Images de page
PDF
ePub

de France, par un Français, lorsque cette infraction emporte une peine afflictive et infamante.

Notre question a été agitée lors de la discussion du Code d'instruction criminelle. Ce n'était cependant pas une question de procédure; elle appartenait essentiellement à la discussion de la loi du fond, puisqu'il s'agissait de déterminer l'étendue de l'empire de cette loi, de mesurer la portée de ses commandements. Mais, vous le savez, le Code d'instruction criminelle fut discuté et voté avant le Code pénal et il n'était pas possible d'organiser les conditions de l'action publique en laissant ce problème sans solution. Voilà pourquoi il nous faut chercher le principe que nous étudions dans le Code d'instruction criminelle, où il est véritablement dépaysé. MM. Treilhard et Bérenger soutinrent, avec vigueur, le principe de la non-personnalité. MM. Target, Berlier et Cambacérès défendirent le principe de la personnalité. Ce fut ce dernier principe qui l'emporta, mais il fut singulièrement restreint et limité, il ne fut appliqué que dans trois cas.

Il fut appliqué :

1° Aux crimes attentatoires à la sûreté de l'Etat ; 2° Aux crimes de contrefaçon du sceau de l'Etat, des monnaies nationales, des papiers et billets de banque autorisés par la loi.

Dans ces deux cas, la poursuite ne fut pas subordonnée au retour du Français en France ou à son extradition.

3o Enfin, le principe de la personnalité fut appliqué

aux infractions commises hors de France, par un Français, bien que ces infractions ne s'attaquassent pas directement à la souveraineté française, lorsque cinq conditions concouraient :

1 CONDITION.-L'infraction commise à l'étranger devait constituer un crime, c'est-à-dire entraîner une peine afflictive et infamante, ou infamante seule

ment;

[ocr errors]

2° CONDITION. Il fallait que la partie lésée fût française;

3 CONDITION. plainte.

La partie lésée devait porter

4 CONDITION.-Le Français, auteur de l'infraction, n'était punissable qu'autant qu'il était de retour en France, et, bien entendu, il s'agissait d'un retour volontaire, parce que le retour volontaire a, en quelque sorte, le caractère d'un défi jeté à la loi française (1).

5 CONDITION.-L'infraction ne pouvait être poursuivie en France, qu'autant qu'elle n'avait pas été jugée à l'étranger.

Il semble que le principe de la personnalité de la loi pénale eût été réduit à se rapetisser pour se faire accepter.

De ces cinq conditions, il y en a trois qui nous paraissent ne pouvoir se justifier.

(1) Voir MANGIN, de l'Act. pub., tome Ier, no 70. LESELLYER, tome V, no 1986.

Pourquoi, d'abord, la loi est-elle subordonnée à la qualité de la victime? En second lieu, pourquoi la loi pénale est-elle subordonnée à une réclamation individuelle ? En troisième lieu, pourquoi le Français ne peut-il être poursuivi qu'autant qu'il revient en France?

Est-ce que les prescriptions de la loi pénale française ne sont imposées aux nationaux qu'en faveur des nationaux ? - Si ces prescriptions étaient violées en France au préjudice d'un étranger, est-ce que la pénalité ne serait pas applicable? — Si les Si les prescriptions de la loi française étaient violées en France, est-ce que la répression serait subordonnée à la volonté de la partie lésée? - Si les prescriptious de la loi pénale française étaient violées en France par un Français, est-ce que l'application de la pénalité serait subordonnée à la présence du Français, auteur de l'infraction, sur le territoire français ?

Mais si la partie de la loi morale que la société sanctionne, comme condition de son maintien et de son développement, impose une obligation sociale absolue, pourquoi la violation de cette obligation n'entraîne-t-elle pas toujours nécessairement l'application de la sanction pénale?

Je sais bien qu'on peut objecter que l'autorité judiciaire française n'a pas de pouvoir coactif pour obliger les témoins du pays étranger à venir déposer devant elle, qu'elle n'a pas même la faculté de se transporter sur les lieux du crime, d'y entreprendre des constatations souvent nécessaires à la découverte

de la vérité, et que, sous ce rapport, l'accusation et la défense peuvent être entravées.

Mais d'abord cette objection prouve trop. La loi française ne considère certainement pas que, lorsqu'aux termes des art. 5, 6 et 7 du Code d'instruction criminelle, elle applique des pénalités à des faits commis à l'étranger, les inculpés soient dans l'impuissance de se défendre. Les art. 14 et 15 du Code Nap. qui permettent de réclamer devant les Tribunaux français l'exécution d'obligations contractées à l'étranger, soit par contrat, soit par quasi-contrat, soit par délit, soit par quasi-délit, supposent que des faits passés hors de notre territoire, peuvent être l'objet d'une instruction utile en France.

Je ne demande pas, d'ailleurs, à la loi de rendre la poursuite toujours obligatoire, mais seulement de la rendre facultative. Le dépositaire de l'action répressive jugera, dans sa prudence, s'il importe à l'intérêt social et s'il est d'ailleurs juste, d'après les circonstances, d'appeler la répression (1).

-

Quant aux quatrième et cinquième conditions, elles sont faciles à justifier: si le Français a été jugé à l'étranger, qu'il ait été condamné ou acquitté,– le fait est purgé et il ne saurait, dans aucun cas, autoriser une nouvelle poursuite en France. Le Français se fût-il, par son retour sur le territoire fran

(1) Voir en ce sens les Observations de la Faculté de Droit de Caen, sur quelques modifications à apporter au Code d'instruction criminelle, p. 13.

[ocr errors]

çais, soustrait à l'exécution de la peine prononcée par la juridiction étrangère, que l'autorité judiciaire française n'aurait pas à intervenir. La condamnation d'un tribunal étranger exclut une nouvelle condamnation et la souveraineté française n'a pas à prêter main forte à l'œuvre d'une souveraineté étrangère.

En ce qui concerne les délits, on conçoit que ces infractions ne sont pas, en général au moins, assez graves pour que la souveraineté française entreprenne, -quand elles ont été commises à l'étranger, - la tâche d'une instruction difficile et coûteuse. - Une poursuite qui ne peut aboutir qu'à une peine correctionnelle n'est pas imposée, à peine d'atteinte à la sécurité sociale, lorsqu'il s'agit d'un fait qui s'est produit au loin et dont les nationaux ignorent vraisemblablement l'existence.

Le 19 février 1842, M. Martin (du Nord) présenta un projet de loi qui donnait au principe de la personnalité de la loi pénale l'extension qu'il avait déjà reçue des législations étrangères. Ce projet fut F'objet d'une savante discussion à la Chambre des pairs. MM. Rossi, de Broglie, Frank-Carré reprirent la thèse de MM. Bérenger et Treilhard et soutinrent que la loi pénale était une loi exclusivement territoriale.- MM. Portalis, Laplagne-Barris et Mérilhou développèrent les idées de MM. Target, Berlier et Cambacérès. Ils se rallièrent au principe de la personnalité et demandèrent que ce principe produisit toutes ses conséquences. —Le principe de la

« PrécédentContinuer »