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LIVRE VII.

DEPUIS LE MOIS DE MAI 1816, JUSQU'A LA RÉVOLUTION DE 1830.

CHAPITRE PREMIER.

Considérations sur la marche du gouvernement
en 1816, et jusqu'en 1820.

JE poursuis le dessein de rechercher les causes de nos révolutions.

Je commencerai la suite de cet ouvrage par déclarer que dans mon opinion personnelle, souvent écrite, et répétée à la tribune, quand il existe une faction dans un Etat monarchique, quand elle s'accroît, se fortifie, et triomphe en

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fin, ce n'est point aux factieux qu'il faut en attribuer la cause, mais aux ministres. Demander,

sous un gouvernement imprévoyant et faible, qu'il n'y ait point de factieux, c'est demander que touts les hommes aient toutes les vertus imaginables, et même qu'ils ne prennent aucun intérêt à ce qui se passe sous leurs yeux, c'est demander une chose impossible. Je me rappelle que soutenant un jour cette opinion devant M. Malouet, de l'Assemblée constituante, il m'interrompit pour me dire: Vous ne croyez donc pas à la vertu? Je lui répondis: Je prends cette expression dans le sens des Romains. La vertu est la force. Je crois à la force mâle, constante des factieux pour renverser le gouvernement; et lorsqu'ils auront réussi, leur conduite sera honorée du nom de vertu. Je crois aussi à la force des royalistes, si le gouvernement marche à leur tête; à leur impuissance, si le gouvernement les abandonne; et s'ils succombent, leur vertu sera flétrie du nom d'imbécillité politique.

Je reviendrai souvent sur les fautes de mon parti. Je suivrai la maxime de Fénélon relative aux répétitions: « Il ne faut retrancher aucune des

répétitions par lesquelles il est essentiel de ra<< mener souvent le lecteur au point qui décide «<lui seul de tout. » C'est au parti royaliste qu'un

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roy aliste doit dire des vérités. Que pourrai - je dire aux libéraux? « Vous aviez tort de profiter « des avantages que vous donnait la faiblesse des << ministres. S'ils perdaient la couronne, vous de«viez la soutenir. Vous aviez des devoirs à rem«< plir, des serments d'être fidèles. Vous étiez envoyés par la France pour soutenir la mo<< narchie constitutionnelle. » Le plus beau sermon sur ce texte ne serait qu'une niaiserie sentimentale qui ferait pitié aux hommes de caractère, et ferait rire les libéraux. Tout gouvernement a des ennemis. Il en est ainsi dans touts les temps, dans touts les pays. Si ces ennemis se réunissent, forment une faction et travaillent contre le gouvernement, il y a une cause. Quelle cst-elle ? si ce n'est l'incurie des ministres qui, au lieu d'arrêter les progrès de la faction dès le commencement, la laissent s'accroître et se fortifier. Je crois impossible d'assigner une autre cause. Elle exista pendant toute la restauration. Je le prouverai dans les chapitres suivants, comme je l'ai prouvé dans les chapitres précédents; et si je le prouve, il en résultera nécessairement que la révolution de 1830 n'a été que la suite inévitable de la conduite des ministres pendant toute la restauration. Tel homme fortement attaché à la faction, l'aurait été plus encore au

gouvernement, s'il avait marché dans des voies grandes et fortes. Toutes les âmes énergiques se seraient ralliées à lui. Un gouvernement fort ne fait pas autre chose qu'entraîner les hommes qui lui ressemblent. Sous lui, les esprits inquiets se lassent bientôt de conspirer. Ils craignent, et se

taisent.

Lorsque la faction politique, qu'on a laissée s'accroître et se fortifier, n'est arrêtée par aucune loi, et viole envers les personnes les engagements les plus sacrés du pacte social, lorsqu'elle conseille les forfaits et se porte au crime, c'est alors qu'elle est coupable et mérite l'exécration des peuples. Mais il ne faut pas que cette juste indignation soit la pensée unique, et qu'elle pêche de voir et de se rappeler que la faiblesse et l'incapacité des ministres ont été les premières et peut-être les seules causes du triomphe de la faction.

Si le grand changement fait aux lois de l'Angleterre amène une révolution, quelle en sera la cause, si ce n'est la conduite du ministre principal et dirigeant? Après cent cinquante ans d'une prospérité et d'un accroissement de puissance inouis dans les fastes d'Angleterre, il ose renverser d'antiques usages. Nous verrons si l'ébranlement qu'il imprime à sa patrie pourra s'arrêter.

Quand je parle de la conduite de nos ministres, je supplie de bien comprendre qu'il ne s'agit que de la marche politique qu'ils ont suivie. Je reconnais autant que leurs amis mêmes les vertus privées, et même publiques qui brillaient en eux, je ne considère que le système qu'ils ont suivi. Et encore faut-il distinguer les ministres dirigeants de ceux qui ne pouvaient s'occuper et ne s'occupaient effectivement que de leur ministère particulier. En vain, par exemple, le ministère de la guerre, lorsqu'il était conduit par M. de la Tour-Maubourg, présentait à l'armée et à la France toutes les vertus publiques, l'attachement à sa patrie et à son roi, le dévouement le plus absolu à tous les devoirs, la probité la plus sévère; en vain on y voyait un guerrier couvert de blessures, environné de tout ce qui peut donner la considération publique, et inspirer à ses compagnons d'armes le désir de se rallier sincèrement au trône des Bourbons; tout cela ne pouvait que prêter un appui indirect à la marche générale du gouvernement. M. de la Tour-Mauhourg entrait dans un système commencé, suivi, avec persévérance, par une direction politique qu'il ne pouvait changer. Il ne pouvait qu'inspirer à l'armée l'esprit dont il était animé. C'était beaucoup sans doute, mais cela ne pouvait

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