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Chambre. Le seul géneral d'Aboville m'en félicita, et me parla des heureux effets que pouvait produire une telle mesure.

Un député de Bordeaux, dans un discours qu'il ne lut pas à la tribune, mais qu'il fit imprimer, inséra une note dans laquelle il déclarait, sans le prouver, que ma proposition était dangereuse. Un habitant de Bordeaux me dit que ce député était un des plus grands capitalistes de cette ville, et que, si ma proposition était adoptée, ses capitaux seraient moins productifs. Plusieurs manufacturiers pensèrent différemment; ils m'écrivirent et me parlèrent pour m'engager à renouveler ma demande. Je répondis à touts que la Chambre était sourde à de pareilles propositions relatives au commerce et à l'industrie; qu'elle n'accordait son intérêt qu'aux questions ou aux demandes qui présentaient de la pâture aux passions. Mais ce que la Chambre et les ministres de Charles X n'auraient jamais fait pour lui concilier le commerce et l'industrie, les ministres de Louis-Philippe n'ont pas manqué de le faire immédiatement après la révolution de 1830. Trente millions leur ont été accordés pour cet objet. Je crois assez remarquable cette différence entre la conduite des ministres de Charles X et celle des minstres de Louis-Phi

lippe. J'ignore si l'exécution a été heureuse ; mais je sais que je proposais pour la distribution une commission qui aurait rendu compte aux Chambres, comme celle de la caisse d'amortissement. Toujours est-il bien certain qu'uné proposition fondée sur la conduite d'Henri IV, de Louis XIV, du grand Frédéric, et sur l'exemple donné trois fois par l'Angleterre, aurait pu mériter quelque attention de la part des ministres.

Je parlais, un jour, sur une partie de la loi des finances. M. le président m'interrompit, en ajoutant qu'on ne traitait pas cette partie. Je lui demandai quelle était celle dont on s'occupait. Il me dit qu'il s'agissait du crédit public. Eh bien, répondis-je, je vais parler sur le crédit public. Je présentai des idées très-différentes de celles qu'on répète sur ce sujet; et par ce motif, je vais développer avec plus d'étendue l'opinion que j'énonçai alors à la tribune, et qui concerne surtout les emprunts du premier ministère. Je ne suis pas l'ordre des dates.

Le temps qu'on appelle le siècle des lumières se distingue par un charlatanisme qui indignerait, s'il ne faisait pitié. Des choses les plus simples, on veut faire une science; des choses connues avant nous, on veut faire une invention nouvelle. Ainsi, l'on dit et répète sans cesse :

La science du crédit public n'était point connue autrefois; c'est une science nouvelle. La France a du crédit; sa prospérité est établie sur la base du crédit; son crédit est maintenant inébranlable: elle connaît maintenant la science du crédit, et mille autres choses pareilles, répétées jusqu'à satiété. A quoi aboutit cette belle science? à vendre des rentes, à créer un infâme agiotage, à faire aux dépens de la France la fortune de quelques capitalistes étrangers et de quelques banquiers de Paris.

Vous appelez crédit la facilité des emprunts, Eh bien! Je vais vous prouver que vous n'empruntez pas; que nos ancêtres empruntaient réellement et avec facilité; que vous vendez des rentes à un prix onéreux pour vous, et que nos aïeux ont réprouvé les emprunts de cette espèce.

Je soutiens d'abord que les sommes qui sont versées dans les emprunts de touts les Etats sont le produit de la multitude infinie des économies. des particuliers de toutes les classes; il est par conséquent absurde de demander à des banquiers deux cents millions qu'ils n'ont pas, qu'ils ne peuvent avoir, et qu'ils n'auront qu'en vendant aux particuliers les rentes que l'Etat leur a vendues, en leur assurant un profit immense. Il serait plus simple et moins coûteux de recevoir direc

tement l'argent de ces particuliers: c'est ce que faisaient nos ancêtres.

Le premier emprunt dont les rentes furent assignées sur l'Hôtel-de-Ville de Paris, fut fait par François Ier; il ne s'adressa point à des banquiers. Les Parisiens s'empressèrent de porter leur argent; ils furent charmés, dit un historien, de se procurer, par le placement de leurs épargnes, un revenu qui ne leur demandait aucun travail, aucun embarras. Voilà un véritable emprunt; on reçut les sommes des prêteurs, sans l'intermé diaire des banquiers. Voilà aussi la véritable source de la facilité de l'emprunt, le désir et la commodité de placer ses épargnes, et d'avoir un revenu sans embarras.

On emprunta de la même manière sous plusieurs règnes; mais on vit, sous Henri III, le surintendant d'O s'associer aux traitans, s'en servir pour des emprunts, et faire leur fortune et la sienne, en ruinant l'Etat; il fut le fléau de la France.

Nous arrivons au ministère de Sully, à des prodiges d'ordre et d'économie, au milieu du plus effroyable désordre, suite inévitable des guerres civiles. D'où venait sa science, son`talent? De sa probité, de sa vertu, de son amour pour son roi. Il n'eut pas besoin d'étudier la pré

tendue science économique; il la trouva bien plus et bien mieux dans un sens droit, dans un caractère ferme et une probité à toute épreuve. II arracha la France aux mains des traitants; il ne fit point d'emprunts. Disons avec M. Hennet : «< Dans « un ministre des finances, le premier des talents, «c'est la vertu. »

Sous Louis XIII, nous voyons un emprunt étonnant; il fut fait sans l'intermédiaire des banquiers, qu'on appelait alors les traitans. Les particuliers versèrent au trésor 198 millions de capitaux à 5 et pour cent. Cette somme, suivant la remarque de M. Hennet, égalait près de trois années de revenu public; c'est comme si l'on empruntait aujourd'hui trois milliards. Cet emprunt prouve évidemment la vérité de ce que j'ai avancé, que toutes les sommes prêtées à l'Etat ne sont pas autre chose que l'accumulation de toutes les innombrables économies des particuliers.

Je sais fort bien que, dans ce même règne de Louis XIII, on fit ce qu'on applait des affaires avec les traitans, et qu'on vendit des rentes à des capitalistes; ainsi, vous n'avez pas même aujourd'hui le triste mérite de cette invention. Mais le cri public forçait alors à nommer des commissions ou des chambres de justice qui exami

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