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liers de Français, et comme l'a interprété la Chambre elle-même ? Car, prononcer qu'il était susceptible d'interprétations dangereuses, c'était prononcer qu'il n'était ni clair ni positif.

Ainsi donc, si j'ai soutenu dans un ouvrage publié trente ans avant les évènements dont je parle, qu'on ne pouvait écrire la Constitution d'un Etat comme un règlement, je suis plus que. jamais persuadé qu'une Constitution écrite est le plus terrible fléau pour un peuple raisonneur.

Malgré toutes les raisons que j'expose contre la manie nouvelle et insensée des Constitutions écrites, dans lesquelles on veut tout prévoir, je n'en suis pas moins persuadé qu'on pouvait établir la monarchie avec la Charte, telle qu'elle était, et lors même qu'elle eût été bien plus imparfaite encore. Pour y réussir, il fallait sçavoir gouverner. Gouverner, c'est agir. L'action, par la Charte, appartenait à la couronne : elle devait agir seule, entraîner les choses et les hommes, ne point se laisser devancer, corriger le lendemain les fautes de la veille, sans secousse, sans embarras. Il fallait avoir l'esprit assez étendu pour voir que dans toutes les grandes affaires, il faut toujours avoir un but décidé, vouloir une chose entière, complète, sans aucune diminution, ni altération d'aucune de ses parties, et

surtout qu'en la voulant avec noblesse et grandeur, on se prépare par cela même plus de moyens de succès.

Il faut avoir un plan médité et arrêté. M. Malouet raconte une conférence de Mirabeau avec les ministres, au commencement de l'Assemblée constituante. Ils n'avaient aucun plan. Mirabeau en fut indigné, et ne voulut plus conférer avec

eux.

Ce que je dis aujourd'hui, je l'ai toujours dit, je l'ai toujours demandé. C'est d'après ces principes, que je demandai en 1823 qu'on formât dans la Chambre des députés, au commencement de chaque session, un comité chargé de recueillir touts les renseignements relatifs au commerce, et surtout au commerce maritime, afin que par lui, par son rapport, la Chambre pût être parfaitement instruite; tandis que dans l'usage actuel, on ne s'occupait d'un si grand intérêt qu'à la fin des sessions, et au moment où l'on discutait l'article des douanes. Plusieurs députés avaient désiré cette proposition, me l'avaient demandée, et m'avaient promis de me soutenir. L'un d'eux m'avait lu un discours qu'il avait écrit pour m'appuyer; mais les ministres m'ayant combattu, aucun de ces députés n'osa parler. M. Delalot seul, qui ne m'avait rien promis, parla fortement, et montra

combien cette proposition était inhérente aux fonctions de la Chambre. Elle l'aurait élevée, ennoblie, et surtout occupée. Ce n'était qu'en l'occupant à des choses grandes et utiles, qu'on pouvait en éloigner tout esprit de faction. On aurait divisé les mécontents, en les faisant entrer dans ces commissions.

Les ministres ne pouvaient me comprendre. Toutes leurs pensées étaient trop circonscrites. Vainement je citai l'exemple de l'Angleterre et celui des Etats-Unis, où l'on nomme toujours au commencement dè la session un comité du commerce et des manufactures; nul d'entre eux n'avait étudié les choses dont je parlais. Elever la Chambre était un crime à leurs yeux. Ils ne se doutaient pas que plus ils la plongeraient dans une sorte de nullité, plus ils l'abaisseraient, plus elle se releverait terrible et menaçante. Ils n'avaient étudié l'administration du cardinal de Richelieu, ils ne sçavaient pas que c'était en donnant le funeste exemple d'abaisser et d'humilier les parlements, que cet homme passionné avait préparé la chute de la monarchie.

pas

J'ai toujours pensé que la force et la grandeur des deux Chambres les satisferait, les unirait à la couronne dont ils tiendraient cette grandeur, et affaibliraient dans ces corps l'inquiétude et

l'animosité. Mais il fallait y parvenir par un esprit de suite qui établît des choses intimement liées entre elles, et non pas par des règlements écrits. J'avais dit à la tribune: « A Dieu ne plaise « que je veuille diminuer les facultés législatives << de la Chambre! Je suis conviancu que de leur grandeur et de leur étendue dépendent la « force, la stabilité du trône. » Mais en même temps il ne fallait ni céder ni diminuer la moindre partie du pouvoir d'action de la couronne. La nation aurait bientôt compris cette marche honorable. Tout relever, sous un trône élevé, digne d'un grand peuple; telle avait été la pensée de Napoléon. Mais il n'a pas vu qu'une guerre permenante était le plus fort obstacle au dessein qu'il avait conçu.

La première cause de la dégradation des pouvoirs est dans la Charte. Je ne crois pas qu'il fût possible de rien imaginer de plus contraire à la dignité royale, que la formule de promulgation de nos lois : <«< Nous avons proposé, les Chambres << ont adopté ; nous avons ordonné et ordonnons.»

Ceux qui trouvèrent cette concision, s'en applaudirent sans doute; mais il ne virent pas qu'elle exposait la couronne à un mensonge presque continuel. En effet, les Chambres n'adoptaient pas ce qui avait été proposé par le roi.

Elles le changeaient presque toujours, et souvent le défiguraient. Ainsi, il était faux de dire : Nous avons proposé, les Chambres ont adopté. En outre, cette loi, proposée au nom du roi, était souvent critiquée de la manière la plus violente. On l'appelait inconstitutionnelle, vexatoire, tyrannique, on l'accablait des épithètes les plus honteuses; et quoique le nom du roi ne fût pas toujours prononcé dans la discussion, il se trouvait indirectement mêlé aux choses inconvenantes débitées sur une proposition émanée du trône. En outre encore, cela était contraire à toute l'étendue de la responsabilité des ministres. Car, pour qu'elle existe, il doivent paraître seuls.

Toute cette combinaison était non seulement contraire à la dignité du trône, mais encore au plus simple bon sens. Le ministère Talleyrand avait eu raison, en 1815, de mettre l'initiative au nombre des articles de la Charte qu'il fallait changer; et si je m'y suis opposé, d'accord avec tous les autres ministres, c'était uniquement à cause du danger de soumettre, dans de pareilles circonstances, quatorze articles de la Charte à la révision d'une Chambre que nous ne connaissions pas encore, et dont nous ne sçavions qu'une chose, c'était qu'elle débiterait des centaines de discours écrits sur chacune des quatorze ques

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