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CHAPITRE II.

Conditions de légitimité du pouvoir et de la loi.

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Quelles sont les conditions de la légitimité du pouvoir ?

La création du pouvoir, pas plus que la formation de l'agrégation qu'il dirige, n'est le résultat d'une convention, d'une délibération commune.

Le pouvoir qui suppose une supériorité de justice, de raison, de lumières, est un fait avant de devenir un droit, c'est assez dire qu'il ne naît pas tout armé de forces régulières, de moyens coercitifs, bien organisés, avec la surcharge et l'entrave de garanties, au profit des subordonnés, sous prétexte de contrepoids. Il est, lui aussi, le produit des circonstances, varie avec elles dans sa forme et dans son étendue. Le pouvoir, surtout à son origine, est, par ce qu'il est. Les chartes et les constitutions n'apparaissent pas aux premiers âges des sociétés: elles n'apparaissent que beaucoup plus tard, et encore elles ne créent pas, elles déclarent, elles régularisent, elles limitent le pouvoir; elles sont le plus souvent une transaction

entre des influences diverses qui se disputent la jouissance de ce pouvoir. Elles ne sont jamais des contrats à proprement parler, des conventions impliquant le concours du consentement de tous les intéressés.

Le pouvoir n'appartient à qui que ce soit en vertu d'un droit propre ; il est bien l'œuvre de Dieu en ce sens qu'il est une des nécessités de la société pour laquelle Dieu a créé l'homme ; mais Dieu n'a délégué un pouvoir déterminé à qui que ce soit, et il n'a rien préjugé ni sur son organisation ni sur ses formes.

Le pouvoir ne saurait être qu'un droit secondaire, dérivé des droits des membres de l'association. Ainsi, dans le système monarchique, le droit d'une dynastie ne repose que sur l'utilité nationale qui exclut toute entreprise contre le principe de l'hérédité; si ce principe est inviolable, il ne l'est qu'à titre de garantie d'ordre, de stabilité, d'unité pour le pays qu'il protége; ce n'est pas que la souveraineté s'incarne dans une famille, se fasse homme, et soit transmissible avec le sang. Châteaubriand l'a dit, il n'y a pas de familles divines; non, mais il y a des nations monarchiques, et les conditions d'existence, les principes de vie de la monarchie sont, pour elles, comme un patrimoine.

La légitimité de tel ou tel pouvoir, de telle ou telle forme gouvernementale résulte de ses avantages sociaux.

Est légitime toute forme de gouvernement qui est en rapport avec les mœurs, les idées, les besoins de la nation à laquelle elle s'applique.

Quelle autorité sera compétente pour juger si le pouvoir établi satisfait ou ne satisfait pas à ces conditions?

La raison.-Sans doute la raison n'a pas en ce monde d'interprète infaillible; elle n'a même et ne peut avoir de tribunal officiel qui rende, en son nom, sur les questions de légitimité, des arrêts sans recours, parce que ce tribunal, s'il existait, serait supérieur au pouvoir ou plutôt serait lui-même le véritable pouvoir, le souverain, et appellerait à son tour un juge. Mais si le pouvoir social échappe, par son essence, au jugement de toute juridiction légale et régulière, il est une dictature qui plane sur lui, le poursuit de son incessant contrôle, le sanctionne ou le condamne, la suprême dictature de l'opinion publique.

Dans sa controverse avec Bossuet, Jurieu disait : <« Il faut qu'il y ait dans la société une certaine au« torité qui n'ait pas besoin d'avoir raison, pour va« lider ses actes, et cette autorité n'est que dans le

peuple. » La souveraineté, ainsi entendue, serait ou pourrait au moins être une monstrueuse dictature. Aucune autorité, qu'elle appartienne à la multitude ou à un roi, n'est dispensée d'avoir raison. Ce qui est vrai, c'est qu'il est nécessaire, pour le maintien de la société, que le pouvoir, quelle que soit son origine, soit présumé avoir raison.

La présomption de légitimité qui couvre le pouvoir établi peut être combattue et renversée; mais elle ne succombe qu'au prix des crises les plus dou

loureuses, des déchirements les plus cruels; elle ne reçoit de démentis que de ces redoutables événements que l'histoire enregistre sous le nom de révolutions. Les révolutions, même les plus justes, sont toujours grosses de périls.

« Il faut, écrivait M. Guizot, en 1822, qu'un gou<«< vernement soit bien mauvais, et nul ne saurait « dire d'avance à quel point il sera assez mauvais,

pour que la société ne doive pas préférer les plus << lentes espérances de réforme aux chances terribles << de la destruction. »>

Les révolutions ne peuvent se légitimer que par leurs résultats; elles sont bien rarement destinées à vivre, à fonder; elles semblent, pour reproduire l'expression d'un éloquent publiciste, condamnées à détruire et à mourir en détruisant.

Est-ce à dire que le succès soit le seul juge et qu'il faille nécessairement attendre qu'un pouvoir nouveau se soit assis et consolidé, ou qu'il ait été brisé, détruit, pour se prononcer sur sa légitimité ou son illégitimité? Non, sans doute; l'établissement et la durée d'un pouvoir ne sont que des indices, que des signes de légitimité. Que ces signes existent ou n'existent pas, la raison n'est point condamnée à ne consulter que ces éléments d'appréciation. L'objection à laquelle nous répondons n'a de force que contre la théorie des faits accomplis, qui voit une preuve indestructible dans ce qui n'est pour nous qu'une présomption.

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Quelles sont les conditions de la légitimité du commandement ?

Pour se rendre compte de la nature des commandements que le pouvoir peut armer de pénalités, il faut bien préciser ce qu'est la société.

Est-elle un but ou un moyen ?

Si la société est le but, les individus qui la composent n'ont que des devoirs envers elle; ils sont déshérités de tous droits, ils n'agiront pas pour leur compte, ils seront réduits au rôle d'instruments, de simples rouages. Dans ce système, le pouvoir aura pour mission, non pas de protéger l'accomplissement des destinées individuelles, puisque les individus s'effacent et disparaissent, n'ont plus de personnalité, mais d'assurer par la contrainte l'accomplissement de la destinée collective. Si la société est le but, la pénalité sera ou pourra être la compression ou la répression de toute initiative particulière, de tous mouvements non réglés à l'avance par le prévoyant despotisme de la loi.

Que si la société n'est pas un but, mais un moyen, une épreuve, une préparation à une autre vie dans laquelle l'homme sera définitivement rétribué selon ses œuvres, les prescriptions de la loi et les pénalités ne seront qu'un système de garanties propre à faciliter à chacun des membres de l'association le déploie

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