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de colonel-général des gardes nationales de France. Je me présentai chez lui le soir de ce jour trop remarquable. Il me dit avec un sentiment profond, exprimé par l'accent de sa voix : « Je vous remercie d'être venu aujourd'hui. >>

Un instant auparavant, un homme éminent m'avait dit, dans le salon du prince, que rien n'était plus convenable que cette ordonnance dont je me plaignais amèrement, qu'on ne pouvait laisser à un prince un commandement si important. Je lui citai le duc d'Yorck, commandant général de l'armée en Angleterre, les archiducs en Autriche, le prince de Condé, colonel-général de l'infanterie française avant la révolution, et depuis les cent-jours; je lui rappelai touts les heureux fruits qu'avait produits le commandement de MONSIEUR; j'ajoutai que si l'on avait eu tort de le lui donner, on l'outrageait en le lui ôtant. Ce personnage passa après moi dans le cabinet du prince; j'ignore ce qu'il lui a dit.

Quelque temps après, un pair de France disait à Mme la duchesse de ***, en défendant l'administration de M. de Richelieu, qu'elle attaquait, qu'il avait rendu le plus grand service à la France, en ôtant à MONSIEUR le commandement des gardes nationales de France, et qu'il suffisait de cette mesure pour prouver qu'il avait

la tête d'un homme d'Etat. C'était ainsi que sonnait une foule d'honnêtes gens.

rai

L'ordonnance dont je parle est une preuve bien forte des erreurs qui l'ont inspirée, et dit assez tout ce que j'ai dû souffrir pendant mon ministère, à cause des relations particulières que j'avais l'honneur d'avoir avec ce prince, sur tout ce qui concernait les gardes nationales de France. Les raisonnements que je viens de citer étaient faits par un grand nombre de braves gens; ils les débitaient d'un air capable, tandis que touts ceux qui conservaient une ombre de bon sens s'affligeaient sincèrement, et voyaient les conséquences funestes de tout ce qui outrageait un prince de la famille royale. On ne pouvait l'ou-trager sans affaiblir le respect que l'on conservait encore envers elle, d'autant plus que ce respect n'était plus entretenu par aucun prestige ancien. L'espèce de poursuite dirigée contre MonSIEUR par un pareil outrage, et par une infâme correspondance dont j'ai déjà parlé, avait aussi attaqué le duc de Berri. On a vu, dans un des chapitres précédents, les horribles calomnies répandues contre lui avant les cent-jours; elles continuèrent même pendant ces funestes jours. Ce prince, en se retirant de France dans les PaysBas, à la tête d'une troupe, aurait pu écraser des

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escadrons révoltés; il aima mieux les épargner par les plus nobles motifs qu'il exprima devant cette troupe. Peu de temps après, un Français éminent disait hautement, à Bruxelles, que le prince avait manqué de courage dans cette occasion. Je ne veux pas nommer cet homme; mais je tiens l'anecdote d'une personne qui avait entendu ces odieuses paroles. Ce malheureux prince était accoutumé à cette étrange manière de se conduire envers lui; on riait de ses demandes; on éloignait les personnes honorées de son intérêt aussi, lorsqu'il me demanda une sous-préfecture pour un homme qu'il affectionnait, allié à la maison de Choiseul, il me remercia de ma promptitude à l'accorder dans des termes qui manifestaient les désagréments qu'il éprouvait journellement. Il se repliait en lui-même et dans ses affections domestiques; il se livrait à l'amour des arts, et visitait souvent les ateliers des peintres et des autres artistes. Je puis dire qu'on le fatiguait, et qu'on le forçait à étouffer les nobles facultés de son esprit et les magnanimes inspira

tions de son âme.

Cette conduite que je retrace, envers MonSIEUR et son fils, était l'ouvrage d'hommes qui n'en prévoyaient pas les conséquences. Ils étaient loyalement royalistes; mais ils obéissaient à leurs

passions du moment. Louis XVIII apparemment était aussi royaliste; mais, conduit par ces mêmes hommes, il humiliait le parti royaliste, et croyait peut-être pratiquer une bonne maxime politique en relevant le parti contraire. Je m'affligeais de tout cela; mais je ne pouvais m'en étonner, après avoir vu dans ma jeunesse de bons Français, des hommes dévoués au roi, des courtisans, commencer une persécution sourde contre l'infortunée reine Marie-Antoinette, la suivre, la développer, et accréditer touts ces bruits menteurs dont elle fut enfin accablée. Tout cela fut l'ouvrage non d'une méchanceté réfléchie, mais de notre légèreté naturelle, bien plus cruelle que la méchanceté. Celle-ci ne peut faire autant de mal, parce que le nombre des hommes profondément méchants est heureusement borné; mais le nombre des hommes légers est innombrable dans notre immense capitale: et combien d'entre eux répètent les calomnies par vanité, pour paraître instruits de ce qui se passe! M. Burke s'est trompé, malheureusement pour notre honneur, en écrivant dans sa fameuse lettre, au sujet de cette persécution contre la reine, qu'il aurait cru voir dix mille épées spontanément tirées pour sa défense. Il a écrit aussi qu'après la guerre d'Amérique, il avait trouvé la cour de Versailles républicaine.

Plus j'ai vu, plus j'ai réfléchi pendant ma longue carrière, plus je suis convaincu que les phases de la révolution, à dater du règne de Louis XVI, furent l'ouvrage de ses ministres par leur incapacité, de l'Assemblée constituante par son inexpérience et ses théories, de la Chambre de 1792 par la faiblesse des ventrus, des ministres de Louis XVI par leur inhabileté, de la Chambre de 1815, animée des plus beaux sentiments, mais aveuglée sur ses propres intérêts, et dont cependant on aurait on aurait pu faire le soutien de la monarchie; et enfin l'ouvrage des ministres de la restauration. La faction a profité de tout ce qu'on a fait pour elle; ses chefs auraient été des anges, s'ils n'en avaient pas profité. Quant au peuple, il n'est pour rien dans toutes ces causes; jamais une cause de révolution n'a pu venir du peuple: il fait des émeutes; des révolutions, jamais : elles viennent toujours de très-haut, parce que c'est là seulement que naissent et s'accroissent les

causes.

La persécution contre les royalistes, commencée en 1815, a continué jusqu'à la chute du second ministère Richelieu. Les ministres n'avaient alors de vigueur que pour accabler les royalistes. D'où venait, dans des hommes si faibles, cette force vers un seul objet, si ce n'était de la

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