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adoptait le principe du décret du 3 septembre 1792. Dans l'intérêt du crédit public, il avait fait une exception. Il avait intimé un certain ordre qu'il avait voulu rendre obligatoire pour l'étranger à l'étranger. La disposition finale de l'art. 13 offrait une singulière anomalie; elle investissait l'autorité judiciaire française du droit de condamner les étrangers à sortir du territoire français et à ne pas y rentrer, et ce, à deux conditions: 1° que les faits commis à l'étranger fussent des atteintes aux personnes ou aux propriétés, emportant peine afflictive ou infamante; 2° qu'il fût justifié que ces faits étaient l'objet de poursuites dans le pays où ils s'étaient produits. Tous les auteurs et notamment M. Mangin et M. Faustin-Hélie ont critiqué cette disposi- Pourquoi charger les tribunaux français de l'application d'une mesure de police ? Le Droit d'expulsion est une mesure de haute administration qu'une loi du 28 vendémiaire an VI a restituée au pouvoir exécutif. Pourquoi d'ailleurs subordonner le Droit d'expulsion à la condition qu'il y aurait des poursuites dans le pays où le crime aurait été

tion.

commis?

Le Code d'instruction criminelle, dans son art. 6, réserve le Droit de poursuite en France, contre les étrangers qui se rendraient coupables hors du territoire français de crimes attentatoires à la sûreté de l'Etat ou de contrefaçon soit du sceau de l'Etat, soit de monnaies nationales ayant cours, soit de papiers nationaux, soit de billets de banque auto

risés par la loi, et ce, sous la condition que ces étrangers seraient arrêtés en France ou que le gouvernement obtiendrait leur extradition. Il assimile ainsi les étrangers dans ce cas aux Français qui se rendraient coupables des mêmes faits à l'étranger. Cet article veut-il dire sculement que la poursuite contre les étrangers dans ce cas sera facultative? Mais d'après les termes de l'art. 5, auxquels l'art. 6 se réfère, la poursuite contre les Français auteurs d'attaques directes contre l'existence ou contre le crédit de l'Etat, n'est elle-même que facultative; or, l'art. 6 dit que la disposition de l'art. 5 relative aux Français, pourra être étendue aux étrangers. Il n'est pas possible de croire que le législateur ait écrit qu'il serait facultatif d'user contre les étrangers de la faculté qui était créée contre les Français.

M. Boitard me paraît avoir bien saisi le sens de cet article. La question de savoir si la poursuite contre les étrangers peut avoir lieu n'est pas une question exclusivement judiciaire. L'extension de l'application de l'art. 5 aux étrangers est subordonnée à l'appréciation du pouvoir exécutif. Le consentement de l'administration, voilà la condition sine qua non de la poursuite. C'est là, direz-vous, une anomalie?Oui, sans doute; mais si l'art. 6 n'est pas l'exercice du pouvoir coactif inhérent à toute souveraineté, s'il n'est, dans la réalité, que l'exercice du Droit de défense, Droit de défense régularisé, confié à l'impartialité et à la modération de l'autorité judiciaire,

on comprend que cette mesure dans laquelle domine, après tout, le caractère politique, ne puisse et ne doive être prise qu'avec l'assentiment du pouvoir exécutif.

La discussion de l'art. 6 au conseil d'État atteste bien que cette disposition qui avait des précédents dans l'ancien Droit et aussi dans l'art. 12 de la loi du 3 brumaire an IV, apparaissait comme exorbitante.

M. Treilhard objectait que l'étranger n'est pas tenu hors de France, d'obéir à nos lois; M. Bérenger répondait que l'art. 6 n'était que la sanction d'un principe de Droit international. Mais le Droit international n'a pas de sanction applicable par l'autorité judiciaire.— M. Cambacérès semblait faire à M. Treilhard une meilleure réponse: l'étranger ne serait poursuivi qu'autant qu'il serait en France, et sa présence serait une présomption juris et de jure qu'il voulait tirer parti de son crime sur notre territoire, qu'il venait pour l'utiliser. Est-ce qu'une pareille présomption n'était pas dans le domaine de la loi? Oui, certainement; mais il fallait alors subordonner l'application de l'art 6, à la condition d'un retour volontaire de l'étranger en France, tandis que cet article peut être appliqué à l'étranger, dont le pouvoir français obtient l'extradition.-Est-ce qu'il y a place à la présomption d'intention de réaliser le profit du crime en France, quand l'étranger n'est sous le coup de notre loi que parce qu'il a été livré, sur la revendication que le pouvoir exécutif français en a faite, en le représentant comme justiciable de l'autorité judiciaire française ?

Non, il n'est pas possible de faire rentrer l'art. 6 dans le Droit commun, et de le couvrir d'un principe. Il a eu pour le législateur, il doit avoir pour l'interprète, le caractère d'une exception, d'une exception qui avait de puissants motifs, sans doute, et qui a la légitimité d'un intérêt national. Exception, cet article n'est pas susceptible d'interprétation extensive.

L'étranger, dans le cas de l'art. 6, ne pourrait pas être poursuivi, comme le Français le pourrait être, par contumace. La présence de l'étranger en France doit être une présence spontanée. Si elle était la suite d'une manœuvre frauduleuse, d'une ruse, ou d'un accident, comme d'un naufrage, par exemple, il faudrait dire, avec l'arrêté des consuls, du 18. frimaire an VIII, dont la pensée vaut mieux que le langage: « Qu'il est hors du Droit des nations policées, de profiter de l'accident d'un naufrage pour livrer «< même au juste courroux des lois, des malheureux «< échappés aux flots, etc. >>

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Je vous ai dit que le caractère incontesté de la loi pénale, son caractère exclusif, suivant les uns, son caractère prédominant, suivant les autres, et c'est cette dernière idée que je défends, était le caractère de la territorialité.

La loi pénale domine le territoire, mais qu'est-ce que le territoire ?-Le territoire se compose de toutes les contrées soumises à la souveraineté d'un pouvoir social déterminé.-Cette souveraineté peut s'exercer au-delà des frontières, c'est-à-dire au-delà des limites résultant de la nature ou des traités.

Ainsi, 1° la souveraineté du pouvoir social s'exerce sur la mer dite territoriale, c'est-à-dire sur la partie de la mer, qui, à raison de la proximité de la terre, participe, en quelque sorte, à sa condition et s'appelle frontière maritime. Sans doute, en principe, la mer est insusceptible d'appropriation; elle appartient à tous les hommes et n'appartient à aucun, parce qu'aucun d'eux ne peut se l'assimiler, la conquérir, la marquer d'une empreinte durable de sa personnalité. -La mer qui se dérobe au Droit de propriété ne subit, par la même raison, aucune souveraineté particulière; c'est, comme l'a dit M. de Broglie, une sorte de territoire libre, qui ne relève d'aucune puissance. Grotius a cherché le principe de la liberté des mers dans cette circonstance qu'elles n'avaient pas de bornes certaines, de limites déterminées, ce qui n'est pas vrai, au moins de toutes les mers.-M" de Staël, dont je n'oserais me faire une autorité dans cette chaire, si M. Troplong, dont les exemples sont bons à suivre, même de loin, ne l'avait citée, dans son traité de la Prescription (1) a signalé, la véritable raison qui a échappé au savant publiciste : « Si « les vaisseaux sillonnent un moment les ondes, la << vague vient aussitôt effacer cette légère marque de << servitude et la mer reparaît comme elle fut au « premier jour de la création. >>

Cette liberté souffre une exception qui est en parfait accord avec le principe: chaque Etat est réputé souverain de la portion de mer qui le borde, qu'il peut

(1) Tome Ier, no 142.

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