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Je ne raisonne jamais en politique que d'après les passions des hommes. Elle n'a pu se ranimer sans étendre son influence; quatre trônes furent ébranlés, et, ce qui est mille fois plus déplorable, furent avilis et dégradés. Tout partait de Paris; tout marchait en même temps que les conspirations qui éclataient en France; aussi un ministre anglais disait-il : « La faction agit partout avec une sympathie effrayante. »

Je sais fort bien qu'après l'assassinat d'un fils de France, lorsqu'un déchaînement général se manifesta contre M. Decazes, on prétendit, pour disculper M. de Richelieu, que M. Decazes avait été premier ministre de fait pendant cinq ans: mais M. de Saint-Aulaire, dans un écrit en faveur de M. Decazes, soutint qu'il était inexact de dire que pendant cinq ans il avait seul dominé toutes les affaires de la France; M. de Richelieu les dominait donc avec lui. Et remarquez combien était honteuse pour M. de Richelieu l'accusation portée contre M. Decazes, et à laquelle répondait M. de Saint-Aulaire; car pour justifier M. de Richelieu, on disait qu'il avait laisse M. Decazes le maître du gouvernement.

Quoi qu'il en soit, je dois dire qu'à la fin de 1815 et au commencement de 1816, M. Decazes n'influait sur l'ensemble des affaires

que par

les

détails de son ministère; que la plupart de ces détails n'étaient connus que de lui; qu'il paraissait inquiet; qu'il était alarmé de tout ce qui se disait contre lui dans la Chambre des députés, après sa circulaire sur les cours prévôtales, et après l'évasion de M. de Lavalette : mais dès l'instant que M. de Richelieu commença à montrer son mécontentement personnel contre les royalistes, à les séparer de la cause royale, à soutenir ouvertement les hommes d'une opinion contraire, dès lors la marche de M. Decazes fut plus hardie, plus assurée; une étroite union se forma entre ces deux ministres. Je prévis la dissolution prochaine de la Chambre des députés, et je remis au roi des Mémoires sur les suites funestes que cette dissolution entraînerait avee elle.

Aussitôt après la session de 1815, commença cette suite non interrompue de persécutions contre les royalistes. Les fonctionnaires publics destitués, les écrivains royalistes traduits en jugement signalèrent ces temps extraordinaires. C'était sous la présidence de M. de Richelieu. Ce n'était pas de sa part un système; il était incapable de combiner un système quelconque; mais ce fut la suite de ses préventions et de sa faiblesse à suivre les impressions qu'on lui don

nait. Persécuter les royalistes sous un roi, et un roi dont le frère avait été lancé du trône sur l'échafaud, est une chose si étrange, si inconcevable, qu'elle n'a pu être imaginée et suivie par un ministre de ce roi, comme l'on invente et l'on suit un plan de conduite. La fougue de la passion a pu seule non enfanter un tel plan, mais conduire insensiblement à des démarches, à des actions dont chacune était la suite inévitable des précédentes. M. de Richelieu ne s'apercevait pas de la liaison qui existait entre les évènements et la marche qu'il avait adoptée; mais quand il s'en serait aperçu, il n'aurait pu revenir sur lui-même par un temps d'arrêt vigoureux, la chose du monde qui demande le plus de force dans le caractère.

Au congrès d'Aix-la-Chapelle, les souverains furent alarmés par les nouvelles élections de la France; le nom de M. de Lafayette surtout les frappa. Ils témoignèrent leurs craintes à M. de Richelieu; il promit une marche ferme et décidée, qui arrêterait les progrès de la faction. Ses promesses étaient publiques; et quand il revint à Paris, tout le monde était dans l'attente de leur exécution. Que fit-il? il quitta le ministère. Il eut, disait-on, des attaques de nerfs qui ne lui permirent pas de conserver ses fonctions. Il au

rait été bien étonné s'il avait entendu ce que ses amis même disaient de lui.

Un nouveau ministère est formé; M. Decazes réunit la présidence du conseil à l'intérieur et à la police. On vit de nouvelles persécutions contre les royalistes ; et M. de Chateaubriand fut rayé de la liste des ministres d'Etat, parce qu'il avait publié un excellent ouvrage politique. M. Michaud, qui avait si bien servi la cause du roi, perdit, par une ordonnance motivée, le ́ titre d'imprimeur du roi. M. Bergasse fut traduit à la Cour d'assises, pour un ouvrage sur la propriété.

M. Decazes est renvoyé après l'attentat du 13 février 1820. Le 20 du même mois, M. de Richelieu reprend la présidence, sans aucun ministère, afin sans doute de se réserver l'entière liberté des méditations politiques, et de n'en être distrait par aucun détail.

Il est assez remarquable que le même jour vit nommer M. Decazes duc, ministre d'Etat, ambassadeur en Angleterre ; il était déjà pair de France et cordon bleu. L'ordonnance qui nomme M. de Richelieu est ainsi conçue : «< Sur le rap«port de notre ministre secrétaire d'Etat au dé«partement de l'intérieur. » Elle est signée : Le ministre des affaires étrangères, PASQUIER. C'est

le premier exemple qu'un ministre ait été nommé sur le rapport d'un autre ministre.

M. de Richelieu, nommé président du conseil, huit jours après l'assassinat du duc de Berri, dans un moment où des adresses de douleur et d'indignation arrivaient de toutes les parties de la France, paraissait devoir à la nation d'exprimer ses sentiments et ceux du ministère sur l'exécrable attentat; il ne s'y détermine que le 4 avril, par une circulaire adressée aux lieutenants-généraux des divisions, aux préfets et aux procureursgénéraux, c'est-à-dire quarante-quatre jours après l'affreux jour : et remarquez que, pendant ce long et inconcevable intervalle, les journaux, les discours de la faction ne cessaient de répéter que l'assassinat du duc de Berri était un crime isolé; qu'il n'avait été inspiré par aucun parti, par aucune faction. Toutes les adresses des Cours royales et des provinces disaient le contraire. Relisez le discours que j'ai cité de la Cour royale de Paris.

La première phrase de cette circulaire de M. de Richelieu annonce qu'il écrit au sujet de deux lois adoptées par les Chambres, et qui servent de prétexte pour agiter les esprits. On y parle ensuite des trames, des machinations des factieux et de leurs fureurs; on voit dans ces fureurs la cause de l'attentat; et cette partie de la circulaire est

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