. La Conférence, d'un caractère consultatif et technique à la fois, s'ouvre dans la salle du Conseil des Etats, à Berne, le 8 mai 1905 (1); quinze Gouvernements y sont représentés par 51 délégués. Le programme de la Conférence a été prudemment défini et ne renferme que les deux questions précitées qui semblent mûres pour la codification. Après les discussions aussi laborieuses qu'instructives, la Conférence, animée d'un esprit de large conciliation, adopte, le 16 mai 1905, deux textes réunis en un Acte final, les « Bases d'une Convention internationale sur l'interdiction de l'emploi du phosphore blanc (jaune) dans l'industrie des allumettes. >>

En même temps les Délégués prient le Conseil fédéral de saisir les pays intéressés de ces propositions en vue des négociations diplomatiques qu'ils jugeront utiles d'ouvrir. Les propositions sont transmises aux Gouvernements des Etats représentés à la Conférence préparatoire par une note-circulaire du 26 juin 1905. La réunion de la Conférence diplomatique de 1906 est le fruit de cette démarche.

Circulaires du Conseil fédéral suisse

PREMIÈRE CIRCULAIRE

Berne, le 30 décembre 1904.

Monsieur le Ministre,

A la demande de la Commission instituée par les Délégués, réunis à Cologne, de l'Association internationale pour la protection légale des

(1) Arch. dipl. 1905, t. 95, p. 271 et suiv.

travailleurs, le Bureau de cette Association nous a priés, en date du 16 septembre 1903, de vouloir bien convoquer une Conférence internationale aux fins de résoudre les questions suivantes touchant la protection ouvrière :

1° Interdiction de l'emploi du phosphore blanc dans l'industrie des allumettes.

2o Interdiction, pour les femmes, du travail industriel de nuit.

En ce qui concerne ce second point, il résulte des déclarations du Bureau et des « Résolutions» de la Commission précitée (délibérations des 10 et 11 septembre 1903, à Bâle) que la question embrasse les postulats ci-après:

a. Sous le terme de « femmes », on doit entendre toutes les ouvrières, sans distinction d'âge.

b. L'interdiction du travail de nuit des femmes doit consister à assurer à toutes les ouvrières employées dans un établissement industriel, donc en dehors de leur famille, un repos de douze heures consécutives du soir au matin.

c. Des dispenses pourront être prévues pour le cas d'accident imminent ou déjà survenu.

d. Les ouvrières dont le travail s'applique à des produits susceptibles d'altération très rapide, par exemple ceux de la pêche et de certaines industries fruitières, peuvent être autorisées à travailler la nuit, chaque fois que cela est nécessaire pour sauver les produits d'une perte inévitable.

e. Les industries saisonnières et celles dont les besoins sont analogues trouveront, dans une disposition transitoire qui fixe à dix heures la durée du grand repos de nuit, les heures supplémentaires dont elles peuvent avoir besoin dans l'état actuel de leur organi

sation.

f. Des délais à déterminer pourront être accordés pour la réalisation des réformes.

On trouvera également des renseignements sur la question dans les deux ouvrages suivants: «Mémoire explicatif sur l'interdiction de l'emploi du phosphore blanc dans l'industrie des allumettes» et « Mémoire explicatif sur les Bases d'une interdiction internationale du travail de nuit des femmes.» Ces ouvrages ont été communiqués aux divers Gouvernements, en 1904, par le Bureau de l'Association internationale, au nom de son Comité.

Nous avons fait pressentir confidentiellement les Gouvernements d'un certain nombre d'États, à l'effet de savoir s'ils réserveraient bon accueil à une proposition suisse visant la convocation d'une Conférence internationale. La presque unanimité des Etats en cause ont officieusement fait connaître leur adhésion provisoire.

Le Conseil fédéral suisse, en cela fidèle à ses traditions, croit done. devoir donner suite à la demande qui lui a été adressée. Nous verrions, nous aussi, avec satisfaction se réaliser enfin, ne fût-ce d'abord que dans un cadre restreint, l'idée d'une entente internationale touchant certaines questions de protection ouvrière. Nous avons le ferme espoir que la Conférence ne se contentera pas de manifestations théoriques, mais

qu'elle s'efforcera de préparer une entente effective entre les Etats. Nous estimons, à cette fin, qu'il y aurait lieu, pour la Conférence, d'établir les principes de Conventions internationales; ce travail, cela va de soi, ne préjugerait en rien les intentions des Gouvernements représentés à la Conférence, et la conclusion même des Conventions demeurerait entièrement réservée à d'ultérieures négociations diplomatiques.

Nous proposons de faire figurer au programme de la Conférence les questions mentionnées sous chiffres 1 et 2 ci-dessus et définies sous lettres a à f. L'idée d'étendre l'interdiction du travail de nuit aux jeunes gens du sexe masculin, jugée inopportune de différents côtés, a été abandonnée. Il est désirable que, par le fait même de l'étroite limitation de son programme, la Conférence aboutisse plus facilement à une entente féconde en heureux résultats.

La Conférence internationale s'ouvrira le lundi 8 mai 1905, à 3 heures de l'après-midi, dans la salle du Conseil des Etats, au Palais fédéral, à Berne. En y conviant le Haut Gouvernement de Votre Excellence, nous le prions de vouloir bien nous faire connaître les noms de ses Délégués.

La présente note-circulaire a été adressée aux Gouvernements des pays suivants: Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grande-Bretagne, Grèce, Italie, Luxembourg, PaysBas, Portugal, Roumanie, Serbie, Suède et Norvège.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de notre considé ration très distinguée.

Au nom du Conseil fédéral suisse:
Le Président de la Confédération,
COMTESSE.

Le Chancelier de la Confédération,
RINGIER.

DEUXIÈME CIRCULAIRE.

Berne, le 26 juin 1905.

Monsieur le Ministre,

Par note-circulaire du 30 décembre 1904, nous avions invité votre Gouvernement à se faire représenter à une Conference internationale pour la protection ouvrière, qui devait avoir lieu à Berne.

A notre vive satisfaction, vous avez bien voulu donner suite à notre invitation, et nous vous en exprimons ici toute notre gratitude. La participation de quinze Etats a permis à la Conférence, dans sa session du 8 au 17 mai 1905, d'épuiser le programme proposé par notre circulaire et de prendre d'importantes décisions.

Nous vous remettons ci-joint les procès-verbaux de la Conférence, en faisant remarquer que MM. les Délégués des Etats participants les recevront directement.

De plus, en exécution d'une décision de la Conférence, nous vous remettons encore, en une copie légalisée, l'« Acte final de la Conférence internationale pour la protection ouvrière. >>

Conformément à l'article 12 du règlement adopté par la Conférence (procès-verbal no 1, page 17), l'Acte final déclare ce qui suit:

« Les Délégués soussignés sont convenus de prier le Conseil fédéral suisse de bien vouloir saisir les Gouvernements des Hauts Etats intéressés, en vue des négociations diplomatiques qu'ils jugeront utiles d'ouvrir, des propositions ci-après, qui constituent le résultat des délibérations de la Conférence et forment les Bases de Conventions internationales à conclure:

I. Bases d'une Convention internationale sur l'interdiction de l'emploi du phosphore blanc (jaune) dans l'industrie des allumettes (articles 1 à 4). II. Bases d'une Convention internationale sur l'interdiction du travail de nuit des femmes employées dans l'industrie (articles 1 à 5) ».

En donnant volontiers suite à cette demande, nous soumettons à votre examen les décisions de la Conférence.

Une Conférence diplomatique nous semble indispensable pour transformer ces décisions en Conventions.

Nous vous serions extrêmement obligés de nous faire savoir si vous êtes d'accord avec nous sur ce point et, dans l'affirmative, de nous faire connaître votre manière de voir touchant le lieu et la date de la Conférence.

Nous attendons jusqu'à la fin du mois d'octobre prochain la réponse qu'il vous plaira de vouloir bien nous faire. Nous avons le ferme espoir que, commencée sous d'heureux auspices, l'oeuvre humanitaire dont il s'agit sera menée à bonne fin.

La présente circulaire est adressée aux Gouvernements des Etats qui étaient représentés à la Conférence de Berne. En même temps, conformément à l'article 3 des Bases mentionnées sous no 1, nous invitons le Gouvernement Impérial du Japon à nous faire connaître s'il juge à propos, comme on le désire, d'adhérer à la Convention.

Au nom du Conseil fédéral suisse :

Le Président de la Confédération,
RUCHET.

Le Chancelier de la Confédération,
RINGIER.

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