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Ils gémissaient des reproches adressés à la révolution, et des secours que les royalistes portaient à la royauté, suivant l'ingénieuse expression de M. Fiévée. Rien de plus vrai, rien de plus certain que ce tableau singulier; et l'on pourrait, après cela, être étonné de la révolution de 1830 !

Ces mêmes hommes ne disconvenaient pas que tel ministre manquait d'habileté; mais ils se hâtaient d'ajouter : C'est un honnête homme; il a de bonnes intentions. Voilà vraiment un bel éloge! C'est un honnête homme, signifie sans doute ce n'est pas un malhonnête homme. Ainsi donc vous louez un ministre de n'être pas un malhonnête homme. Il a de bonnes intentions, veut dire encore il n'en a point de mauvaises. Mais, de mauvaises intentions dans un ministre seraient de la trahison, de la félonie. Vous louez donc vos chers ministres de n'être ni traîtres ni félons. Et puis, que sont les bonnes intentions sans habileté ? Prendrez-vous pour commander une armée le général qui a l'intention de remporter des victoires, ou celui qui a l'habileté nécessaire pour les remporter? Certes, si les intentions suffisent, vous ne manquerez jamais de généraux. Tallard vaincu au second Hochtet, avait autant l'intention de gagner la bataille, que

Villars, vainqueur l'année précédente, au même endroit. Un médecin ignorant, avec l'intention de vous guérir, peut aggraver votre maladie. Je· voudrais connaître l'homme qui a dit avec tant de bon sens : Vous verrez que nous périrons d'un coup de bonne intention.

Autre maxime dangereuse! Il ne faut s'occuper que des principes et non des personnes. J'eus occasion de la réfuter à la tribune. J'en parlerai bientôt.

Les ministres, à bonnes intentions, étaient des hommes accomplis, si l'on pouvait ajouter : C'est un homme d'esprit, c'est un homme fin. Mais ce genre d'esprit, prôné dans les salons, n'est rien dans la haute politique, pas plus que dans la haute littérature. Racine disait d'un traducteur de Démosthène : Le bourreau! il veut donner de l'esprit à Démosthène! Voltaire parlant de la manière informe dont Lamotte, homme d'esprit, a traduit les plus beaux passages de l'Iliade, a écrit: Quel malheureux don que l'esprit, s'il empêche de sentir de si grandes beautés! Il a cité l'avis d'une personne à qui l'on demandait ce qu'elle pensait d'une tragédie qu'elle venait d'entendre: elle ne réussira point; il y a trop d'esprit.

Il en est de même dans la haute politique : l'esprit n'y est bon à rien. On peut en avoir beaucoup,

et être incapable de méditations profondes, incapable encore d'une constance inébranlable dans les pensées adoptées après de longues méditations. On peut en avoir beaucoup, mais non porté vers la grandeur, la prévoyance, et non toujours attaché à des pensées principales et dominantes. Si ceux qu'on appelle hommes d'esprit étaient, par cette faculté, capables de bien gouverner, la monarchie aurait été garantie d'une révolution; car Louis XVIII, et presque touts nos ministres, étaient des hommes d'esprit. Il semble même que pour être plus certains d'en avoir, on se soit attaché à les prendre dans la province dont les habitants ont la réputation d'avoir de l'esprit. Nous avons eu pendant les quinze années de la restauration neuf ministres gascons; et comme l'un d'eux l'a été deux fois, on peut dire que nous avons eu dix ministres gascons, parmi lesquels deux surtout ont eu la plus grande influence sur nos destinées, l'un pendant cinq ans au moins, et l'autre pendant sept ans. Ces hommes d'esprit ont-ils affermi la monarchie? Les Girondins, Gascons et hommes d'esprit, ont entraîné les restes de la monarchie dans un abîme, et euxmêmes à l'échafaud. Ils n'ont pas sçu profiter d'un moment où ils pouvaient tout changer.

Encore un autre raisonnement de nos hon

nêtes gens! MM. tels et tels ne veulent point de révolution. Ils sont riches. Leur intérêt est de conserver le trône; ils ne s'exposeront pas à perdre leur fortune. Tels et tels aussi ne s'exposeront pas à perdre les honneurs dont ils jouissent. Ils disaient en même temps : Le peuple veut le il a donné sa démission. Très-bien! Voilà donc le peuple, les riches, les dignitaires, qui veulent pas absolument de révolution. Ainsi, la conséquence de touts ces beaux raisonnements, c'est qu'il n'y avait rien à craindre, qu'on pouvait dormir bien tranquille.

repos,

Ces inepties étaient répétées à la cour, à la ville, dans les salons, dans les Chambres surtout, et dans les provinces. Elles enfonçaient dans la tête des honnêtes gens cette mollesse hébêtée qui les a caractérisés à l'époque dont je parle.

Au commencement du ministère de M. de Villèle, un grand nombre de députés royalistes trouvaient que le gouvernement ne se prononçait pas assez. Ils s'étaient divisés en plusieurs sections, ils nommèrent des commissaires qui arrêtèrent une espèce de déclaration, par laquelle on invitait les ministres à prendre une marche plus assurée. On se réunit; on délibère sur cette déclaration. Un homme fin, très-fin, arrive tout à coup; et d'un air effaré: Vous ne sçavez pas ?-Quoi?

Vous ne le sçavez pas ?-Non.- M. Decazes est arrivé. Arrivé!-Oui, il a déjà été introduit aux Tuileries. On répète la nouvelle. La réunion est consternée. Elle voit rapidement touts les embarras que va susciter au ministère cette terrible apparition. Ce n'est pas le moment de le fatiguer, de lui demander une marche plus ferme. Nous voyons 'maintenant qu'il avait ses raisons pour aller comme il va. Il faut de la prudence..., de la modération...., de la sagesse...., de la circonspection.... Prenons garde...., nous pourrions tout perdre. On met la déclaration dans la poche; et l'on se disperse, en rendant grâces à l'homme qui venait de donner un avis d'une si grande importance, et qui se moquait intérieurement de la troupe peureuse.

Ces petites peurs continuelles ont singulièrement influé sur le sort de la France et de la monarchie. On a dit, dès le commencement de la révolution, qu'elle était l'ouvrage de la peur, et j'ai peint souvent la domination de cette formidable divinité en 1792. La peur a tout fait alors; elle a tout fait depuis la restauration.

Le vrai courage est dans l'esprit, dans le caractère. Il est très-différent de la valeur et de la bravoure. Un guerrier intrépide, qui cent fois a bravé la mort dans les combats, peut manquer

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