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Robespierre réfuta les imputations de Louvet dans une réponse de quarante pages d'impression, et se complut dans son apologie qui fut suivie de la victoire la plus entière. Tout fut bien reçu par ses partisans, supérieurs en nombre, même sa justification, telle quelle, touchant les massacres de septembre depuis, sa complicité a été attestée par Barrère lui-même, dans ses défenses ainsi que par le juré Vilate qui accuse Billaud-Varenn es d'en avoir été témoin. La dénonciation de Louvet ne fut à peu près qu'une répétition de ce qu'on vient de lire dans la sortie vigoureuse de Barbaroux contre Robespierre. La réponse de celui-ci fut trèsadroite. Il se fit honneur de ce qu'on lui imputait, et il se défendit avec un air d'aisance que lui donnait la certitude du succès devant des juges tous ses amis, tous ses complices.

Mais, pour que personne ne soit dupe de ce triomphe, je renvoie non-seulement à la dénonciation de Louvet, mais à la réponse de Pétion à une lettre même de Robespierre. Rien de plus intéressant que les instructions donne Pétion dans cette que réponse, touchant l'état de Paris et le rôle de Robespierre au temps où elle fut écrite. Il met à nu, dans la dernière partie, toute la bassesse et toute la lâcheté de Robespierre lors de sa grande puissance. Quel honnête homme pouvait la désirer à ce prix? On a vu, par le discours de Barbaroux, que Robespierre, enivré de sa grande popularité, obsédait, affrontait le corps législatif. Il paraît, au style

de Pétion, dans sa réponse, qu'il avait des égards pour Robespierre, même dans ses torts. Cependant Robespierre lui était en tout contraire dans sa mairie. Il déclamait contre la guerre dans laquelle Pétion, en bon politique, ne voyait qu'un sûr moyen d'attacher les Français à la liberté, par la crainte de la perdre après l'avoir si chèrement conquise; il voulait faire passer pour des trahisons les actes pacifiques et prudens dont Pétion a démontré la convenance et l'utilité. Pétion, dans sa réponse, déla vile politique au moyen de laquelle Robespierre était parvenu à sa domination et aux abus étranges qu'il en a faits.

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Le lâche n'avait contribué en rien à la journée du 10 août, et il s'en faisait le héros. C'est aujourd'hui une triste gloire pour ceux qui s'en honorent avec plus de fondement. Tout ce qu'on peut dire pour leur justification, c'est qu'après le 20 juin les poursuites de la cour et du département ne laissaient plus de sûreté au maire de Paris, ni aux patriotes en général. On l'éprouvait à cette époque dans les départemens où je me trouvais; il n'y avait pas seulement à craindre les nobles, les privilégiés, mais les communes même de France, qui, partout lasses et mécontentes des sociétés populaires, auraient voulu s'en débarrasser pour n'être plus tenues dans leur dépendance. Il fallait donc, dans cet état, vaincre ou périr.

T. I

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CHAPITRE III.

Essai relatif à la constitution. Découverte de l'armoire de fer. - Jugement de Louis XVI. - Assassinat de Lepelletier-SaintFargeau. Haine des montagnards contre les appelans au peuple.- Levée des trois cent mille hommes. Établissement du tribunal révolutionnaire.

APRÈS ces hostilités de partis, on parut revenir aux intérêts de la république et s'occuper de ses besoins. Il fallait une constitution nouvelle. Le projet en avait été confié par un choix de convenance qu'on ne pouvait abandonner à l'événement aveugle du sort, aux députés dont les noms suivent : Pétion, Danton, Condorcet, Sieyes, Thomas Payne, Barrère, Gensonné, Vergniaud, Barbaroux.

Condorcet avait été chargé de la rédaction du projet de cette nouvelle constitution. L'exclusion de Robespierre et de Couthon pour ce travail distingué, fut un nouveau sujet de mécontentement et de jalousie contre le parti Pétion. Aussi, Robespierre et les siens, au lieu de dire comme ce Romain: « Bénissons le ciel de ce que, dans la ré– publique, il se trouve des citoyens plus capables que nous de la servir utilement, » proposèrent, pour rendre ce travail inutile, de renvoyer la constitution ou sa discussion après le jugement du roi.

Selon Robespierre, quoique la constitution fût essentiellement nécessaire pour fixer la forme nou

velle du gouvernement français, elle ne devait paraître qu'après le jugement de Louis XVI, parce qu'alors, seulement, on serait exempt de toute inquiétude sur le sort de la république. On répondait à cela que le jugement du roi, quel qu'il fût, ne devait rien changer aux principes sur lesquels serait fondée la constitution; que la république étant une fois décrétée une et indivisible, rien n'était plus capable de l'ébranler; enfin que le roi, déchu de son trône, existât-il en France comme ailleurs, il ne pourrait plus être question de lui ni des siens pour un royaume que la Convention avait déjà anéanti. Il y eut grand débat sur cette question, et le parti Robespierre finit par l'emporter on décida que le jugement du roi précèderait la discussion sur la constitution, et cette première victoire du parti Robespierre fut à mes yeux le signal et le gage de toutes les autres.

La découverte de l'armoire de fer, cachée dans l'épaisseur d'un gros mur, aux Tuileries, contribua à bâter le jugement de Louis XVI. On y trouva des pièces dont on se servit contre lui dans son jugement; d'autres qui décelèrent le faux patriotisme de députés qui, lorsqu'ils montraient le plus de zèle pour la liberté de la nation, travaillaient pour de l'or à son esclavage. Toutes ces pièces furent publiées et distribuées. Ce fut au ministre de l'intérieur, M. Roland, que l'on s'adressa pour révélation du secret de cette armoire; et ce ministre, en conséquence, s'y porta et en retira tous les pa

la

piers qui s'y trouvaient. Il vint les porter à la Convention, où ils furent déposés sur le bureau. On ne manqua pas de se plaindre de ce que le ministre Roland avait fait cette opération comme en cachette, lui seul, sans en prévenir personne. Et il faut.convenir que, sans être du nombre de ceux qui étaient contraires à ce ministre, je trouve sa conduite, à cet égard, très-condamnable. On l'accusa aussi formellement d'avoir soustrait de ce dépôt, tous les papiers que bon lui avait semblé. Sans doute, cela n'était point; mais ce ministre s'était mis, par son imprudence, dans le cas de ne pouvoir pas même repousser cette imputation. Quoi qu'il en soit à cet égard, il fut établi une commission de douze membres, choisis parmi les députés qui n'étaient d'aucun comité, pour avoir soin de ces papiers qui furent numérotés et signés par le ministre et deux secrétaires.

Bientôt les trois rapports qui devaient être faits sur le jugement de Louis XVI furent présentés à l'Assemblée. On pressa son acte d'accusation et il fut amené à notre barre. Il entendit tous les griefs qu'on élevait contre lui, et il répondit à chaque reproche. J'étais ému, jusqu'aux larmes, de ses paroles touchantes; j'admirai la clarté et la précision de ses réponses prononcées d'une voix sonore et ferme. Cette sérénité du roi qu'il a montrée dans son testament, conservée sur l'échafaud où le tambour l'arrêta pendant qu'il parlait au peuple, n'était et ne pouvait

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