Images de page
PDF
ePub

l'agent, averti par une première condamnation, qui s'insurge de nouveau contre le commandement, donne un démenti à la loi, et ébranle, jusqu'à certain point, la foi qu'elle devait avoir dans la valeur de sa sanction pénale. Au contraire, l'agent, dont toutes les infractions sont antérieures à la condamnation, bien loin de démentir les prévisions législatives, les justifie une infraction impunie a pu encourager une seconde infraction; la loi tient compte à l'agent de ce que l'action répressive n'a pu peser sur lui assez

vite.

Est-ce à dire que la loi ne devrait alors punir l'agent que de la peine méritée par la première infration? Non, vraiment. Si la seconde infraction est d'une nature plus grave, si l'agent a violé un com→ mandement méritant, par son importance, une sanction plus forte, la violation d'une prescription ne saurait être une cause d'immunité pour la violation d'une autre prescription d'un intérêt peut-être de beaucoup supérieur.

Pour que l'agent ne dût toujours subir que la peine de la première infraction, fût-elle la moins importante de celles qu'il a commises, il faudrait que l'impunité de cette première infraction fût la vraie cause des autres infractions, tandis que la cause véritable est dans sa liberté dont il a continué à abuser. La société n'appliquera pas les deux sanctions, mais au moins elle appliquera la sanction la plus forte comme la plus efficace. Elle pourra même, si l'application de cette sanction comporte un minimum et un maxi

mum, user de la flexibilité de la peine, pour la porter à son degré le plus élevé, à raison des mauvaises tendances qu'elle constate chez l'agent. Ce que les exigences du respect dû à la loi lui interdisent seulement, c'est d'appliquer autant de sanctions diverses qu'il y a eu d'infractions.

Tout ceci vous prépare à bien comprendre comment la loi ne voit de récidive qu'autant que la seconde infraction a été commise depuis l'irrévocabilité de la condamnation pour la première infraction (art. 56, Code pénal).

Vous savez ce qui, à mon sens, constitue le fondement rationnel du principe du non cumul des peines; ce principe est quelquefois imposé par une nécessité que j'appellerai matérielle : il est au moins presque toujours imposé par une nécessité morale. Le cumul de plusieurs sanctions dénaturerait chacune d'elles, alors même qu'il serait matériellement possible.

En effet, dans certaines hypothèses, il est d'évidence qu'il y a impossibilité matérielle de faire concourir, même par ordre de succession, les diverses peines.

L'agent à commis deux crimes; l'un emporte la peine de la réclusion, l'autre la peine des travaux forcés à perpétuité; évidemment la peine de la réclusion ne pourrait être subie par le condamné sans qu'elle diminuât pour lui la durée de la peine des travaux forcés à perpétuité, si l'exécution de cette dernière peine était ajournée jusqu'après l'exécution de la première.

L'intérêt de la répression exige done dans ce cas que la peine la plus forte soit seule appliquée, que la peine la plus forte absorbe l'autre.

Je suppose maintenant que l'un des crimes emporte la peine de mort et l'autre la peine des travaux forcés à temps.

Sans doute, on pourrait matériellement faire concourir, par ordre de succession, l'exécution des deux peines, en faisant subir d'abord les travaux forcés à temps au condamné et en le privant seulement de la vie après l'expiration de cette peine. Mais, je ne crains pas de le dire, la peine de mort, ainsi appliquée, serait monstrueuse d'inhumanité. La peine de mort c'est le droit de la société à sa dernière limite, à son point extrême; la peine de mort, déjà si rigoureuse par elle-même, doit se réduire à la simple privation de la vie; elle ne doit pas être aggravée par des tortures accessoires, matérielles ou morales; or, la peine de mort, précédée d'une attente de plusieurs années dans une maison de force, serait autre chose que la simple privation de la vie.

On dit que chacun des deux crimes, considéré isolément, doit entraîner la part d'expiation que la loi lui a faite et que celui qui a commis deux crimes doit être de pire condition que celui qui n'en a commis qu'un. Il me semble qu'on peut répondre que le cumul des deux peines les dénaturerait toutes deux, que, par exemple, la peine des travaux forcés à temps au bout de laquelle le condamné voit l'échafaud, n'est pas la peine des travaux forcés à temps, au

bout de laquelle le condamné voit la liberté, et que la peine de mort, précédée des angoisses d'une longue détention, n'est pas la peine de mort s'exécutant dans les 24 heures de l'irrévocabilité de la condamnation, aux termes de l'art. 375 du Code d'instruction criminelle.

Si des deux crimes l'un emportait la peine des travaux forcés à perpétuité et l'autre la peine de mort, il est bien évident que l'exécution d'une des peines exclurait l'exécution de l'autre.

Je sais bien que j'ai jusqu'ici choisi les exemples les plus favorables au non cumul des peines; mais je l'ai fait à dessein, et pour établir que le principe du non cumul n'est pas un principe arbitraire, un principe de faveur, un principe d'exception qui fasse brèche à la règle générale et que l'on doive rigoureusement limiter.

Je suppose maintenant que des deux crimes l'un emporte la peine de la réclusion et l'autre la peine des travaux forcés à temps.

Sans doute l'exécution successive des deux pénalités temporaires est matériellement possible; mais cette exécution successive est-elle désirable, est-elle légitime? Je reconnais qu'au point de vue moral il n'y aurait rien d'injuste à ce que celui qui a violé deux fois la loi fût deux fois puni et subit une double expiation; mais le pouvoir social ne doit exercer le droit de punir qu'autant qu'il y a intérêt et que dans les limites de cet intérêt; n'y a-t-il pas de sérieuses raisons de penser que la pénalité édictée

contre le crime le plus grave, et qui peut être appliquée au maximum, sera suffisante pour établir que la loi n'est pas impunément violée, et pour protéger la société contre la tentation que le condamné pourrait avoir de se livrer de nouveau à de pareils faits?

La loi romaine n'admettait pas le principe du non cumul des peines: Ulpien disait : « Nunquam plura « delicta concurrentia faciunt ut ullius impunitas a detur; neque enim delictum ob aliud delictum mi« nuit pœnam. Qui igitur hominem subripuit et

occidit, quia subripuit, furti, quia occidit, Aquilia « tenetur, neque altera actionem alteram consumit. « Idem dicendum, si rapuit et occidit; nam et vi « bonorum raptorum et Aquilia tenebitur. » (L. 2. pr. et §§ 1 et 2, D. De privat. Delict.-V. L. 60, D. De oblig. et action.-§ 1, in fine, Inst. si quadrup. paup. fec.)

La solution de la loi romaine fut-elle la solution de notre ancien Droit ?

Qui, dit Muyart de Vouglans (Des Lois criminelles, liv. II, tit. II, chap. п, 15° règle); oui, dit Jousse (De la Justice criminelle en France, part. III, liv. II, tit. XXV, art. 7, no 280 à 288, t. II, p. 643). Toutefois, ces deux auteurs reconnaissent que certaines peines n'étaient pas cumulées. Muyart de Vouglans professe qu'elles ne devaient être cumulées qu'autant qu'elles étaient compatibles entre elles; et la preuve que la compatibilité dont il parlait n'était pas une compatibilité matérielle, c'est qu'il cite, pour exemple d'incompatibilité, la condamnation par le même ju

« PrécédentContinuer »