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ou laisseraient recommencer la révolution. C'est là précisement ce que nous avons vu faire à plus

d'un ministre.

Non seulement l'oubli des bienfaits et des services produit l'ingratitude, et l'oubli des choses passées produit l'aveuglement, mais encore je soutiens que le pardon des injures, cette vertu chrétienne si admirable, n'existerait pas avec un oubli réel des injures, et qu'elle est d'autant plus parfaite qu'on ne les a pas oubliées. Si un homme a commis un crime envers moi, si ce crime est entièrement effacé de ma mémoire, quel est le mérite de cette situation de mon âme? Je n'y vois qu'une sorte d'indifférence que je ne sais comment caractériser; mais si ce crime est toujours présent à mon esprit, à mon cœur, si ce souvenir est porté à la dernière violence, et si je me rends en même temps le témoignage certain que je ne me vengerai jamais, certes alors je pratique dans toute son étendue une vertu pénible, et dès lors honorable.

Quand Louis XII prononçait ces belles paroles : « Ce n'est point au roi de France à venger « les injures faites au duc d'Orléans,» il entendait par -là qu'il les pardonnait, qu'il ne s'en vengerait pas, mais il ne les avait pas oubliées. Les paroles qu'il prononçait prouvaient ce sou

venir; car un oubli total ne lui aurait pas suggéré ce discours. Il s'en souvenait dans le moment même où il parlait ainsi; et certes il s'ent est souvenu pendant tout son règne, non pour s'en venger, mais pour en tirer d'utiles leçons. Presque tous ceux qu'il appela dans son conseil avaient été éprouvés pendant les troubles. Ses ordonnances sur la discipline des troupes et sur la police intérieure du royaume, le tribunal de censure qu'il établit dans le Parlement, prouvèrent qu'il n'avait rien oublié.

Henri IV n'avait rien oublié, quand il disait au Parlement de Paris: « Je sais qu'on forme des brigues; c'est par-là qu'on est venu aux barri<«< cades et à l'assassinat d'un roi; mais j'ai sauté << sur des murs de ville, je sauterai bien sur des « barricades. >>

Louis XIV n'a tiré aucune vengeance des auteurs de la Fronde, mais il n'avait rien oublié. Les principes invariables de son gouvernement prouvent qu'il réfléchissait profondément sur tout ce qu'il voyait, avant même de gouverner; et cette observation attentive fut remarquée par le cardinal Mazarin.

L'oubli de tout ce que nous avons vu ne produirait point l'union des royalistes. Bien au contraire, il relâcherait les liens qui les unissent

Or, qu'elle union devons-nous désirer, si ce n'est celle des royalistes entre eux? Que dans leur noble cœur, incapable de vengeance d'aucune espèce, ils enracinent profondément le souvenir des fureurs révolutionnaires, des folies honteuses qu'elles ont enfantées; qu'ils n'oublient point que depuis la restauration, dans le court espace de quatorze ans, nous avons vu, outre les centjours, treize conspirations plus ou moins dange

reuses.

Qu'est-ce qu'un espace de quatorze ans dans l'histoire d'un peuple? C'est un court instant. C'est donc dans un instant de notre histoire que nous voyons tant d'entreprises. Est-ce là ce qu'on voulait condamner à l'oubli dans les temps dont je parle?

On a dit que l'attentat du 13 février était un crime isolé. Quel isolemment, grand Dieu! un crime suivi de tant de conspirations inspirées par le même esprit!

Combien profond était alors l'aveuglement qui ne voyait pas, dans toutes ces entreprises accumulées en un si court espace de temps, une seule conspiration, et surtout une seule et vaste espérance! La Cour royale de Paris, par l'organe de son premier président, la signala avec énergie dans un discours adressé à Louis XVIII.

Je l'ai déjà cité, je ne peux trop le répéter, afin

de prouver à quel point les ministres furent avertis. Elle s'exprimait ainsi :

« Les magistrats qui font une étude pénible « de la marche des passions et du crime, ont re<«< connu que les coupables, déjà frappés du glaive « la loi, n'étaient que des agens subalternes. Ils «< ont dû croire, ils croient qu'il existe des chefs « ennemis du trône, de la légitimité des rois et « de votre auguste maison.

<< La France opprimée pendant vingt-cinq an«nées, et toujours attachée à son roi, réclame << toute l'action de la puissance royale. »

On voit par cet énergique discours, que la Cour royale n'admettait pas la maxime de l'oubli. Le conseil municipal de Bordeaux ne l'admettait pas davantage; il disait :

« Sire, votre bonté paternelle ne touche point «< cette faction implacable. Sa haine contre les « Bourbons s'accroît même des pardons que vous <«<lui accordez. Elle poursuit en vous les vic<< times qu'elle a déjà faites, et la vengeance des «< bienfaits qu'elle tient de vous. >>

Un grand nombre d'adresses exprimaient les mêmes sentiments; bien loin de demander l'olibli, elles rappelaient toutes les tentatives de la faction. Les pages du Moniteur en étaient pleines. J'ai rappelé souvent ces tentatives, non par

le désir d'aucune vengeance, mais pour notre instruction, pour nous donner à nous-mêmes une salutaire expérience, qui est précisément le contraire de l'oubli.

Les passions qui agitaient les révolutionnaires étaient enflammées par leurs espérances. On n'a cessé de les ranimer, de leur donner de nouveaux alimens. Une conduite contraire aurait eu des effets opposés. Sises espérances avaient été détruites, ses entreprises auraient cessé. Etouffer la faction sans verser le sang d'un seul factieux, voilà ce qu'aurait pu faire une autorité ferme et vigilante. Mais en vain le glaive de la justice avait-il frappé des coupables, la faction renaissait toujours tant que ses espérances existaient.

Ainsi donc, il aurait fallu repousser loin de nous cet oubli funeste de tout ce que nous avons vu; l'humanité même demande le souvenir des fureurs révolutionnaires, puisque ce souvenir forme l'expérience, puisque l'expérience est le meilleur guide dans les affaires publiques, et encore puisque ce souvenir doit augmenter l'union des hommes attachés à l'ordre social.

Il aurait fallu que le ministère eût toujours présent à l'esprit ces adresses des provinces, ces discours des Cours royales, et qu'au lieu de cette ridicule maxime union et oubli, il eût dit

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