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du trône, et l'on nous dira que le trône a été renversé par une poignée de brouillons sans force réelle, sans armes, sans autorité! J'ai prouvé à chaque page de la terrible année de 1792, que toute leur force venait de la faiblesse des ministères.

Mais dans l'affaire que je vais vous retracer, vous aurez du moins la triste consolation de voir le ministère anglais favoriser, bien plus que nos ministres, la faction qui travaille l'Europe, et qui, de nos cabinets, étend son influence et donne ses ordres en Amérique.

Non seulement la reconnaissance des provinces du sud de ces contrées, révoltées contre l'Espagne, fut accordée, quoiqu'aucun autre Etat n'eût reconnu leur indépendance, formellement refusée deux fois par l'empereur de Russie, mais encore, comme on va le voir, l'Angleterre ellemême ne voulut pas les reconnaître avant la France, et ne les reconnut même que treize mois après son consentement.

Qu'on ait souvent, dans les temps reculés, excité les provinces de son ennemi à la révolte, on le conçoit; il ne s'agissait que de faire du mal à son ennemi; c'est le droit de la guerre mais qu'après l'expérience de nos révolutions successives, quand l'ordre social est partout ébranlé par

elle, on excite les peuples à la révolte, et en d'un extrême

pleine paix, cela ne peut partir que aveuglement. C'est le triste spectacle que nous présente l'affaire dont je parle, dans la conduite. de la France et de l'Angleterre.

L'inconséquence des deux gouvernements fut bien extraordinaire; elle le fut autant que celle de tous les souverains et de leur diplomatie, après la seconde restauration. Je vous ai montré tout le mal qu'a fait cette diplomatie à la France en flétrissant la couronne; voici maintenant la France qui fait précisément la même chose après une campagne glorieuse contre les rebelles de l'Espagne, elle consent à l'indépendance des rebelles de l'Amérique espagnole; elle y consent par une négociation avec l'Angleterre, que les ministres anglais terminent par des chants de triomphe

dans leurs deux Chambres.

Les ministres anglais eurent dans ces temps une singulière conduite. Tandis que le roi d'Espagne était captif en France, ils combattaient pour sa cause contre Napoléon. Lorsqu'il fut rétabli sur son trône et reçu par son peuple avec un enthousiasme difficile à décrire, une conjuration, tramée et secondée à Paris, amena la révolte des troupes dans l'île de Léon, et le roi fut conduit prisonnier à Cadix. L'assemblée des cor

tès domina l'Espagne; elles avaient déclaré pendant leur première domination, et elles déclarèrent encore que jamais elles ne reconnaîtraient l'indépendance des provinces révoltées en Amérique : elles y avaient envoyé une armée; elle eut des succès et des revers. Le ministère anglais favorisa les révoltés; des régiments furent formés en Angleterre, et arrivèrent dans ces contrées dans le temps même où l'Angleterre combattait en Europe pour l'Espagne.

Considérez attentivement la conduite du ministère anglais lorsque l'honneur appela nos armes en Espagne : il n'intervint pas dans cette guerre; lord Liverpool déclara même dans le parlement qu'il ne la voulait pas, parce qu'il était convaincu que, sur cent Anglais, quatre-vingt-dix-neuf ne la voulaient pas; mais en même temps combien d'efforts pour l'empêcher! Il s'adressait même aux cortès. Dans une erreur inconcevable, il les croyait assez puissantes pour dominer les sentiments fortement prononcés des Espagnols.

« J'espère, disait alors M. Canning dans le parlement, que l'Espagne sortira triomphante << de sa lutte avec la France, » et par l'Espagne il entendait les cortès. Jamais l'aveuglement ne fut poussé plus loin sur l'état d'un pays.

Mais le ministère anglais manifesta surtout ses

sentiments au sujet de la célèbre phrase pronon cée par Louis XVIII à l'ouverture des Chambres. Ce monarque avait dit qu'à Ferdinand seul appartenait de donner des lois nouvelles à son peuple, s'il le jugeait nécessaire. Ce passage du discours royal excita le mécontentement des ministres anglais; ils en firent l'objet le plus important de leurs délibérations; ils obtinrent une interprétation du ministère français.

Lord Liverpool s'exprima ainsi :

<< On voit par les dépêches de sir Charles Stuart << (elles ont été publiées), que, même après le dis« cours du roi de France, on s'est montré dis« posé à modifier quelques-unes des déclarations « que ce discours renfermait. Le ministère fran«çais a déclaré qu'un changement quelconque << dans la Constitution des cortès espagnoles, auquel le roi consentirait, suffirait à la France. «< Ceci était un principe que je ne pouvais approu« ver; mais il faisait disparaître la doctrine pro«fessée dans le discours du roi de France, que « tout changement doit venir du trône. »

Il faut s'arrêter ici pour considérer la prodigieuse inconséquence de ces fortes têtes ministérielles : elles ont vu Louis XVIII donner une Charte à la France; elles ont vu cette Charte rétablie à la seconde restauration; elles ont ap

plaudi cet acte juste et convenable; elles ont même, par leur diplomatie, accusé les royalistes français d'être opposés à cette Charte, qu'elles affectaient alors de regarder comme le palladium de la France et de l'Europe; et les voilà maintenant furieuses de ce que Louis XVIII a dit qu'à Ferdinand seul appartenait de faire ce qu'il avait fait lui-même, avec l'approbation de l'Europe et de la France. Elles exigent une explication des paroles de Louis XVIII; elles l'obtiennent, et cette explication est rendue publique.

Lord Liverpool triomphe de cette explication devant la haute aristocratie anglaise, qui ne voit pas que tout ce qui tend à approuver une Constitution, telle que celle des cortès, ébranle non seulement les trônes, mais élève la démocratie, et lui prépare les moyens de renverser et les trônes et l'aristocratie.

Autres inconséquences! Lord Liverpool, comme les autres ministres anglais, avait vigoureusement bataillé pour repousser tout droit d'intervention de la France en Espagne, lorsque notre armée allait y entrer; et maintenant, il porte lui-même l'intervention au point de ne vouloir pas permettre à un roi de dire qu'un autre roi peut seul donner des lois à son peuple!

Et ce même ministère porte l'intervention jus

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