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peau chocolat ou à peau noire, mais il lui importe beaucoup de n'avoir aucune inquiétude à l'égard des gens blonds et à yeux de faïence qui, en 1871, sont entrés jusque dans Paris.

Les deux politiques sont en présence : l'avenir de la France y est engagé. Selon celle qu'elle choisira, c'est la ruine ou le relèvement.

LETTRE LXXVI

LA PAIX ET LA GUERRE

Les Français veulent la paix. Les gouvernements font la guerre. Les Anglais. «Bravo pour le Madhi ! » — Les Français. « Il faut venger! »> M. Clémenceau le 30 mars. Position de la question.. La solution. 1 La guerre ne paye plus ses frais. Substitution de la civilisation scientifique et productive à la civilisation religieuse et guerrière.

En France, quand nous avons fait une sottise, c'est une raison pour la continuer. Question d'amourpropre national! On nous reproche d'être légers. Quelle erreur! Aucun peuple n'a peut-être jamais commis de fautes plus lourdes et ne s'est plus acharné à les alourdir. Nous ne cédons qu'à l'écrasement final.

Sur les 37 millions de Français, toutes les femmes veulent la paix; les enfants peuvent jouer au soldat, mais ont peur de la guerre quand ils savent ce que c'est; les vieillards ne demandent qu'à mourir. tranquilles; les paysans, au nombre de 19 millions, n'ont d'autre politique que d'arrondir leur terre: commerçants, industriels, veulent faire leurs affaires que trouble toujours la moindre aventure extérieure; les bourgeois désirent payer le moins d'impôts possible et ont, autant que Panurge, les coups en exécration.

Comment se fait-il donc que tous ces gens qui s'entendent si bien pour la paix, aient eu pour Dieu Napoléon et l'aient suivi jusqu'à Waterloo? Son neveu était lui-même si étonné de ce phénomène que, tout en se déguisant en général, il eut soin d'inscrire sur son drapeau : l'Empire, c'est la

paix !

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Il fit la guerre. La République déclara aussi qu'elle était la paix. Mais pour les hommes d'Etat français, il paraît que la paix est beaucoup plus difficile à conserver que la guerre à engager. Dès qu'elle fut débarrassée de ses ennemis intérieurs, ses gouvernants se dirent : Maintenant, allons chercher des ennemis extérieurs et faisons la guerre ! M. Jules Ferry eut l'honneur d'inaugurer cette politique en 1881 et il l'a continuée.

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En 1870, l'empereur consulta les préfets pour savoir si le pays voulait la guerre; la grande majorité eut le courage de répondre que le pays voulait la paix. Si le gouvernement avait fait un plébiscite sur cette question: Le pays veut-il ou ne veut-il pas la guerre avec la Chine ? nul doute qu'il n'eût reçû une condamnation écrasante de sa politique.

Les gouvernants, que la France choisit ou qui s'imposent à elle, ont toujours une politique extérieure diamétralement opposée à celle que veut la majorité du pays.

C'est à n'y rien comprendre, et je n'entreprends pas, du moins en ce moment, d'expliquer ce mys tère.

Mais il y a encore quelque chose d'aussi inexplicable. Le gouvernement, malgré l'opinion presque unanime du pays, le lance dans une aventure. Cette aventure tourne mal...

Que se passe-t-il en Angleterre ? M. Gladstone renverse lord Beaconsfield en attaquant sa politique extérieure qui, cependant, avait remporté certains succès de nature à flatter l'orgueil national. Le pays se prononce énergiquement pour une politique de paix. Le nouveau parlement est élu. Il abandonne l'Afghanistan et les 500 millions qu'avait coûtés son expédition, et en Afrique, n'hésite pas à faire des propositions de paix aux Boërs (mars 1881).

Si la Chambre des Lords vote contre ces résolutions, elles sont accueillies avec une énorme majorité dans la Chambre des Communes et approuvées dans tout le pays.

M. Gladstone, recommençant des fautes de la même nature que celles qu'il avait reprochées à son prédécesseur et suivant une politique analogue à celle de nos ministres français, fait la guerre d'Egypte, bombarbe Alexandrie et ensuite se met en route pour « écraser le Madhi » et délivrer Gordon. Gordon est tué: Khartoum est pris. Je vais alors en Angleterre. Jugeant les autres d'après nous-mêmes, je crois que tous les Anglais, d'un mouvement unanime, veulent plus que jamais « écraser le Madhi ». Pas du tout. John Morley, Labouchère déclarent, avec l'approbation de tout le parti libéral et radical, qu'il faut abandonner le Soudan. J'entends un mem

bre éminent de la Chambre des Communes dire tranquillement : — « Nous allions au Soudan pour délivrer Gordon! Eh bien ! il est délivré ! » —- D'autres membres de la Chambre des Communes déclarent que les Anglais n'ont pas le droit « d'écraser le Madhi ». Des meetings votent des résolutions dans ce sens, entre autres le grand meeting tenu par Bradlaugh le 2 avril. Je lis dans la Weekly dispatch, une lettre ayant pour titre : << Bravo pour le

Madhi ! »

Les gens qui parlent ainsi ne sont pas tenus pour mauvais patriotes, pour traîtres à l'Angleterre.

Que font, au contraire, les hommes politiques français? Le commandant Rivière est tué pour avoir outrepassé ses ordres. Aussitôt, il faut venger Rivière ! On vote d'enthousiasme, sans examiner les conséquences de l'aventure, l'utilité de la présence des Français au Tonkin. L'expédition du Tonkin est engagée et pour venger un mort, on se prépare à faire tuer beaucoup d'autres de nos compatriotes. Le pays n'a pas d'enthousiasme; mais les hommes politiques, les membres de la Chambre des Députés, les journaux de toutes nuances n'osent pas examiner froidement la question; ils craignent de choquer une opinion publique qui, de son côté, craint de se manifester. Ils s'entendent pour dissimuler, sous une hypocrisie dite patriotique, son blâme, ses appréhensions et la véritable solution. De là, la faiblesse de l'opposition et le triomphe du gouvernement! Elle n'a pas le courage civique de détruire les sophismes de celui-ci, parce qu'elle croit qu'ils

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