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leçon (1), et j'ai adopté un moyen terme entre l'indulgence et la sévérité de certains criminalistes qui m'ont paru l'une et l'autre excessives. Quand le but final a été atteint, on doit se montrer plus que difficile sur l'efficacité du désistement de l'agent; aussi je me garde bien de condamner la solution; je dis seulement qu'elle est peut-être trop absolue.

L'objection, d'ailleurs, présente comme identiques des situations qui offrent de sérieuses différences: le complice, après tout, pour nous, n'est qu'un agent secondaire; l'exécuteur est l'agent principal; sa volonté aurait pu survivre à celle du complice. S'il ne faut pas présumer le désistement du complice, il ne faut pas non plus présumer contre le complice, quand son désistement est établi, que son désistement eût été tout-puissant, qu'il eût prévenu l'infraction, s'il eût été connu à temps, et cela, pour arriver à lui faire supporter la responsabilité d'une œuvre qu'il a désavouée autant qu'il était en lui.

Je comprends très bien que les criminalistes qui font du provocateur un agent principal, et qui considèrent qu'il supporte la responsabilité d'un fait qui est surtout le sien, soient arrivés à une solution contraire la différence des deux points de départ explique la différence des deux solutions.

Remarquez bien que, dans tous les cas, il faudra que le désaveu du complice et ses efforts pour lui assurer effet soient antérieurs à la perpétration de l'in

(1) Voir supra, p. 223.

fraction; car, si la volonté criminelle a coexisté avec le fait matériel, la participation, quoique secondaire, ayant duré jusqu'au dénoûment, ne saurait être affranchie de pénalité.

Les faits postérieurs à la consommation de l'infraction, faits d'adhésion, de protection, d'auxiliation, peuvent-ils être considérés comme des faits de complicité ?

Non, ils ne sauraient être considérés que comme des infractions spéciales: ils n'ont pas pu contribuer à l'accomplissement d'un fait accompli. Toutefois, il en serait autrement si ces faits avaient été promis avant l'infraction, parce qu'alors ils auraient pu exercer de l'influence sur sa réalisation, et qu'ils ne seraient que la conséquence d'un lien antérieur à elle; la loi peut, dans certains cas et à certaines conditions, présumer que les faits d'auxiliation ont été expressément ou tacitement promis.

Le complice et l'auteur principal doivent-ils être punis du même genre de peine?

Je serais porté à admettre que le complice ne doit être puni que d'une peine inférieure à la peine qui menace l'auteur principal: la criminalité subjective du complice peut sans doute être plus grande que celle de l'agent principal; mais la justice sociale est surtout chargée de la répression de la criminalité objective, et c'est la criminalité objective que la loi frappe, et chez l'agent principal, et chez l'agent secondaire.

La loi romaine admettait trois sortes de complicités :

Cette solution me semble bien rigoureuse: qu'on dise que la présomption est contre le complice, que c'est à lui qu'il incombe d'établir qu'il a eu la volonté d'empêcher l'accomplissement du crime, une volonté sérieuse, active, une volonté sincère qui s'est traduite en efforts pour avertir ou la victime désignée ou la police, je le veux; on doit même se montrer très difficile sur la preuve. Une volonté qui se serait renfermée en ellemême et qui n'aurait pris soin que de se constater, de se ménager des preuves, ressemblerait à une précaution, et elle serait justement suspecte. Mais si le complice a agi, s'il a pu surtout avoir raisonnablement l'espérance d'agir à temps, l'accident qui aura trompé ses espérances, la précipitation mise par l'agent d'exécution, l'impossibilité fortuite de le rencontrer, de lui donner un salutaire avertissement, tout cela ne saurait paralyser les conséquences d'un véritable retour au bien et donner à la société le droit de punir une complicité qui pourrait n'être qu'une monstrueuse fiction.

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On fait une grave objection, pourtant, et on l'a merveilleusement traduite : « C'est, a-t-on dit, le << cas de l'homme qui, après avoir mis le poison à la portée de celui qu'il veut empoisonner et s'être éloigné, saisi de repentir, revient précipitamment sur << ses pas pour empêcher la consommation du crime << et trouve que la potion fatale a déjà porté la mort « dans les entrailles de la victime. Le mourant peut «<lui pardonner; la justice ne lui pardonne pas (1).

(1) M. Rossi, t. III, p. 37.

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D'abord, cette objection ne dit pas

si elle suppose que le repentir de l'agent ne s'est produit qu'après l'accomplissement du but final; avec cette supposition, sa solution serait à l'abri de tout débat; le repentir serait un repentir sans influence sur l'imputation, puisqu'il serait essentiellement un repentir stérile et inefficace quod factum est infectum manere impossibile est, dit l'axiome. Que si elle suppose que le repentir a précédé l'accomplissement du but final, et que seulement il n'a pas trouvé de moyens suffisants de salut, elle a le tort, pour résoudre une question difficile, d'argumenter d'une question qui n'est pas elle-même sans difficulté.

Est-il vrai que toujours, et sans condition aucune, le fait d'avoir mis le poison à la portée de celui qu'on voulait empoisonner, constitue soit la tentative, soit le crime d'empoisonnement? N'est-ce pas là une question de fait et d'appréciation subordonnée à beaucoup d'éléments, et, notamment à l'intervalle qui devait s'écouler entre le dépôt du poison et l'emploi qui devait en être fait, à la possibilité sur laquelle l'agent pouvait légitimement compter de paralyser à temps ce qu'il avait commencé et de conjurer tout danger, si, dans la lutte, l'idée du bien venait à reprendre le dessus sur l'idée du mal?

S'il n'y avait pas eu d'empoisonnement, le dépôt du poison ne serait-il pas, tantôt seulement un acte préparatoire, tantôt, et le plus souvent, je le reconnais, une tentative? Je me suis déjà expliqué sur cette question, je l'ai abordée dans ma neuvième

ou aux agents d'exécution: le complice ne pourrait écarter la responsabilité de la circonstance aggravante qu'autant qu'il prouverait que le moyen mis en œuvre a été expressément exclu par lui. A défaut de cette preuve, il reste sous le coup d'une présomption que l'intérêt social commande, et qui, d'ailleurs, n'a rien de contraire aux idées de justice. L'agent qui reste en dehors de l'exécution serait vraiment de trop bonne condition s'il devait recueillir le profit de tout ce que les circonstances et les exigences de la position pourraient imposer à l'homme d'action, s'il n'encourait que les chances heureuses et restait étranger à toutes les chances mauvaises : ce serait un fâcheux encouragement aux criminels qui se cachent, et qui sont souvent les criminels les plus dangereux, que de placer la société dans l'obligation de leur prouver que leur volonté a été adéquate aux actes d'exécution (1).

Je n'irais cependant pas jusqu'à dire que si l'agent chargé de l'exécution du vol avait, accessoirement au vol, commis un meurtre, le complice, contre lequel la société n'établirait que l'existence d'une participation accessoire au vol, devrait être responsable du meurtre. Ici il s'agit, non plus d'une circonstance aggravante de l'infraction qui a été le but, mais d'une infraction plus grave; et, bien que cette infraction n'ait été qu'un moyen, il convient de présumer

(4) Contrà, M. Rossi, t. III, p. 41. MM. Chauveau et Hélie ne sont pas très explicites sur ce point; ils semblent cependant partager l'opinion de M. Rossi.

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