Images de page
PDF
ePub

Livres saints: Vous mettrez à la fin tout le monde contre vous. On reprocha alors au côté droit de s'être uni au côté gauche. Personne n'avait pensé à provoquer cette union; elle résultait de ce que les deux partis étaient également fatigués d'un ministère qui cherchait un milieu impossible à trouver, et qui s'était dégradé par ce misérable jeu de la bascule.

Je fus nommé membre et président de la commission chargée d'examiner la demande de la censure. Le général Foy y représentait la gauche, M. Delalot et moi la droite; le marquis de Causans le centre, et particulièrement les hommes religieux qu'on appelait alors la congrégation. J'en fus le rapporteur.

Le ministère demandait la censure pendant cinq ans; il la demandait dans le moment même où les journaux qui lui étaient dévoués s'étaient exprimés avec beaucoup d'inconvenance sur les premiers corps de l'Etat, avaient osé faire intervenir le nom du roi, et employé des expressions menaçantes. Le rapport déclarait qu'une des raisons qui déterminaient à rejeter la censure, , était le besoin et le désir d'avoir une loi spéciale sur les journaux. Il était impossible d'être animé d'un plus vif désir de réprimer la licence, que ne l'était cette commission, si heureusement for

[ocr errors]

mée des trois partis de la Chambre, puisqu'elle demandait cette loi spéciale sur les journaux. Aussi le rapport disait il au ministère : « Vous «< citez ce qui vient de se passer en Angleterre; << vous parlez des armées de ludistes et de radi«caux excitées et rassemblées par les journaux démocratiques de ce pays. Cet exemple est contre « vous; car aussitôt des lois insuffisantes ont que « été remplacées en Angleterre par des lois fortes, << la licence à tout à coup été réprimée au milieu << de son triomphe. Pourquoi n'en serait-il pas de << même en France? Et remarquez que la diffé<< rence est toute à notre avantage, puisque nous « consentons à une loi spéciale sur les abus des journaux, moyen répressif qui n'existe pas chez

<< nos voisins. >>

Je ne peux trop insister sur les faits que je raconte. La commission repoussait la censure, non seulement parce qu'elle n'avait pas de confiance dans le ministère, mais encore parce qu'elle voulait une loi spéciale sur les journaux. Le ministère fut instruit par M. de Causans de cette disposition, qui d'ailleurs était publique; nous pensions qu'il en profiterait. L'habileté la plus commune devait lui montrer combien cette circonstance était heureuse pour le gouvernement. Nous pensions que le garde-de-sceaux, M. de

Serre, qui avait présenté la loi de censure, viendrait conférer avec la commission, et saisirait au nom du ministère une si heureuse circonstance. Mais il avait déclaré l'impossibilité de gouverner sans une censure de cinq années; il ne voulait point revenir sur ses pas. C'était un inconcevable aveuglement; c'était une preuve certaine d'une profonde incapacité. Car une loi spéciale sur les journaux était la chose du monde la plus désirable, la plus avantageuse pour le gouvernement; et dès qu'une commission, ainsi composée, la demandait avec force, il fallait saisir cette heureuse occasion.

En demandant la censure pour cinq ans, le ministère avait eu la maladresse de faire entendre très-clairement dans son discours qu'elle était nécessaire pour toujours. Cette déclaration avait soulevé contre lui une grande partie de la Chambre. Le rapport de la commission lui disait : «< La << licence des journaux peut devenir bien plus << funeste encore que celle de la presse en géné« ral; eh bien! imposez-leur un frein encore plus puissant: soumettez-les à une législation « spéciale: Le moment est favorable. Si vous n'en << profitez pas, il ne reparaîtra plus. »

[ocr errors]

Il est essentiel de remarquer que la commission ne repoussait pas à jamais la censure. Elle

disait au contraire: « Loin de nous de prétendre qu'on ne doive jamais recourir aux lois d'ex

[ocr errors]

((

་་

ception. Nous ne sommes pas chargés d'exa<< miner cette grande question; mais nous sommes << persuadés que, lorsque les malheurs des temps «<exigent un remède extraordinaire, il faut se << hâter de rentrer le plus tôt possible dans la loi « fondamentale. Nous pensons aussi que ce pouvoir << arbitraire ne peut être confié qu'à des ministres << en qui les Chambres placent la confiance la plus illimitée; et nous déclarons que le minis« tère actuel n'a point cette confiance. Nous la France est fatiguée de ce sysajoutons que << tème d'oscillation qui mécontente également << touts les partis, qui s'appuie un moment sur <«< l'un, pour l'abandonner aussitôt; promet à « l'autre, et ne tient point ses promesses; qui, les « trompant ainsi tour à tour, semble compter <«< assez sur leur crédulité pour les faire servir " aux intérêts particuliers du ministère, manou<«<< vres sans cesse renaissantes, dont on ne voit le terme. »

[ocr errors]
[ocr errors]

pas

Le général Foy parla avec éloge de ce rapport à Stanislas Girardin, qui voulut le voir. Quand il me le rendit, je lui demandai s'il en avait la même opinion que ce général. « Oui, sans doute, » me dit-il. Il ajouta ces propres mots : «< Croyez

« vous que nous ne soyons pas aussi fatigués que « vous de ces oscillations continuelles qui nous

[ocr errors]

Il

précipiteront dans l'anarchie, dont nous ne << pourrons sortir que par le pouvoir absolu? II << me semble que nous recommençons l'Assem« blée législative, où nous avons été si malheu«< reux, vous et moi. » Plusieurs membres du côté gauche étaient présents à cette conversation, dans la salle des conférences, et répétèrent presque les mêmes paroles.

Ce rapport fut adopté à l'unanimité, un mercredi matin, par la commission. La Chambre l'ajourna au samedi suivant. Mais dès que les ministres connurent l'unanimité du refus de la censure, ils déclarèrent au roi qu'ils se retiraient. Le roi fit appeler M. de Villèle. Un nouveau ministère fut formé le vendredi, et vint en cette qualité à la séance du samedi. Je fus très-fâché de la retraite des ministres. Je regrettais une occasion où des débats entre les ministres et nous auraient pu nous instruire, et nous faire avancer un peu dans ces combats parlementaires, que nous n'avions pas encore sçu rendre utiles au gouvernement et aux Chambres.

Nous aurions accablé les ministres par notre vœu unanime, si prononcé, d'avoir une loi spéciale sur les journaux. Le général Foi était

« PrécédentContinuer »