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On connaît la déplorable amnistie accordée aux militaires qui avaient suivi le roi à Gand. Un jour que je confondais dans un sentiment commun la gloire de nos armées et celle de l'armée des princes, une voix s'écria La première n'a pas été amnistiée. Je me retournai vers ce côté. « Vous triomphez, m'écriai-je, vous triomphez de ce que la fidélité a été amnistiée. Je « m'efforce d'étouffer les pensées que votre joie présente à mon esprit. Je saurai m'arrêter, je << saurai prouver que les hommes qui ont quel«< que force dans le caractère, quelque chaleur « dans l'âme, sont ceux qui savent le plus employer la vraie modération, qui n'est pas autre «< chose que le temps d'arrêt dans la force. »

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Je m'imposais cette modération à cause du nom du roi mis au bas de l'ordonnance qui amnistiait les militaires qui l'avaient suivi à Gand. Cette inconcevable ordonnance fut faite immédiatement après ma sortie du ministère, sous la présidence de M. de Richelieu; et l'on pourrait dire, après cela, que le mal qui nous travaillait ne venait pas du ministère! Quelle position pour le parti royaliste, que d'entendre la dérision dire avec une insultante moquerie, que ceux qui avaient combattu pour le roi, avaient été amnistiés par le roi.

Je ne pouvais parler ainsi de l'existence d'une faction, sans qu'elle ne fût constatée, par cela même que j'en parlais; car si elle n'avait pas existé, j'aurais eu l'air d'un insensé, et l'on ne m'aurait pas laissé achever. Je m'attirais par ces discours la haine des libéraux; ils me déchiraient dans leurs journaux; mais j'étais alors fortement soutenu par les journaux royalistes. M. Benjamin Constant voulut aussi manifester les sentiments de son parti envers moi. Je ne rapporte point ses paroles, parce que ma réponse va les expliquer.

(( L'orateur que nous avons entendu a cru nécessaire, au sujet d'un article du réglement, « de rappeler les paroles qu'il dit avoir été pro<«< noncées par moi en 1791. Je le remercie, «< comme je remercierai toujours tout membre << de la Chambre qui m'adressera des reproches quelconques, directs ou indirects. Le plus

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<< beau jour de ma vie serait celui où je serais « accusé sur toutes mes actions. Je lui en rends << donc grâce. Mais dans touts les évènements im<< portans, il faut toujours connaître ce qui a pré«< cédé la chose dont il est question, ou les paro« les qui ont été dites.

"l En 1791, aussitôt que la saine partie de « l'Assemblée législative s'aperçut de la fureur

<< avec laquelle l'autorité royale était attaquée, et << des dangers qui la menaçaient, elle conçut le << seul dessein qui pût sauver la majesté royale, « le dessein d'avoir une armée. J'ai contribué à «<l'exécution de ce projet plus qu'aucun autre;' « je m'en honore; et si le temps le permettait, je pourrais vous donner tous les détails de ce qui « fut fait alors, et vous applaudiriez à ce que fit << la noble partie de l'Assemblés législative avec « laquelle je combattais; mais passant par dessus << tous ces détails, qui seraient trop longs', je vous «< dirai qu'une députation fut chargée de présen<< ter une adresse au roi; j'en fus nommé prési<< dent; mais en vous rappelant ce qu'était cette «< Assemblée, vous pourrez juger comment était «< composée la députation. Au moment où nous << sortîmes du cabinet de l'infortuné roi, il fallut « délibérer dans un salon particulier sur les ter<< mes dans lesquels on rendrait compte à l'As« semblé de la manière dont la députation avait « été reçue.

<< Ombre magnanime! pardonne si je suis obligé « de rappeler de semblables détails. >> Ici ma voix et mes traits durent s'altérer. Ces souvenirs étaient trop affreux; une vive sensation suivit ce mouvement naturel.

« Il est très-vrai que cette extrême bonté,

qui se manisfestait dans tout ce que faisait et << dans tout ce que disait Louis XVI, le porta, <«< immédiatement après la lecture de l'adresse, << et après avoir répondu en quelques mots, « à un signe extérieur de satisfaction bienveil<< lante. Quand nous délibérâmes sur la manière <<< de rendre compte à l'Assemblée, des voix fu<< rieuses s'élevèrent, et s'écrièrent qu'il fallait << dire que le roi s'était incliné devant la députa«<tion. Le débat fut long, fut pénible; mais, je « le déclare, les membres les plus sages de la

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députation, prévoyant que les menaces qu'on <«< nous faisait de dire, avec des expressions in<«< convenantes, ce qui avait été fait par le roi, «< amèneraient une scène aussi scandaleuse qu'ir«< respectueuse pour la majesté royale, cherchè«< rent à l'éviter. Songez qu'alors deux mille per<< sonnes assistaient à nos séances, dans l'inté<< rieur de la salle; songez que les factieux nous <«< entouraient, que la fureur les animait, que « les poignards étaient dans leurs mains. La dé«< putation, à l'unanimité, déclara qu'il fallait « parler de ce qui s'était passé, puisqu'il était impossible d'empêcher autrement la scène qui << se préparait envers la majesté royale. J'obéis à << la députation; mais comment? Il m'est impos<«<sible de vous retracer et mes paroles, et le ton

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<< douloureux dont je les prononçai. Le ton signifiait plus que les paroles. Tout ce que je «< sais, c'est que personne ne dit un seul mot après moi, l'assemblée resta dans un profond « silence, et je reçus des marques de satisfaction « de mes collègues, pour avoir empêché la scène << terrible qui se préparait. Oui, messieurs, mes << amis m'en remercièrent; et dans ce moment, << ma conscience me dit qu'alors je fis bien. » En terminant ce discours, j'eus le bonheur de voir un mouvement général d'adhésion...... Je retournai à ma place au milieu des témoignages réitérés de satisfaction de tous les membres assis près de moi. M. Becquey s'écria de sa place : « J'étais de la députation! »

M. Benjamin Constant avait puisé son espèce d'accusation dans les paroles que m'avait prêtées le Moniteur. On s'en est souvent servi de la même manière. Les royalistes eux-mêmes se sont souvent servi de cette expression : l'inexorable Moniteur. Ils ne savent pas combien ils peuvent être injustes en citant ces archives.

En 1792, temps cité par M. Constant, il n'y avait point de tachygraphe attaché au Moniteur. Les séances étaient rédigées d'après de simples notes. Souvent même le rédacteur les rédigeait d'après des notes faites par d'autres que par lui.

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