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naient les opérations des traitans. Toutes les fois qu'on est revenu ensuite à l'ancienne manière, d'emprunter, directement des particuliers, sans vendre les rentes à des capitalistes, on a réussi; c'est ainsi que Colbert a emprunté 262 millions à 5 pour cent, et à 5 un neuvième. Nous en trouvons une nouvelle preuve dans le fameux emprunt de M. Silhouette, sous Louis XV. En vingt-quatre heures, 75 millions furent portés au trésor par les particuliers; et loin de recourir aux financiers, il leur lia les mains par les combinaisons de cet emprunt. Il excita par cela même un enthousiasme général.

Les emprunts considérables de M. Necker pendant la guerre d'Amérique, emprunts-loteries, rentes viagères, rentes perpétuelles, tout se faisait directement entre l'Etat et les particuliers.

En 1789, le nombre des rentiers était de sept à huit cent mille; c'est la preuve la plus certaine que toutes ces sommes prétées directement par des particuliers, ne sont autre chose que les économies des particuliers.

Une autre preuve est cette promptitude avec laquelle furent remplis les deux emprunts-loteries de M. Necker. Il suffit de quelques jours. pour verser au trésor 45 millions.

Que faisons-nous maintenant? nous n'emprun

tons pas, nous vendons; nous vendons d'une manière onéreuse à l'Etat, et profitable aux capitalistes. Prenons pour exemple l'emprunt fait sous le premier ministère de M. de Richelieu, par M. Corvetto. Rien de plus frappant que la plainte singulière portée sur cet emprunt par M. Ouvrard dans ses Mémoires. Il dit que le premier traité fait avec les capitalistes, leur donnait la rente à 53 francs 85 centimes, et il ajoute: Prix fixé par ma note à la conférence des alliés. Il continue : « Un arrêté du conseil des << ministres me rendait moi-même acheteur de « 12 millions de rente au même prix de 53 francs « 85 centimes, en paiement de toutes les fourni«<tures de l'armée des alliés, dont j'étais déjà

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chargé comme munitionnaire général; mais « le duc de Feltre refusa de signer le traité ré<< digé en conformité de l'arrêté du conseil des « ministres... La rente était déjà à 65 fr., etc. >>

Il y a apparence que ces arrangements, pris en faveur de M. Ouvrard, furent faits promptement; ainsi nous pouvons dire qu'en peu de jours, la rente monta de 53 85 à 65; qu'elle donnait par conséquent II francs de bénéfice dès sa naissance; environ un cinquième de bénéfice. Je néglige les centimes. Ainsi, en donnant 12 millions de rente à M. Ouvrard dans cet emprunt, on lui donnait

réellement 14 millions 400,000 francs de rente. Mais, en même temps, M. Ouvrard sçavait bien que toute l'autorité influente du gouvernement serait employée en faveur du crédit public, et par conséquent à augmenter cette somme qu'on lui donnait. Il ajoute ensuite que chacun voulait avoir de ces rentes, et qu'il fallait employer la force au trésor pour contenir la foule.

Quelle était cette foule? Ce n'étaient pas les bienheureux capitalistes en petit nombre, auxquels on avait donné l'emprunt; ce n'étaient pas non plus ces favoris du ministère, auxquels il donnait des bons d'emprunts, qui les passaient à des agents pour les vendre, et qui, n'ayant pas un sou en se couchant, se réveillaient capitalistes, après un doux sommeil et des rêves flatteurs. Cette foule était composée de ces hommes nombreux qui ont des économies à placer ; ce sont eux et eux seuls qui, en dernière analyse, achètent des rentes pour se procurer un revenu sans embarras. Les capitalistes ne peuvent les garder; ils n'ont pas deux et trois cents millions disponibles ils n'ont souvent que leur signature, et l'avantage d'avoir auprès d'eux un gouvernement aveugle et inepte qui croit avoir besoin d'eux, parce qu'il ne connaît pas ses propres ressources, qui ne voit pas que si des capitalistes se présen

tent, c'est uniquement parce qu'ils sont certains de faire un grand bénéfice, et que cette certitude n'est fondée que sur la confiance inspirée par la caisse d'amortissement, et par l'exactitude des contribuables à payer l'impôt.

Je vous prie de bien faire attention à tout cela. Pour 55 francs qu'on donnait à l'Etat, l'Etat donnait 5 francs de rente; et par conséquent, pour 55 millions de capital, il donnait 5 millions de rente. Mais dans l'emprunt énorme dont je vous ai parlé sous Louis XIII, 100 millions de capital ne coûtaient à l'Etat que 5 millions 500,000 fr. de rente. Les emprunts de Colbert, celui de M. Silhouette, ceux de M. Necker avaient le même résultat, et quelquefois ont coûté moins encore. L'Etat donnait 5 francs de rente à un particulier qui lui remettait le capital ou presque le capital, et non 5 francs de rente à celui qui ne lui avait remis que 55 francs.

Pescz ces rapprochements; comparez et jugez. Mais que dis-je? il est encore entre ces deux formes d'emprunts une différence frappante. Le particulier qui prenait une rente dans les anciens emprunts était obligé de donner le capital; il ne pouvait souscrire simplement, et se reposer pour le paiement sur la vente de la rente qu'il venait d'acquérir, puisqu'il n'avait point la certitude

ni même l'espoir de vendre avec bénéfice une rente qu'il avait achetée au pair ou presque au pair.

Dans les emprunts dont je parle, au contraire, un homme, avec sa seule renommée de capitaliste, ou avec la faveur d'un ministre, est inscrit pour une somme qu'il n'a pas ; et comme on lui donne cette inscription à un taux au-dessous du taux de l'opinion, il vend la portion qui lui est nécessaire pour s'acquitter; il garde le reste avec la douce certitude que le gouvernement fera constamment touts les efforts possibles pour augmenter la valeur de la rente, et par conséquent la fortune de ses prêteurs. Il peut dire que de rien il a fait quelque chose, et peut-être beaucoup; car ces rentes, données par l'Etat à 55, étaient en 1829 à 108, Ainsi, si M. Ouvrard avait reçu les 12 millions de rente que lui donnait le conseil des ministres, et s'il avait pu les garder, il aurait eu, en 1829, plus de 24 millions de rente.

Et tout cela se faisait aux dépens des contribuables! car la science nouvelle du crédit n'a donné à l'Etat que 55 millions, tandis qu'avec l'ignorance de l'ancien temps, il aurait reçu 100 millions. Or, sur qui tombe cette perte énorme, si ce n'est sur le contribuable?

Vous voyez donc bien le crédit n'est pas }

que

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