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très-forte. Eh bien ! la différence entre M. de Richelieu et moi, c'est que je voyais tout cela, quand il ne voyait rien; que je voulais réduire la faction à l'impuissance, quand il lui rendait, sans le vouloir, toutes ses espérances. Je ne doute pas que le chagrin qu'il en ressentait n'ait causé sa mort prématurée, et le genre de sa mort : c'est le plus grand éloge que l'on puisse faire d'un homme à qui l'on ne pourrait, sans injustice, à cause de son incapacité, reprocher sa conduite politique. Il ne connaissait ni la révolution, ni les choses, ni les hommes; il motivait ainsi ce mot d'un autre ministre : « C'est l'homme de France qui connaît le mieux la Crimée. » Si, avec la longue expérience que j'avais de la révolution; si, avec la fixité de mon caractère, j'avais suivi la même marche que lui, j'aurais été, non pas un homme inhabile, mais un ministre exécrable.

CHAPITRE II.

Dissolution de la Chambre de 1815. Elections. Le ministère est subjugué par les libéraux; mais ceux-ci ne peuvent encore entraîner les électeurs. La monarchie devait périr. Pourquoi? Assassinat du duc de Berri, le 13 février 1820. Retraite de M. Decazes. On ôte au frère du roi le commandement des gardes nationales de France. Ignorance des ambassadeurs étrangers. Ils favorisent le parti libéral. Opinion de Gustave III sur la diplomatie. Conduite révolutionnaire de l'impératrice Catherine en Suède. Persécutions contre les royalistes.

JE sortis du ministère, convaincu que la monarchie des Bourbons était perdue, non par la faiblesse que la Charte imprimait au gouvernement, mais par la débilité qu'il prenait en luimême; car j'ai toujours soutenu qu'elle renfer

mait touts les éléments de force nécessaires, et que d'ailleurs tout dépendait de la manière de gouverner. Les lois et tout ce qui constituait la monarchie, étaient les mêmes en France, sous Henri III et sous Henri IV. Rappelez-vous combien grande fut la différence du gouvernement sous ces deux monarques. Les lois de touts les peuples renferment des moyens de gouverner, puisque nous voyons sans cesse dans l'histoire, des princes relever tout à coup des Etats tombés dans la décadence, et d'autres princes, même leurs successeurs, sans que les lois soient changées, précipiter leurs Etats dans la honte et dans la ruine.

A l'instant des élections, à la fin de 1816, je ne fis aucune démarche pour être nommé; mais quelques électeurs de Marseille pensèrent à moi. J'appris que j'étais repoussé par le commandant militaire, dévoué aux volontés de M. de Richelieu. J'eus aussi contre moi la prudence des principaux électeurs et du préfet, à qui j'avais donné cette préfecture. M. Decazes était alors tout puissant. J'écrivis de ne pas même prononcer mon nom. J'avoue qu'il y avait dans ma détermination une certaine faiblesse. Après cinq proscriptions, je désirais le repos, et je ne voulais pas me trouver dans une nouvelle catastrophe, que je

prévoyais avec certitude, sans pouvoir préciser ni le moment, ni la manière dont le trône s'écroulerait sous tant de fautes accumulées par une imprévoyance insensée.

L'opération la plus importante du ministère, à la fin de 1816, fut la dissolution de la Chambre des députés. On a vu que je l'avais prévue, et que j'ai fait pour l'empêcher tout ce qui pouvait dépendre de moi. Elle avait elle-même, par son imprudence, provoqué cette dissolution. Cela est certain. Mais une faute de conduite, quelque funeste qu'elle fût, n'empêchait pas que presque touts ses membres ne fussent décidément royalistes. Comment un roi pouvait-il arrêter ses réflexions sur une autre chose que cette idée si simple? Ils sont royalistes. Moi, roi, j'éloigne de moi une Chambre qui m'est dévouée par ses sentiments. Au lieu d'en conserver les quatre cinquièmes, je vais appeler une Chambre nouvelle. C'est une Chambre nouvelle, sans expérience, qui a détruit la monarchie en 1789 et 90; une autre nouvelle a achevé son ouvrage en 1792, et a conduit mon frère à l'échafaud; une nouvelle encore a couvert la France de larmes et de sang.

J'en ai une aujourd'hui dominée par les plus nobles sentiments, et qui par cela seul produit le plus grand bien; et je vais la dissoudre! Je

m'expose à voir près de moi des hommes tout différents. Car cette dissolution doit ranimer nécessairement en France des sentiments opposés aux sentiments de ceux que je renvoie, de ceux que je déclare par cela même contraires à mes opinions, à mon gouvernement. Voilà le danger auquel je m'expose.

Comment Louis XVIII ne se rappelait-il pas tout ce que je lui avais dit et écrit? Je prie le lecteur attentif de relire la phrase que j'ai citée à Louis XVIII, dans laquelle M. le comte de Chabrol a prédit les suites de cette dissolution. Le roi aurait dû voir au moins la passion qui animait des ministres contre cette Chambre, et même contre le parti royaliste. Son élévation devait le rendre inaccessible à de semblables passions, et plus encore son âge, son expérience, et le souvenir de son exil et de ses longs malheurs? On a souvent répété que le roi ne pouvait gouverner avec la Charte. Je demande si elle lui avait dit de renvoyer une Chambre royaliste, et de combler ainsi de joie les hommes opposés au parti royaliste, et par conséquent au trône. Mais heureusement, et malgré cette faute, les royalistes conservaient encore cette chaleur que leur avaient inspirée les deux restaurations. Les élections furent meilleures qu'on ne l'espérait;

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