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très-volumineuse avec cette colonie, et que j'y employais deux secrétaires, outre mon travail personnel, qui était presque journalier. Je m'occupais autant des affaires des particuliers qui s'adressaient à moi, que des affaires générales de la colonie. Les députés sçavent combien ils sont occupés de la correspondance de leurs départements; qu'ils jugent, d'après elle, de ce que doit être celle d'un pays situé à deux mille lieues. Mes ouvrages, mes discours à la tribune, et les nombreux articles que j'ai mis dans les journaux, attestent ma sollicitude pour ses intérêts. On sait qu'en France, il est de mode d'attaquer les colonies; on ne pouvait les défendre, sans attirer sur soi l'animosité des libéraux, des idéologues, des hommes dont le bonheur est de parler des choses qu'ils ne connaissent pas. Je bravai toujours cette animosité, d'autant plus forte qu'elle était plus aveugle.

C'était par ce plaisir de paraître instruit des choses qu'on ignore, que l'Assemblée constituante avait détruit la magnifique colonie de Saint-Domingue, en faisant successivement trois lois contradictoires dans le sens et dans les expressions.

Pendant toutes les sessions qui s'écoulèrent dans le temps dont je parle, je ne cessai de dé

fendre les intérêts des colonies et du commerce; car ils sont intimement liés. On saisissait toutes les occasions de répéter les calomnies répandues dans les journaux. Les allégations les plus fausses étaient proclamées à la tribune et dans les comités. Des hommes, qui n'avaient vu que les barques des rivières de leurs provinces, décidaient souverainement des colonies et de la marine, détruisaient les premières, parce qu'elles nous étaient onéreuses, et voulaient même détruire notre marine, comme inutile. Ces plans ridicules étaient répétés sans cesse.

Après tant de destructions, on voulait encore détruire et toujours détruire. Nous n'avons pas fait autre chose depuis quarante ans que nous conduisons nos affaires dans nos assemblées. Bonaparte seul arrêta la destruction législative dans l'intérieur, mais en portant dans l'Europe la destruction conquérante.

Un de ces députés destructeurs, négociant, non pas d'un port de mer, non pas même d'une ville manufacturière, me soutenait un jour que nos trois petites colonies coûtaient plus de cent millions à la France en vain je lui citais les propres comptes ministériels que j'avais à la . main. Un autre député a soutenu la même chose dans un gros volume. Peu de temps après, je

prouvai le contraire; et par les calculs les plus positifs, les plus authentiques, je prouvai que les colonies ne coûtaient rien à la France. Quel en fut le résultat? les ennemis des colonies n'en furent que plus acharnés à les poursuivre à la tribune: c'était un sujet fécond, à cause des déclamations sur l'état des nègres. Je fus forcé de leur répondre avec des détails un peu étendus sur le régime intérieur de nos Antilles.

<< Dans la Chambre héréditaire, un orateur << que nous avons souvent entendu à cette tribune, « a comparé les colons à d'anciens patriarches au << milieu de leur famille. Rien n'est plus juste; <«< et s'il se trouve parmi nous quelqu'un qui con« naisse nos colonies, qu'il s'élève pour me ré<< pondre, si je me permets la moindre exagéra«<tion dans ce que je vais dire.

"

<< Au seul mot des travaux des Antilles, vous imaginez les travaux les plus accablants. C'est « une erreur. Le travail de nos manufactures qui «< portent l'insalubrité dans les ateliers et dans le « voisinage, n'y sont pas connus. Les travaux des « forges, si fatigants pour les ouvriers, ceux des << mines de sel, de houille et des immenses car«< rières d'où nous arrachons les pierres pour nos « bâtiments, les métiers qui exposent la vie des << ouvriers, des travaux insalubres et dégoûtants,

« que je ne peux nommer, sont inconnus dans «<les Antilles. Le travail se borne à cultiver la

<< terre. Les ateliers rangés sur une ligne, travail«<lent en cadence, et sont animés par un chan<< teur qui est à leur tête, et auquel répond leur « goût naturel pour le chant. Ils ont trois heures << de repos par jour. Les travailleurs des sucreries << sont relevés toutes les quatre heures, et ils << ont l'avantage de travailler dans une manufac<< ture d'où s'exhale une odeur balsamique, agréa«ble et bonne pour la santé.

<< Les nègres ont un jardin qu'ils cultivent pour «< leur propre compte. Les légumes, les fruits qu'ils «<en tirent, ainsi que les animaux qu'ils élèvent, «<leur appartiennent. Jamais un propriétaire ne « s'est emparé du fruit de leurs travaux. Outre « les dimanches et les fêtes, ils ont un jour par << semaine, qu'ils emploient à la culture de leurs << jardins, en sorte qu'on peut dire que le tiers << de l'année environ leur appartient. Les diman«ches et les fêtes, les chemins sont couverts de nègres qui portent dans les marchés les légu<< mes et les fruits de leurs jardins.

« On vous a parlé de l'insuffisance de la pcpu«lation des ateliers, et on l'a attribuée à un mau« vais régime intérieur. C'est une erreur. Les << soins de toute espèce sont prodigués aux ma

<< lades, aux femmes en couche et aux enfants. "Mais il existe dans ces pays une maladie parti<<< culière aux enfants nouveaux-nés. Des médecins «< habiles en ont dès long-temps cherché la cause << et les remèdes. Les soins journaliers, portés " aussi loin que peuvent le demander l'intérêt et « l'humanité, préservent beaucoup d'enfants de <<< cette maladie. Les femmes trouvent un avan«<tage dans le nombre de leurs enfants, parce << qu'on leur distribue autant de portions qu'elles << ont d'enfants; celles qui en ont sept, jouissent « alors de leur liberté sur l'habitation, et ne sont plus assujetties à aucun travail.

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« Examinons maintenant les résultats du ré<< gime colonial. L'habitant, au milieu d'un nom<«< breux atelier, ne prend aucune des précautions << si multipliées que nous prenons en France pour << notre sûreté. Tandis que nous, bons chrétiens, << bons citoyens, philosophes même, nous ajou<<< tons verroux sur verroux, serrures sur serrures, « et des murailles élevées autour de nous, pour « nous garantir et nous défendre contre d'autres « hommes aussi bons chrétiens que nous, les ha«bitants des Antilles dorment tranquillement « dans une maison ouverte de toutes parts, au << milieu de trois cents negres.

« D'où

peut venir cette sécurité, si ce n'est du

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