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La Chambre avait deux très-longues séances par jour; elles se prolongeaient souvent très-avant dans la nuit. On conçoit quelle devait être la fatigue du rédacteur et des annotateurs. Les séances si fréquentes étaient nécessairement très-abrégées dans le Moniteur; mais dans ce temps de violente passion, où touts les rédacteurs étaient voués à l'un ou l'autre parti, où le parti royaliste était violemment attaqué, les rédacteurs omettaient volontiers les choses les plus contraires à leur opinion, supposaient souvent des phrases non prononcées, ou bien, en les copiant, omettaient les explications qui précédaient et suivaient ces phrases. L'esprit de parti dictait ces rédactions. On conçoit qu'il ne pouvait en être autrement. J'atteste qu'on m'a fait dire souvent des choses très-éloignées de ma pensée. Le logographe même, quoique fait différemment, et par une certaine tachygraphie, n'était pas exempt de ces erreurs. Il défigura tellement mon opinion sur les princes possessionnés d'Alsace, que je fus obligé de la faire imprimer, en mettant une note, dans laquelle je motivais cette impression sur l'étrange altération qu'avait subie mon discours.

Les orateurs qui improvisaient se plaignaient souvent de ces altérations; mais les bienheureux écrivains qui lisaient et ne parlaient pas, don

naient leurs manuscrits aux rédacteurs, et jouissaient du bonheur de se voir tout entiers, tels qu'ils s'étaient montrés. Ce sont ces discours écrits qui donnent au Moniteur l'apparence de la vérité.

Depuis ces dernières années, la tachygraphie diminue les erreurs, mais ne les empêche pas. Je disais un jour à un rédacteur qui soutenait l'exactitude parfaite de ses notes: La preuve que vous défigurez mon style, c'est que vous me prêtez des veuillez, des précédents, des antécédents; vous me faites dire un raisonnement rationel; baser un raisonnement et l'effroyable se baser; jamais je n'ai prononcé ces barbarismes.

Ces erreurs sont inévitables; on peut corriger quelquefois la rédaction; mais ce travail est si fatigant, qu'on ne peut s'y s'y livrer que bien rarement. On prétend que M. Fox revoyait plusieurs fois les discours qu'il avait prononcés. Je parlais un jour à lord Castlereagh de quelques phrases dont on m'avait gratifié, et je lui demandai s'il en était de même en Angleterre. Il me répondit ces propres mots : Touts les jours ils me font dire des bêtises.

Un jour que M. Pitt avait parlé avec la plus forte éloquence, son discours fut très-altéré dans les journaux. Ses amis le prièrent de se le rap-.

peler et de le dicter. Il commença; mais après quelques instants, il cessa ce travail, et déclara qu'il aimait cent fois mieux voir ses discours défigurés, que de s'imposer la fatigue de les écrire.

Je vois dans la Quotidienne du 21 avril 1830, une lettre de M. le baron Cuvier, dans laquelle il signale les erreurs commises par les sténographes, en rendant compte de ses leçons au collége de France. Il déclare au public « qu'il ne « qu'il ne prend « aucune part, ni à la rédaction ni à la révi«sion de ces sténographies, et qu'il ne peut répondre des erreurs qu'un pareil mode de pu«blication doit rendre inévitables. »

Après le procès des ministres de Charles X, M. de Martignac, dont les discours étaient si nobles et si beaux, a publié une semblable réclamation sur la manière dont on a rendu les discours qu'il a prononcés dans ce fameux procès. Il ajoute « que ces erreurs ont porté non seulement sur «<le style, mais encore sur les assertions les plus << importantes. »

Remarquez que dans ces deux exemples, les rédacteurs ne pouvaient être animés des passions qui entraînaient d'autres écrivains lorsqu'ils rendaient compte des séances orageuses de la déplorable Chambre de 1792.

Mais voici une remarque plus importante, et

qui prouvera combien nos voisins diffèrent de nous dans les procédés politiques. Je vois dans un ouvrage de lord John Russel, qu'en citant des 'passages d'un ancien discours de lord Grey, il a soin d'avertir que ces passages ne sont pas garantis par l'orateur qu'il cite, mais qu'on peut les regarder comme la substance de ce qu'il dit. En France, nous aurions souvent besoin d'être rappelés à ces nobles convenances. Nous citons hardiment les phrases ridicules d'un journal, comme un sujet d'accusation.

J'ai parlé des maximes inventées par des hommes qui savaient les faire servir à leurs desseins, et répétées par les honnêtes gens, à peu près comme un enfant répète la fable qu'on lui a fait apprendre par cœur. De ce nombre était cette maxime, union et oubli. On voit que M. Benjamin Constant ne la pratiquait pas. Au reste, il avait raison; les honnêtes gens seuls pouvaient l'inventer et la pratiquer; elle était digne d'eux, car elle s'élevait contre eux.

Depuis le commencement de la restauration, on n'a cessé de jeter dans le public de certaines phrases sentimentales, dont s'emparait le parti révolutionnaire. Ceux qui les répandaient savaient fort bien que la France, et surtout la capitale, sont remplies de ces hommes qui ne ré

fléchissent jamais, et qui sont enchantés de trouver de ces phrases toutes faites, qu'ils répètent

sans cesse.

sance;

De ce nombre est celle-ci : union et oubli. Rien de plus absurde que de demander l'oubli dans un sens général; car c'est sur le souvenir que sont fondées les plus nobles vertus. Le souvenir des bienfaits et des services produit la reconnaisl'oubli produirait l'ingratitude. Le souvenir des évènements et des causes qui les ont amenés produit l'expérience, le plus sûr guide de l'homme dans les affaires des États. Le souvenir des grandes actions produit une généreuse émulation; le souvenir des crimes en inspire l'horreur. Il serait singulier de recommander la lecture de l'histoire pour y puiser des leçons utiles, et de nous demander en même temps l'oubli de notre propre histoire. L'oubli des histoires anciennes ne serait que de l'ignorance; mais l'oubli de l'histoire de nos derniers temps produirait un affreux aveuglement. Figurez-vous un moment la France gouvernée par des hommes qui auraient entièrement oublié la conduite et les crimes de nos factieux révolutionnaires, qui les oublieraient pour s'unir à eux, et qui vanteraient cette union; ils se placeraient au même point où nous étions en 1789; ils recommenceraient,

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