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Il y a dans notre procédure pénale actuelle une foule de règles qui ne peuvent être bien saisies qu'en les rapprochant des règles dont elles dérivent, ou qu'elles remplacent, ou qu'elles modifient seule

ment.

Si l'histoire des pénalités anciennes a moins d'importance juridique, elle a un grand intérêt philosophique, et elle est d'ailleurs un puissant auxiliaire pour distinguer ce qui est variable, accidentel, contingent, de ce qui est essentiel et indépendant des circonstances de fait et d'époque.

Au reste, si Boitard a contesté l'importance des études historiques pour l'intelligence et l'application pratique de nos lois pénales, deux savants criminalistes, dans les ouvrages desquels je puiserai souvent des inspirations, MM. Faustin-Hélie et Ortolan, ont prouvé, par le plus décisif des arguments, par l'application de la méthode qu'ils recommandent, la valeur des secours que peut fournir l'histoire.

M. Faustin-Hélie notamment, dans l'introduction de son Traité d'instruction criminelle, a élévé l'un des plus beaux et des plus utiles monuments de la science contemporaine.

C'est donc à la double lumière de la philosophie et de l'histoire que j'essaierai d'éclairer ce cours. Cette méthode ne me permet pas d'aborder directement et immédiatement les textes du Code pénal et du Code d'instruction criminelle.

Ce n'est pas que je veuille entreprendre l'histoire complète et détaillée de toutes les solutions qu'ont

reçues en France les quatre questions que soulève toute législation pénale. Ce travail demanderait trop de temps, et l'étude qui ne doit être pour nous qu'un moyen deviendrait le but. Je ne veux pas sacrifier le principal à l'accessoire.

Mes prolégomènes se borneront à l'examen des trois questions suivantes :

1o Qu'est-ce que le Droit pénal, et comment se liet-il aux autres parties du Droit? N'a-t-il pas le même principe qu'elles ?

2° Quelles ont été les sources successives de la législation pénale en France, c'est-à-dire quels ont été les monuments législatifs ou autres qui l'ont traduite?

3° Quels ont été les principes, les idées qui ont animé ces diverses sources? Sous ces trois questions j'essaierai de grouper toutes les notions, y compris les indications bibliographiques nécessaires pour suivre fructueusement l'explication des textes de nos Codes.

Ces prolégomènes vous sembleront longs peutêtre, mais ils seront pour vous, pour l'avenir de vos études juridiques, d'une grande utilité. Je n'épargnerai ni soins ni fatigues pour les rendre exacts et en corriger l'aridité.

Je vous demande, à titre de collaboration, une attention patiente et je serais presque tenté de dire sympathique; je veux que les liens qui m'unissaient à vos devanciers revivent entre nous.

Sur la philosophie du Droit pénal, je vous invite

à lire un article de M. de Broglie, dans la Revue Française, tome 5, 1° de septembre 1828 (du Système pénal et du Système répressif en général); le Traité du Droit pénal de M. Rossi, ouvrage publié en 1829, et l'Introduction philosophique au Cours de Législation pénale comparée, de M. Ortolan.

Sur l'histoire du Droit pénal, je vous invite à lire l'Introduction du Traité d'instruction criminelle, par M. Faustin-Hélie; le discours de rentrée, prononcé par M. Dupin à la Cour de cassation, le 3 novembre 1847; l'Introduction historique au Cours de Législation pénale comparée, de M. Ortolan; deux articles de M. Ortolan sur les sources de notre ancien Droit pénal, que la Revue de la législation et de jurisprudence a recueillis (année 1848, tome I, p. 21 et p. 161).

Voilà pour la spécialité du Droit pénal; mais ce Droit se lie trop étroitement aux autres parties du Droit, particulièrement au développement des institutions, pour ne pas réclamer l'étude de l'Histoire générale du Droit, et surtout de l'Histoire du Droit public.

C'est assez vous dire que l'Histoire du Droit français et l'Histoire du Droit civil de Rome, et du Droit français, de M. Laferrière, les travaux de M. Guizot, ses leçons sur l'Histoire de la civilisation en Europe et en France, son Histoire des Origines du Gouvernement représentatif en Europe, et surtout ses Essais si substantiels sur l'Histoire de France, m'ont été et vous seront d'un grand secours.

J'examine dès aujourd'hui la première question de mes prolégomènes :

Qu'est-ce que le Droit pénal?

Cette question est dominée par une question plus générale qu'est-ce que le Droit? En effet, si le Droit n'est pas antérieur et supérieur aux volontés humaines, s'il dérive des volontés, au lieu d'être leur règle, le Droit pénal, qui est la sanction principale des autres parties du Droit, n'est lui-même soumis à aucunes conditions indépendantes des volontés; il n'est qu'une arme dans la main de la force. Si, au contraire, le Droit est une règle que l'homme n'a pas faite, mais qu'il subit, le Droit pénal qui sauvegarde cette règle, n'est pas une œuvre arbitraire, il est assujetti à des principes de raison et de justice. Qu'est-ce donc que le Droit ?

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On a donné du Droit six définitions, dont chacune est l'expression d'un système.

1o Le Droit, c'est la volonté du pouvoir social, régulièrement promulguée, que le pouvoir soit un ou multiple, qu'il soit concentré dans une main ou réparti entre plusieurs.

2o Le Droit, c'est la volonté contemporaine de la majorité.

3o Le Droit, c'est l'accord de la volonté de tous; 4° Le Droit, c'est la règle prescrite par l'utilité commune, par l'utilité du plus grand nombre.

5 Le Droit, c'est la tradition, c'est la règle qui a gouverné les ancêtres, qui remonte aux origines d'une société ;

6° Enfin le Droit, c'est la règle des rapports sociaux qu'imposent la raison et la justice.

Je reprends chacune de ces définitions et je la dis

cute:

1o Le Droit est-il la volonté du pouvoir social régulièrement promulgée?

La volonté du pouvoir social, c'est la loi. — Mais la loi n'est pas le Droit; la loi, c'est une formule qui a la prétention plus ou moins sincère d'exprimer le Droit; la preuve que la loi n'est pas le Droit, c'est qu'on la tient pour plus ou moins bonne, suivant qu'elle traduit plus ou moins fidèlement le Droit. Donc, la loi ne crée pas la règle qui la juge, la règle qui sert de mesure à sa valeur.

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Si le pouvoir, par cela seul qu'il est le pouvoir, créait le droit, ce ne pourrait être qu'en vertu de la force, et toutes les consciences s'accordent à reconnaître que la force n'est pas le Droit.

Enfin, si le Droit était pour une société l'œuvre du pouvoir qui la gouverne, il n'y aurait pas de Droit réglant les rapports des sociétés entre elles, puisqu'elles n'ont pas de supérieur commun.

2o Le Droit, est-ce la règle qui résulte de la volonté contemporaine des majorités ?

S'il en était ainsi, le Droit n'aurait aucun élément stable, permanent, universel. Le Droit dirait le pour et le contre suivant les fluctuations capricieuses des minorités devenant des majorités.

A quel titre d'ailleurs la volonté des majorités serait-elle, par elle-même et indépendamment de toute

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