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extrinsèque à l'infraction; elle est inhérente à l'agent: adheret personæ, non rei aut cause.-Je ne m'occuperai donc de la récidive que lorsque j'aurai indiqué les conditions essentielles de l'imputabilité. Quand vous saurez à quelles conditions l'imputation est subordonnée, vous comprendrez mieux l'influence des circonstances qui l'aggravent ou qui la mitigent.— Je laisse donc momentanément de côté les art. 56, 57 et 58, et je fais pour eux ce que j'ai déjà fait pour l'art. 16. Ce n'est qu'un ajournement.

La loi, l'infraction, la pénalité, voilà ce qui a fait jusqu'ici l'objet de nos études. J'arrive à l'agent.Vous entrez dans le second livre du Code pénal. Pourquoi l'agent est-il responsable devant la loi pénale?

L'homme est un être intelligent et libre; intelligent, il comprend et apprécie ce qui est bien, ce qui est mal; libre, il a le pouvoir de préférer le bien au mal, et s'il préfère le mal au bien, il a conscience d'exercer son choix à ses périls et risques. C'est parce que l'homme est intelligent et libre que l'application de la sanction pénale est légitime.

L'agent a su qu'en violant une des lois de l'ordre moral au maintien de laquelle la société avait intérêt, et qu'elle avait transformée en loi positive, il s'insurgeait contre le pouvoir, que son acte de rébellion l'exposait à un châtiment ; et cependant il ne s'est pas arrêté devant la menace de la loi. Or, je vous l'ai dit, la loi cesserait d'être une loi, si elle était désarmée de moyens coercitifs imposant le respect et

l'obéissance, si elle était désarmée de moyens répressifs attestant l'efficacité et la puissance de ses prescriptions et de ses menaces: legis virtus hæc est: imperare, vetare, permittere, punire. (Loi 7. D. de legibus).

La pénalité n'est pas un moyen préventif contre tous les criminels possibles; elle est à l'adresse de l'intelligence et de la liberté de chaque agent. Menace, elle fortifie le lien du devoir social; appliquée, elle est l'expiation sociale de la violation individuelle de ce devoir. L'intelligence et la liberté, au moment de l'acte qualifié infraction, sont done deux conditions dont le concours est indispensable pour qu'une pénalité frappe l'agent. Si l'agent était dans un état tel qu'il lui fût impossible de comprendre que son action était contraire à la loi, qu'elle était défendue à peine de châtiment, ou si, connaissant le caractère de son action, il a été contraint à son accomplissement par une force à laquelle il n'a pu résister, il pourra bien y avoir un fait matériel dont les conséquences seront plus ou moins déplorables; mais ce fait matériel, isolé de toute intention coupable, sera à l'abri de toute punition.

C'est là le double principe que proclame l'art. 64 du Code pénal: « Il n'y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister. »

Intelligence et liberté, voilà les deux conditions: La liberté, sans doute, implique l'intelligence, mais l'intelligence n'implique pas la liberté.

Je m'occupe séparément de chacune de ces deux conditions.

J'examine d'abord ce qui concerne l'intelligence.

La responsabilité d'un acte ne peut peser que sur celui qui a compris cet acte: donc, l'homme en démence au moment de l'action ne peut pas être responsable de cette action.

La démence c'est un état générique qui comprend bien des états; ce n'est pas seulement l'extinction des facultés intellectuelles, c'est leur altération, leur égarement, leur déviation; ce n'est pas seulement l'absence, la privation de toute espèce d'idées, mais c'est l'absence et la privation d'idées justes; l'absence de ces notions communes aux gens sensés, de ces notions qui constituent un patrimoine collectif, l'un des plus sûrs et des plus énergiques liens sociaux

La démence, ce n'est pas seulement l'idiotisme et l'imbécillité; c'est la folie avec ses nuances variées, ses diversités de formes, sa physionomie multiple ; c'est la folie, pourvu qu'elle soit complète ou au moins générale; c'est l'extravagauce avec ses divagations; c'est la folie furieuse avec la frénésie de ses accès.

La folie partielle ou folie concentrée sur un point unique, appelée monomanie, n'affranchit pas en général de la responsabilité pénale; elle n'est une cause d'affranchissement qu'autant que l'idée fixe dans laquelle elle consiste a été la cause unique de l'action, et qu'autant que cette idée fixe n'était pas une idée volontairement caressée et nourrie par l'agent, mais était devenue une idée continue, incessante, perpé

tuelle; une de ces idées irrésistibles et fatales qui enchaînent et subjuguent sans qu'on en ait conscience. Les causes de la démence, quand son existence est constante, sont indifférentes ; que cette démence résulte d'accidents ou de malheurs non imputables à l'agent, ou de faits volontaires, comme d'actes de débauche, peu importe; le résultat est le même. Si l'agent n'a pas eu conscience du caractère de son acte, il ne saurait être puni.

L'état d'ivresse complète, complète à ce point qu'elle étouffe le sens moral et qu'elle détruise toute raison, peut-il être assimilé à la démence et exclure l'application d'une pénalité ?

Cette question a beaucoup exercé les criminalistes ; quelques-uns refusent à toute espèce d'ivresse, si complète qu'elle soit, les conséquences de la démence; d'autres font des distinctions. L'état d'ivresse a-t-il été un état accidentel, ou est-il un état habituel? A-t-il été volontaire ou involontaire? A-t-il été ou n'a-t-il pas été précédé de la préoccupation, de la pensée du crime qui a été commis pendant sa durée ? A-t-il ou n'a-t-il pas été un moyen auquel l'agent a eu recours, soit pour se donner le triste courage du crime et s'étourdir contre la crainte du châtiment, soit pour se préparer une protection contre la pénalité? Ce n'est que dans le cas où l'ivresse a été tout à la fois et accidentelle et involontaire que certains jurisconsultes voient dans cette ivresse une cause de non imputabilité. Si l'ivresse est un état habituel, c'est une immoralité, et une immoralité ne saurait être une protection pour

celui qui s'y est livré. Si l'ivresse, quoique non habituelle, a été volontaire, en ce sens qu'elle n'a pas été le résultat d'une surprise ou d'une mauvaise disposition physique; si elle a été en quelque sorte consentie, acceptée, bien qu'elle n'ait pas été précédée de la préoccupation et de la pensée d'un crime, elle doit entraîner la responsabilité de ses conséquences, parce que quiconque a voulu la cause, est réputé avoir voulu toutes les conséquences qu'elle peut en

traîner.

Que si l'ivresse a été non seulement volontaire, mais encore un moyen prémédité de s'encourager au crime et de se garantir de la sévérité de la loi, l'ivresse n'est pas même une atténuation; elle serait plutôt une aggravation du mal.

Ces solutions sont bien sévères, bien rigoureuses, et, pour notre compte, nous ne saurions nous y soumettre.

Je reprends toutes les branches de cette distinction. Si l'ivresse n'est ni habituelle, ni volontaire, et qu'elle ait été complète, au point d'étouffer absolument le sens moral, ne doit-on pas dire ce que la loi romaine disait de la folie: fati infelicitas excusat? Ce mot s'applique parfaitement à l'ivresse accidentelle et involontaire.

Quant à l'ivresse habituelle, on dit que c'est une immoralité; soit; qu'on la punisse, à ce titre, comme délit spécial; qu'on y voie une abdication coupable de la volonté, une imprudence dangereuse, un oubli de dignité personnelle, rien de mieux; l'être intelli

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