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quelle fut sa valeur et sa belle discipline; reconnaissez aussi quels furent la fidélité de mon peuple envers moi, sa loyauté envers vous, son empressement à vous seconder, et les pertes immenses que vos fournisseurs ont fait éprouver aux Espagnols, qui nourrirent votre armée. Cessez donc de me demander une misérable somme employée pour votre propre intérêt, employée à détruire les mauvais effets de votre propre ouvrage; cessez de salir par cette honteuse insistance la gloire acquise par vos guerriers.

Voilà ce que Ferdinand aurait pu répondre à nos ministres. Il aurait été approuvé d'un nombre immense de Français, dont les âmes généreuses n'avaient oublié ni les services rendus à la France par l'Espagne, ni la source d'où partait la rébellion qui travaillait ces contrées.

J'ai fait remarquer, dans le récit de mon ministère et dans le chapitre où j'ai parlé de la conduite des ambassadeurs étrangers, avec quelle inconséquence irréfléchie ils avaient avili le trône à la seconde restauration, et combien ils avaient en cela secondé les désirs et les projets de la faction libérale. J'ai montré toute la gravité de cette faute énorme; et maintenant me voici forcé de vous faire remarquer le même aveuglement et la même faute dans notre ministère. Nous avons ra

baissé le roi que nous venions de relever; nous lui avons demandé des choses honteuses : mais il est vrai que si nous avons subi les clauses humiliantes du traité de Paris, lui n'a pas subi la clause humiliante de reconnaître l'emprunt des cortès. Lorsqu'il fit délibérer sur cette grande affaire dans son conseil, il demanda d'abord l'avis de son frère don Carlos. Ce prince se leva, mit la main sur son cœur, et s'écria: Jamais! Ce mot magnanime fut répété par touts les conseillers, et sanctionné par le roi.

L'expédition d'Espagne fut heureuse; elle rétablit le roi sur son trône. Notre armée fut toujours secondée par le peuple espagnol; le succès fut aussi rapide que complet, et la discipline de l'armée mérita les louanges de l'Europe. Mais malheureusement, comme je l'ai déjà observé, des détails honteux affligèrent les âmes élevées. Le roi nomma une commission d'enquête : elle était présidée par M. le maréchal Macdonald. J'en étais membre avec MM. de Villemanzy, Daru, Labouillerie et l'amiral Halgan. Pendant six mois, nous avons travaillé avec une assiduité inspirée par le zèle le plus pur. Notre travail contenait des lettres, des interrogatoires, des tableaux certifiés et des comptes, d'après lesquels il nous paraissait impossible de ne pas trouver la vérité.

Lorsque je fus nommé membre de cette commission, M. le dauphin me dit qu'il en était trèscontent, et m'engagea à être très-sévère dans la recherche de tout ce qui s'était passé. MONSIEUR et Mme la dauphine m'exhortèrent à la même sévérité. Les mêmes paroles furent dites aux autres membres de la commission. Notre travail ne fut achevé qu'au commencement du règne de Charles X. Lorsque nous le lui présentâmes, il nous dit qu'il le connaissait déjà, parce qu'il avait lu les feuilles d'impression, à mesure qu'on les lui remettait. Le ministre de la guerre lui présenta un rapport qu'il terminait par la demande de poursuivre cette affaire devant les tribunaux. Le roi écrivit en marge du rapport un ordre à ses ministres de la poursuivre suivant les lois du

royaume.

Après une instruction judiciaire qui dura plus d'un an, la Cour royale se déclara incompétente, et envoya toute la procédure à la Chambre des pairs.

Loin de moi la pensée de rien dire sur la décision de cette Chambre. On conçoit aisément qu'après six mois de travail, l'opinion unanime d'une commission de six hommes habitués toute leur vie aux affaires, était profondément motivée dans leur esprit, sur le fond de la chose qu'ils

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avaient examinée, et que cette conviction ne pouvait être détruite que bien difficilement. Nous avions eu soin, en exposant les faits, de n'accuser personne. Nous étions dans les bornes de notre devoir. J'ai entendu cependant plusieurs pairs nous reprocher de n'avoir pas conclu, en motivant une accusation, si l'enquête nous y conduisait. Je répondis à l'un d'eux que ce reproche me prouvait qu'il avait une idée bien fausse des attributions d'un comité d'enquête nommé par le gouvernement; qu'un pareil comité ne devait pas faire autre chose rassembler touts les moyens possibles de parvenir à la vérité, et que s'il se transformait en comité d'accusation, il violerait autant les lois du bon sens que celles de l'équité.

que

A Paris, les intrigues se fourrent partout, et finissent toujours par étouffer le faible bon sens qui nous reste encore. Elles donnèrent alors une grande preuve de leur puissance; elles transformèrent une affaire qui concernait un munitionnaire général en une affaire qui regardait éminemment l'héritier du trône. L'intrigue parvint à faire adopter cette idée, aussi fausse que honteuse, à touts ces imbécilles de la cour et de la ville qui répètent une chose, uniquement parce qu'elle a été dite une fois, qui la répètent dans les mêmes termes, qui en font un principe, une

décision, et qui ne se doutent pas qu'ils sont en cela les instruments d'hommes perfides qui les trompent avec autant de hardiesse que de mépris. Vainement les gens sensés répétaient que cette solidarité en face de l'opinion publique, entre un munitionnaire et M. le dauphin, était injurieuse au prince et fausse sous tous les rapports. Vainement la commission avait-elle fortement repoussé cette allégation; ils n'étaient compris que des hommes qui ont de l'élévation dans l'esprit. J'ai vu et entendu alors des choses bien étranges. Je n'en souillerai point cet écrit. Mais je puis dire que cette affaire, ainsi conduite, a produit un grand mal. Qu'on se rappelle touts les temps fàcheux, on y verra que les catastrophes sont toujours précédées de choses qui touchent à l'honneur du gouvernement, et qui ternissent son éclat, quelle que soit d'ailleurs l'équité de sa conduite. «La considération est tout pour les princes, di«sait le cardinal de Richelieu à Louis XIII: c'est << pourquoi ils doivent toujours prendre des con«seils hauts et généreux. >>

J'ai dû parler de suite de cette affaire importante, qui fut interrompue par de longs intervalles. Commencée avec la campagne d'Espagne, pendant laquelle les clameurs furent portées au dernier degré, elle ne fut terminée qu'en 1826.

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