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nouvelle pour unique fondement, le principe que la société était un contrat, la loi un contrat, la créa– tion du pouvoir, le résultat d'un contrat; elle dut, pour être logique, et ce n'était pas par la logique qu'elle péchait, donner pour base à la pénalité le principe du contrat social, ce principe que Rousseau, Beccaria, Voltaire, Mably avaient accrédité dans la philosophie et que Servan et Dupaty comme magistrats, Linguet, Elie de Beaumont, Target et Lacretelle comme avocats, avaient transporté dans le monde judiciaire. On pouvait, de ce principe faire découler la pénalité de deux manières : ou bien le Droit de punir, dont le pouvoir social était investi, était le droit que chaque individu avait cédé sur lui-même, pour le cas où il violerait le contrat; ou bien, c'était le droit que chaque individu avait de se défendre contre ses semblables, en cas d'agression, dont il s'était dessaisi. Chacune de ces idées qui dérivaient du contrat social eut ses adeptes; la première fut surtout adoptée par les philosophes et les publicistes; la seconde fut surtout adoptée par les jurisconsultes.

Prix de la protection stipulée ou instrument de défense, voilà ce que fut la peine; elle ne fut plus l'instrument d'une vengeance sociale, l'instrument d'une vengeance divine, un instrument d'intimidation.

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Je veux vous montrer l'idée nouvelle se substituant à chacune des trois idées qu'elle remplace.

Plus de vengeance sociale..... donc plus de torture, plus de peines atroces, plus de mutilations, mais

des garanties pour les accusés. « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires. » Art. 8 de la déclaration des Droits de l'homme, du 26 août 1789.

Plus de vengeance divine..... donc plus d'empiétements de la part du pouvoir humain sur le pouvoir de Dieu, plus de crimes de lèse-majesté divine, plus de crimes contre la foi. Le principe de la liberté de conscience est proclamé ; nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi (art. 10 de la déclaration du 26 août 1789).

Plus de pensée d'intimidation..... donc, plus de poursuites contre le cadavre ou seulement contre la mémoire, plus de peines étendues à la famille du coupable. Le grand principe de la personnalité de la peine est proclamé; la peine n'a de droits que sur le crime, et le crime est personnel (art. 2 du décret du 21 janvier 1790): les délits et les crimes étant personnels, le supplice d'un coupable et les condamnations infamantes quelconques, n'impriment aucune flétrissure à la famille. L'honneur de ceux qui lui appartiennent n'est nullement entaché et tous continueront d'être admissibles à toute sorte de professions, d'emplois et de dignités.

Le principe du contrat social, appliqué aux matières pénales, entraîne encore d'autres réformes. Le privilége et l'inégalité semblaient inhérents à l'ancienne organisation sociale. Depuis longtemps la féodalité avait été détruite comme pouvoir politique,

mais elle avait laissé des traces profondes et avait encore une grande influence sociale.

Le privilége et l'inégalité s'étaient introduits jusqu'en matière de crime et de pénalité; il y avait des peines pour les gentilshommes et des peines pour les roturiers. Les roturiers condamnés à mort rérissaient par la potence, et les gentilshommes condamnés à la même peine subissaient la décollation; toutefois le principe s'était introduit longtemps avant la Révolution, qu'où le noble serait convaincu d'un vilain cas, il serait puni comme un vilain (1). Eh bien! du moment où la société était un contrat, où la loi et le pouvoir n'étaient que le résultat du contrat, chacun était réputé avoir stipulé au même titre, s'être soumis à la même condition, avoir subi le même sacrifice et réclamé les mêmes garanties; de là l'égalité de la peine, quel que fût le rang des coupables (art. 1o du décret du 21 janvier 1790: « Les délits du même genre seront punis par le même genre de peine, quels que soient le rang et l'état des coupables.

Avant la Révolution la plupart des peines étaient arbitraires, c'est-à-dire laissées à la discrétion du juge qui pouvait ainsi, par passion ou par faveur, exagérer la sévérité ou l'indulgence jusqu'à l'abus le plus monstrueux.

Le principe du contrat social excluait tout arbitraire dans les peines; il excluait même l'existence

(1) Institutes coutumières de Loysel, livre VI, titre II, règle 19.

d'un maximum et d'un minimum dans la peine attachée à chaque genre de crime. Du moment, en effet, où la peine n'était qu'un moyen de défense sociale, elle ne devait pas être mesurée sur le degré d'immoralité de l'agent, elle devait être mesurée sur le danger que le crime faisait courir à la société. Or, tous les crimes qui ont matériellement les mêmes caractères font courir à la société le même danger. Ce sont là les réformes dont le Code pénal du 25 septembre-6 octobre 1791 contient l'application.

Quant à la loi de procédure elle commença une œuvre d'éclectisme; elle emprunta à la procédure antérieure au XVI° siècle le principe que chacun devait être jugé par ses pairs et elle institua un double jury, non seulement un jury pour juger les accusés, mais encore un jury pour mettre les inculpés en accusation; elle emprunta encore à la procédure antérieure au XVI siècle le principe de la publicité de l'instruction, du débat oral; elle lui emprunta enfin le principe que la partie lésée pouvait mettre en mouvement l'action répressive (1). Elle n'emprunta à la procédure du XVI siècle le principe de l'information secrète que pour l'information préparatoire et elle garda l'institution du ministère public; en sorte que la répression eut pour garantie et l'intérêt privé, et l'intérêt général. Mais le Droit pénal, comme la constitution politique, reposait sur un principe matérialiste. Or, il

(1) Loi du 16 septembre 1791, tit. Ier de la Justice criminelle et de l'Institution des Jurés.

n'est pas donné au pouvoir de l'homme de paralyser, de comprimer, de refouler les désastreuses conséquences qu'un mauvais principe recèle. Ces conséquences doivent tôt ou tard se produire.

Si la peine est un moyen de défense sociale, c'est un moyen de guerre. C'est là ce que vit bien la logique de la Convention; aussi, sous prétexte de défense, elle fit de la guerre, de l'extermination lâche et implacable; on ne jugeait pas, on prenait des mesures de salut public. La société, ou plutôt ceux qui l'opprimaient, avaient pour champion le bourreau et pour arme la guillotine. Sous le Directoire, les déportations sans jugement furent encore l'application de cette idée, que la peine était un moyen de guerre défensive.

Le Code du 3 brumaire an IV ne fut guère, quant à la pénalité au moins, que la reproduction du Code du 25 septembre-6 octobre 1791; il donne lieu aux mêmes observations.

Sous le Consulat et sous l'Empire, c'est-à-dire à une époque de réorganisation sociale, d'autres idées se firent jour et réclamèrent leur part d'influence.

Bentham, sans s'occuper de la question d'origine de la société qu'il traitait de question oiseuse, fondait le Droit de punir sur l'utilité du plus grand nombre, en dehors et indépendamment de toute idée supérieure de raison et de justice.

En Allemagne, Kant fondait le Droit de punir sur une idée de justice absolue, en dehors et indépendamment de toute idée d'utilité sociale; c'était

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