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pensée intérieure qui les poursuivait, qu'ils ne marchaient pas dans la ligne des royalistes, et qu'ils voyaient en eux des ennemis personnels? Cette pensée les poursuivait, les fatiguait, torturait leurs bons sentiments, dénaturait leur pencbant favorable à la couronne, et les jetait dans les plus étranges erreurs. Les ministres d'un roi se séparer des royalistes, favoriser la faction contraire! voilà ce que nous avons vu. Vainement on en chercherait un autre exemple dans l'histoire; il était réservé à nos mauvais jours, après tant d'horribles évènements, de voir une chose toute nouvelle, encore plus étonnante, et que personne n'aurait jamais prévue. Les ministres d'un roi ennemis du parti royaliste! cause puissante, toujours agissante, qui indignait les uns, changeait ou affaiblissait les autres, et donnait aux révolutionnaires une joie croissante qu'ils ne dissimulaient pas.

Pour affermir la monarchie, il aurait fallu une conduite entièrement opposée, des pensées étendues et élevées, et prendre des leçons du gouvernement précédent. On voulait tout abaisser, Napoléon voulait tout élever. Rappelez-vous le préambule de la loi sur les majorats; il était digne de ces préambules majestueux des ordonnances de Louis XIV. M. le comte Duhamel,

qui, comme tant d'autres députés, demandait aux ministres cette marche décidée, montra la grandeur de ce préambule dans son excellent discours sur les substitutions.

Si, dans les temps dont je parle, des royalistes ont hasardé quelquefois des pensées analogues à ces pensées, de Louis XIV et de Napoléon, elles ont à l'instant même été repoussées par l'alliance indissoluble de la faiblesse et de la médiocrité deux puissantes divinités qui, pendant quinze années, tinrent dans leurs mains ignobles les destinées de la France. C'est ainsi que, dans une douce quiétude, nous sommes arrivés à l'instant terrible où la fortune nous attendait, où il fallait lutter avec elle; et comme nous n'avions rien préparé pour le combat, comme nous ne connaissions pas la maxime du grand Condé : Il faut craindre son ennemi de lvin, pour ne pas le craindre de près, la fortune a ri de nous, et nous a terrassés. Nous lui reprochons le triomphe de nos ennemis; elle nous répond : « C'est vous qui l'avez voulu. Je vous ai placés plusieurs fois dans des positions admirables; qu'en avez-vous fait? >>

CHAPITRE III.

Maximes inspirées aux honnêtes gens par la faiblesse.
De la peur et du vrai courage.

ON a vu dans ces Mémoires comment, en 1792, les bons citoyens de Paris et des provinces, et la garde nationale de Paris ont soutenu le trône avec vigueur; on y a vu le courage qu'ils ont déployé. Je me suis attaché à peindre leur énergie dans ces temps si dangereux. Je regrette d'être forcé de faire un tableau bien différent de la conduite de nos honnêtes gens, après la restauration. Mais je prie de ne pas oublier que leur faiblesse était en partie l'ouvrage des persécutions des ministres

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envers les royalistes. J'avais dit à Louis XVIII, en sortant du ministère : Nous sommes menacés du plus grand malheur, du découragement des royalistes.

Je crois impossible de donner même une faible idée des niaiseries adoptées dans ces temps par ces hommes si nombreux, qu'on appelle les honnétes gens, et que le Conservateur appelait les circonspects. Jamais il n'y eut un plus grand nombre de ces gens qui, ne pouvant servir l'Etat, ne veulent pas que d'autres le servent.

Une de ces faiblesses était de blâmer les hommes énergiques qui reprochaient au ministère sa marche incertaine. On a vu que M. de la Bourdonnaye avait combattu en 1816 cette pensée funeste. Les prudents amis du ministère nous disaient Vous le forcerez à s'allier au côté gauche. Je demande si ses plus grands ennemis pouvaient porter contre lui une accusation plus honteuse à la fois et plus accablante.

En attaquant les ministres, disaient les circonspects, vous faites plaisir au côté gauche. Etrange raisonnement, répété sans cesse, et qui ne pouvait être enfanté que dans le siècle des lumières! C'était faire plaisir à des hommes, dont les opinions sont exagérées dans un sens, que de demander au ministère une marche ferme

dans un sens opposé! Voilà cependant ce qu'on nous répétait sans cesse. Aussi, m'écriai - je un jour à la tribune: « En vérité, il est temps de << sortir de l'enfance, et de ne plus craindre de «vains fantômes. >>

En même temps que ces bons royalistes ne songeaient qu'à ménager les libéraux, ceux-ci, comme l'observa le Conservateur dans un article très-ingénieux de M. Fiévée, mettaient les crimes de la révolution sur le compte des royalistes. << M. Deserre, disait-il, qui cependant a servi dans « l'armée de Condé, a la tête encore assez jeune " pour dire à la tribune l'équivalent de ces extra«< vagances. A entendre les factieux, il faut planter « l'étendard de la royauté sur la révolution, parce que la révolution est la seule chose impérissable << qu'ait produite la révolution. La révolution n'a <«< eu lieu que parce que les royalistes ont toujours << eu l'imprudence de porter secours à la royauté. » Remarquez que dans les belles maximes des circonspects, ils s'accordaient parfaitement avec les libéraux. C'est ce que font les poltrons dans une bataille. Que veut l'ennemi? qu'ils s'enfuient. Eh bien! ils s'enfuient. Que voulaient les factieux? qu'on ménageât la révolution, qu'on la respectât même. Eh bien! les bons circonspects ne cessaient de prêcher ces ménagements.

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