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que, par hasard, les droits de propriété, de cité et de famille ne seraient que des créations arbitraires de la loi positive; que des faits accidentels et contingents qui n'auraient pour eux que la consécration du temps, mais qui ne puiseraient pas leur raison d'être dans la nature de l'homme ?

L'homme est un être libre et intelligent. Si vous proclamez inviolables sa liberté et son intelligence, pourquoi n'étendriez-vous pas la même inviolabilité aux résultats, aux conquêtes de sa liberté et de son intelligence? Pourquoi séparez-vous l'effet de la cause, la conséquence du principe? Si la société est aussi nécessaire pour sauvegarder la cause que l'effet, la cause comme l'effet sera susceptible de restrictions, en tant que ces restrictions seront nécessaires au maintien de l'ordre social.

Ces observations générales, en réponse à une distinction absolue, me paraissent résoudre une question spéciale. La peine de mort est-elle en soi une peine illégitime? Est-elle illégitime même quand, à raison des temps, des circonstances et des mœurs, le pouvoir social a besoin de la faculté de disposer de la vie de ceux qui violent certaines de ses lois ?

Je ne puis, dans un cours de Droit pénal, laisser absolument de côté cette question, bien qu'elle ait été souvent de nos jours débattue, et avec une grande puissance de talent, dans les livres, dans nos écoles, à la tribune, et qu'elle soit presque devenue un lieu commun; je dois au moins, suivant l'exemple de Boitard, résumer la discussion; je vous renvoie, pour

les développements, à l'article de M. de Broglie dans la Revue française de septembre 1828, parce que c'est cet article, dont tous, philosophes, publicistes, orateurs, professeurs se sont beaucoup inspirés, qui a le mieux réduit la question à ses véritables termes.

Pour soutenir l'illégitimité absolue de la peine de mort on dit : L'homme n'a pas le droit de disposer de sa vie ; il la reçoit et ne se la donne pas; il n'a pas le droit de se l'enlever par un suicide, il ne peut donc renoncer éventuellement à la vie au profit du pouvoir. Cette objection a un vice capital; elle suppose que la société est le résultat du consentement de ceux qui la composent et que le pouvoir social n'a de droits que ceux qui lui ont été concédés.

J'ai démontré que cette supposition est purement gratuite, que la société n'est pas subordonnée à l'acceptation individuelle; qu'elle est un fait indestructible imposé par la Providence.

On a fait une autre objection; l'on a dit: La vie est un don de Dieu; or ce don doit être inviolable et sacré. Le législateur humain ne saurait y porter atteinte. Mais la liberté, elle aussi, est un don de Dieu ; c'est une faculté dont il a doté l'homme en l'appelant à agir, à ses périls et risques, pour le bien ou pour le mal. Est-ce donc que le pouvoir social ne pourrait paralyser une liberté dont les abus préjudicieraient à la sûreté de la société ? S'il en était ainsi, l'emprisonnement, c'est-à-dire la privation de la faculté de locomotion, serait donc une peine illégitime? Je ne erois pas qu'aucun criminaliste soit allé jusque-là.

On a fait une troisième objection et l'on a dit: La tâche de la justice humaine n'est pas de punir, mais bien de défendre la société en corrigeant, s'il se peut, et en réprimant les agents qui la troublent. La mort est exclusive de toute correction et de tout amendement. Si la société a perdu tout espoir de correction et d'amendement, qu'elle enlève à tout jamais à l'agent, dont elle désespère, les moyens de nuire; qu'elle le séquestre de son sein; qu'elle lui enlève la vie sociale, qui est son œuvre, mais qu'elle ne lui enlève pas la vie naturelle qu'il ne tient pas d'elle.

En tant que cette objection tend à présenter tous les dons terrestres de Dieu, comme en dehors du pouvoir social, j'ai déjà répondu.... En tant qu'il s'agirait du don spécial de la vie, la conscience humaine répond qu'il n'est pas d'une inviolabilité plus absoluc que les autres dons de Dieu. Depuis qu'il existe des nations, l'homme enlève la vie à l'homme sur des champs de bataille, et l'effusion du sang, pour l'indépendance du territoire et de la patrie, n'a jamais constitué un crime. On reconnaît qu'il y a des guerres justes, des guerres saintes, et le courage qu'on y déploie, ce n'est pas de la férocité, c'est de l'héroïsme. La conscience humaine répond que l'homme nonseulement dans l'intérêt social, mais même dans son intérêt individuel, peut disposer de la vie de son agresseur, s'il n'a d'autre moyen de sauver sa propre vie. Pourquoi donc l'intérêt social n'autoriserait-il pas ce qu'autorise l'intérêt individuel? D'ailleurs l'objection suppose que la société n'a pas, à proprement

parler, le Droit de punir, mais seulement le Droit de se défendre.

Mais je vous ai démontré, dans mes PROLEGOMÈNES, que le Droit de défense et le Droit de punir étaient deux Droits distincts qui reposent sur des bases complètement différentes. La peine est pour nous, non une défense, mais une sanction. Or, s'il est des lois sociales dont le respect ne puisse être assuré que par la peine de mort, et qu'elles soient assez importantes pour mériter une pareille sanction, la nécessité sociale est la meilleure de toutes les légitimités.

On a dit encore:

:

Le pouvoir social ne saurait hâter l'heure à laquelle l'homme comparaîtra devant Dieu pour y être jugé selon ses œuvres; autrement on le priverait de ses chances de repentir, de ses moyens spontanés d'expiation.-Disposer de sa vie terrestre, ce serait peutêtre disposer de sa vie éternelle. Cette objection a de la gravité et de la grandeur; toutefois je ne la crois pas décisive le renvoi de l'homme, par l'homme, devant Dieu, a sans doute quelque chose d'effrayant, au point de vue de la vie à venir. Cependant des considérations de l'ordre le plus élevé peuvent nous rassurer. Rien ne prouve que la préoccupation d'une mort certaine, à jour fixe, ne sera pas pour le condamné le meilleur, le plus salutaire des avertissements, et qu'au moment où toutes les espérances disparaissent pour lui dans ce monde, il ne se rattachera pas avec plus de ferveur et plus de ténacité à la dernière espérance qui lui reste. Rien ne prouve enfin que l'ex

piation qu'inflige le pouvoir social ne soit pas le seul moyen qu'ait le condamné de payer sa dette même envers Dieu.

A la justice humaine n'opposons pas la justice divine, parce que celle-ci saura toujours bien faire ses affaires et régler ses comptes. L'objection, d'ailleurs, prouve trop; elle condamnerait la guerre; elle interdirait de sauver sa vie en sacrifiant la vie de son agresseur.

Enfin on a fait une dernière objection; on a dit : La justice humaine est faillible et elle peut appliquer, par une de ces méprises dont il y a plus d'un exemple, la peine de mort à l'innocence dans laquelle elle a cru trouver les apparences du crime.

La société ne doit donc appliquer que des peines réparables pour qu'elle ait le moyen de réparer ses injustices involontaires. L'irréparable et l'irrévocable, a dit un célèbre écrivain, n'appartiennent qu'à Dieu.

Je ne crois pas qu'il faille répondre, comme on a eu le tort de le faire, que la peine de mort après tout n'est qu'un moyen de renvoyer le justiciable devant son juge naturel.

Je ne crois pas non plus qu'il faille dire, qu'il est possible qu'un homme envoyé au supplice pour un crime qu'il n'a pas commis, l'ait réellement mérité pour un autre crime absolument inconnu. Ces réponses-là ont été éloquemment châtiées par M. Villemain (vingt-troisième leçon sur la Littérature française au XVIIIe siècle) (1).

(1) Delaroche-Flavin avait au reste dit avant M. de Maistre :

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