Images de page
PDF
ePub

une armée française se jeter entre la Hollande et la Belgique, et intervenir pour soutenir vingtdeux protocoles de la diplomatie, par lesquels les grands souverains de l'Europe brisaient un célèbre traité, et intervenaient dans toutes les querelles, dans toutes les affaires de ces deux peuples.

Dans un des chapitres suivants, où je parlerai de la reconnaissance des provinces américaines révoltées contre le roi d'Espagne, je reviendrai sur ces disputes d'intervention, et je montrerai à quel point deux ministres anglais ont poussé la ridicule application de ce beau principe qui défend l'intervention, et qui prouve qu'une visite à main armée est tantôt une visite amicale, et tantôt une intervention criminelle.

Il manquait à notre siècle, où tant d'injustices et de spoliations politiques se sont accumulées, de chercher à les justifier ou à les condamner par des dissertations sophistiques, et de voir les souverains eux-mêmes, escortés de leur diplomatie, oublier d'abord à la seconde restauration, l'immense intérêt de l'ordre social qui devait tout dominer. Ils abaissaient alors le trône de la France; et quinze ans après, ils oubliaient encore cet immense intérêt social, pour décider dans des protocoles souvent contradictoires, que la révolte

peut aller jusqu'à tel point, s'arrêter ici, et ne pas se jeter au-delà.

Et c'est après une telle conduite des souverains et de leurs ministres, toujours reculant devant la faction qui remue l'Europe à son gré, que nous voyons encore de braves gens qui n'aperçoivent que cette faction, la maudissent, crient après elle jour et nuit, et ne s'avisent pas de se dire: D'où vient-elle? qui donc l'a élevée, l'a favorisée? et qui, après son plus grand revers, en 1814, lui a tendu la main, l'a relevée encore, l'a caressée, l'a soignée, l'a nourrie tendrement? Voilà cependant ce que j'ai toujours fait remarquer dans cet écrit; et malheureusement j'aurai plus d'une observation semblable à vous présenter dans les temps qui me restent à parcourir.

La grande affaire de l'Espagne se traitait dans un congrès à Vérone. Toutes les grandes puissances y étaient représentées. M. Mathieu de Montmorenci, ministre des affaires étrangères, assistait au nom de la France à ce congrès, ainsi que M. de Chateaubriand, ambassadeur en Angleterre. Les empereurs d'Autriche et de Russie s'y trouvaient aussi. Le public, qui avait les yeux attachés sur Vérone, connut les difficultés qu'opposait le ministère français à la guerre en faveur du roi d'Espagne. J'ai entendu dire souvent à

Mme la comtesse de Tolstoï, qu'elle voyait alors touts les jours à Vérone l'empereur Alexandre, et qu'il disait et répétait que si la France ne prenait pas la défense du roi d'Espagne, il enverrait une armée à son secours.

A son retour de Vérone, M. de Montmorenci ne fut pas d'accord avec M. de Villèle, et se retira du ministère. L'opinion royaliste lui fut très-favorable, et le suivit dans sa retraite. Cet incident fut très-fâcheux pour le ministère; et dès lors commença contre lui une certaine animosité personnelle qui, par sa nature même, ne devait point s'arrêter, et devait se porter jusqu'à l'injustice et aux excès qu'elle enfante. Car la haine injuste est toujours plus violente qu'une haine inspirée par de forts motifs.

M. de Montmorenci fut remplacé par M. de Chateaubriand. Ceux qui étaient le plus opposés au ministère blâmèrent M. de Chateaubriand de s'être uni à lui. Je me rappelle que dans une conversation que j'eus alors avec celui-ci, il se plaignit de l'injustice de ses amis mêmes. Cette injustice était réelle; car le parti royaliste désirait de voir Ferdinand rétabli sur son trône; et si le ministère avait été indécis jusqu'à ce moment, il était évident que l'entrée de M. de Chateaubriand au ministère devait faire pencher la balance en fa

[ocr errors]

veur de l'opinion de ses amis. Ils étaient donc très-inconséquents dans les reproches qu'ils lui adressaient. Mais peut-être pensaient-ils qu'il ne pourrait rester avec M. de Villèle, et qu'il aurait dû se réserver pour d'autres instants. Quoi qu'il en soit, ce ministre fit un rapport aussi bien raisonné qu'éloquent, et qui produisit la plus grande impression sur la Chambre élective.

La

guerre fut déclarée; la majorité des Chambres l'approuva hautement; l'armée manifesta un excellent esprit, et ne permit aucun doute sur la bonne conduite qu'on attendait d'elle, et sur la gloire qu'elle allait acquérir.

Ici, je m'adresse aux royalistes de ce temps, et je leur dis Rappelez-vous ce beau moment, ce bel accord, cette opinion générale. Enfin, voilà donc la France combattant pour l'ordre social. Elle le fera triompher; mais voyons quel parti on saura tirer de son triomphe,

De tristes détails vinrent promptement ternir ce bel accord. Une conjuration vraie ou fausse, tramée, disait-on, dans l'armée même, fut la cause ou le prétexte qui fit envoyer à cette armée le maréchal de Bellune, ministre de la guerre, La manière bizarre dont il fut remplacé par une personne qui, d'après l'ordonnance, semblait ministre de la guerre, et qui, par une seconde

ordonnance, n'était plus ministre que par intérim; le soupçon qui s'accrédita qu'on n'avait imaginé une conspiration qu'afin d'éloigner M. de Bellune du ministère; plus encore la manière dont il fut reçu; des détails honteux relatifs aux subsistances et aux approvisionnements de l'armée, tout cela diminna le bon effet d'une expédition si glorieuse. Ce fut bien pis, quand elle fut terminée. Des tracasseries de toute espèce flétrirent la gloire acquise; une ordonnance datée d'Anjuar, parut dictée par l'esprit libéral, combla de joie ce parti, qui la manifesta hautement, et accabla le prince de félicitations sur sa conduite et d'éloges sur la gloire qu'il avait acquise. Mais le ministère ne put approuver cette ordonnance. (

On vit ensuite que des hommes, intéressés à l'emprunt fait par les cortès d'Espagne pendant leur rébellion, avaient trop de crédit sur le ministère, et l'engageaient à soutenir leur cause. On fatigua le roi Ferdinand de démarches de toute espèce pour le déterminer à reconnaître cet emprunt. Ce désir intéressé, dont cependant pas une seule voix n'accusa les ministres pour leur intérêt personnel, aliéna du ministère les âmes nobles. On voyait trop clairement que certains hommes qui avaient acheté des coupons de cet emprunt à bas prix, auraient fait une for

[ocr errors]
« PrécédentContinuer »